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1194-98.

Bravoure

lui fussent faites. Elles sont encore dans la tour de Londres. Des témoins oculaires disent qu'il n'y reste que des cadastres d'impositions, et que c'est tout ce qui a été pris. Entre les actions de bravoure qui side Philippe. gnalèrent des deux côtés cette guerre sanglante, on ne doit pas oublier une rencontre très-périlleuse, dont Philippe se tira par l'opiniâtreté de son courage. A l'occasion de successions et de partages, il s'étoit élevé, entre les seigneurs Flamands, des contestations que Richard fomentoit le roi de France, leur seigneur suzerain alla les concilier. Il soumit, à main armée, les plus obstinés. Comme il revenoit seulement avec deux cent soixante hommes d'armes, et à peu près le double de fantassins, il trouva, sur le bord opposé d'une petite rivière, qu'il devoit passer, une armée d'Anglais rangée en bataille. Selon les règles de la prudence, il devoit retourner ou se fortifier sur sa rive, en attendant des secours ; mais quelle honte pour le roi de France de fuir devant les Anglais , ou de marquer de la timidité ! Il fond, à la tête de son escorte, sur ces nombreux bataillons, par un petit pont qu'ils avoient laissé exprès pour l'atti

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rer; il les écarte, les renverse et entre triomphant dans Gisors, où il se met en sûreté.

Cinq ans de guerres furent souvent entremêlés de trèves; mais ces princes ne les faisoient, à ce qu'il paroît, que pour reprendre haleine. Ils étoient dans un de ces intervalles pacifiques, lorsque Richard mourut devant le petit château de Chalus en Poitou. Le bruit s'étoit répandu que le seigneur de ce lieu avoit trouvé un trésor considérable. Richard, comme comte de Poitou, en demande sa part; il est refusé, assiége le château, s'expose inconsidé rément, et, percé d'ue flèche, expire devant cette bicoque. On attribua sa mort, moins à la blessure qu'aux excès qu'il se permit pendant le traitement. Il étoit fort adonné aux plaisirs licencieux, ne s'en cachoit pas, et faisoit même un sujet de plaisanterie de ses penchans à la débauche. Foulques de Neuilli, ce prêtre respectable, apôtre de la dernière croisade ? que sa vertu autorisoit apparemment à lui parler librement, lui dit un jour : « Sire, « défaites-vous promptement de trois << méchantes filles qui vous ruineront, « la Superbe, l'Avarice et la Paillar« dise. Eh bien ! répondit-il, je donne

1199.

Mort de Richard.

«ma superbe aux templiers, mon ava12003. « rice aux moines, et ma paillardise <«<< aux prélats ».

Cruauté de

Terre.

Après Richard, qui ne laissa pas Jean-sans- d'enfans, l'Angleterre et ses dépendances sur le continent devoient appartenir à Artur, fils de Geofroi, qui avoit épousé l'héritière de Bretagne et qui étoit mort aîné de Jean-sansTerre; mais celui-ci s'en empara. Artur réclama ses droits et la protection du roi de France. Philippe lui accorda des secours, mais mesurés; de manière que la guerre des Anglais, qui étoit la paix des Français, ne se terminât pas trop tôt, et qu'ils eussent le temps de s'épuiser. Aussi dura-t-elle cinq ans, avec une égale animosité entre l'oncle et le neveu. Le jeune prince s'y conduisit avec beaucoup de bravoure. Il étoit près d'éloigner Jean-sans-Terre de la Normandie, où se portoient les plus grands coups, lorsqu'il se laissa surprendre dans une embuscade. L'oncle le tenant entre ses mains, lui demanda pour rançon la cession absolue de ses droits. Artur n'y voulut pas consentir. Jean le traîna de prisons en prisons, ajoutant souvent de mauvais traitemens à la captivité. Enfin, il se le fait amener à Rouen, où il demeuroit,

l'enferme dans une tour au milieu de
la Seine, s'y rend dans la nuit et re-
nouvelle ses instances et ses menaces.
Le jeune prince resta inflexible. Jean
ordonne à son capitaine des gardes de
le défaire de cet opiniâtre. Le capitaine
se défend de prêter la main à aucune
violence. L'oncle tire son épée, la
plonge dans le corps de son neveu
l'étend mort à ses pieds, et se cour-
bant sur le corps presqu'encore respi-
rant,
il y attache une grosse pierre,
et le roule dans la rivière. C'est là le
récit le plus probable de cette hor-
rible catastrophe, dont d'autres histo-
riens transportent la scène à Cher-
bourg, sur les bords de la mer.

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1200-3.

mandie à la

Quoique commis dans les ténèbres Réunion ce crime affreux fut bientôt connu. Il de la Norexcita une indignation universelle. Les France. Bretons qui aimoient tendrement Artur, 1203-4. le seul descendant de leurs princes, coururent à la vengeance, et se jettèrent sur la Normandie, de tous les états de Jean-sans-Terre, le plus prochain d'eux. Beaucoup de seigneurs Normands, soit pour n'être pas pillés, soit par horreur de ce crime atroce, se joignirent aux Bretons. Tous ensemble en demandèrent la punition au

1203-4.

roi de France, seigneur suzerain. Philippe, qui n'étoit peut-être pas étranger à cette commotion générale, assemble la cour des pairs, y cite son vassal pour répondre, tant sur ce crime que sur d'autres chefs d'accusation, entre lesquels, outre ce qu'on appeloit la foi mentie, se trouvoient des perfi-dies semblables à l'assassinat des officiers de la garnison d'Evreux.

Le roi d'Angleterre ne déclina pas la jurisdiction. Il demanda un saufconduit; Philippe en offrit un pour venir, mais il déclara que l'assurance pour le retour dépendroit des dispositions de la sentence qui seroit prononcée. Jean n'osa s'exposer à la rigueur du tribunal. Il ne comparut pas, n'envoya personne, et fut, comme contumace, condamné à la mort. Par le même arrêt, toutes ses terres situées dans le royaume, furent déclarées confisquées, acquises au roi et rattachées à la couronne. Ainsi la Normandie fut réunie à la France deux cent quatre-vingt- douze ans après qu'elle en avoit été séparée. Mais la sentence, qui privoit Jean, ne fut pas si aisée à exécuter qu'à prononcer, Philippe, à la vérité, s'empara de parties.

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