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comme un signe d'infériorité, et le vieux magister de village coiffait l'enfant indocile ou ignorant d'un bonnet orné d'oreilles d'âne.

Sans doute il n'est pas extrêmement rare de rencontrer dans la rue ou même dans le monde des individus porteurs d'oreilles larges, écartées ou mal faites, mais on est frappé de voir combien cela est infiniment plus fréquent dans les prisons.

Une des malformations les plus fréquentes et les plus apparentes est l'augmentation de volume de l'organe et l'exagération de ce que Frigerio appelle assez heureusement l'angle auriculo-temporal.

Frigerio a fait des recherches semblables chez les enfants, et il est arrivé aux conclusions suivantes : « Chez les enfants pour lesquels la plus grande ampleur de l'oreille, dit-il, était jointe à d'autres anomalies morphologiques de l'oreille et du corps, nous notâmes bien souvent une notable insuffisance de moyens intellectuels et un pervertissement des instincts. C'étaient presque toujours des enfants indisciplinés, irrespectueux, quelquefois intelligents, mais le plus souvent obstinés et lunatiques, dans le vrai sens du mot, au point que, comme beaucoup de fous, à l'approche d'un orage, ils devenaient inquiets et indociles. >>

Le même auteur cite des cas où cette exagération des dimensions du pavillon était héréditaire et se transmettait avec les mauvais instincts. Une femme homicide, aux longues et larges oreilles, avait deux sœurs et trois cousins tous aux galères et présentant tous la même anomalie.

Enfin l'Italien Giacchi, cité par Frigerio, émet aussi les mêmes idées sous une forme un peu moins scientifique, mais plus pittoresque. « Dans les asiles d'aliénés et les prisons, dit-il, abondent les individus richement oreillés au point qu'ils semblent avoir la tête ailée et prête à prendre son vol. Et souvent elle le prend en vérité, si bien que le malheureux possesseur de cette machine mystérieuse abandonne le bon sens et l'honnêteté qui représentent la boussole de l'homme estimable, et il voyage sans guide dans l'atmosphère orageuse de la faute et du délire. » Et plus loin: ་ Je ne saurais me

décider à donner ma confiance toute entière à un galant homme présentant cette beauté asinienne, et il me conviendrait encore moins, fussé-je un jouvenceau affamé comme un loup, de me rapprocher d'une amoureuse qui, en la regardant de face, exciterait en moi l'image poétique d'une marmite à deux anses. » (1)

Une autre malformation qui m'a paru également très fréquente chez les criminels, c'est l'hélix incomplet et existant seulement à l'extrémité supérieure du pavillon. Beaucoup de criminels ont l'oreille mal ourlée, comme on dit vulgairement.

Chez d'autres individus on peut voir le lobule de l'oreille atrophié ou hypertrophié, et Frigerio dit avoir observé, à la prison de Pefaro, un criminel fou homicide à type félin, avec énorme lobule. Cet homme, entre autres aberrations, offrait celle d'avaler journellement un grand nombre de pierres (allotriophagie).

Une anomalie encore très fréquente et que j'ai souvent rencontrée chez les criminels, c'est l'adhérence plus ou moins complète du lobule avec la peau de la face. J'ai constaté quelquefois aussi une asymétrie très marquée des oreilles.

J'ai noté encore, comme stigmate de dégénérescence de l'extrémité céphalique, l'implantation vicieuse des dents et plus souvent la persistance des dents de la première dentition à un âge avancé.

Il est une malformation assez rare et peu connue qui m'a paru se présenter avec une fréquence relative chez les criminels je veux parler de la gynécomastie, anomalie qui consiste dans le développement exagéré et persistant des mamelles chez l'homme au moment de la puberté, avec arrêt de développement des organes génitaux. A cet état s'ajoute une sorte d'effémination et d'adoucissement des formes en même temps qu'une infériorité intellectuelle allant souvent jusqu'à la débilité mentale. J'en ai observé précisément quelques cas à la prison de la Santé : je les ai rapportés ailleurs (2).

(1) Pazzi e birbanti.

(2) Voir ÉMILE LAURENT. Les gynécomastes. Thèse de Paris, 1888, e Les bisexués, 1 vol. in-8.

LE CRIMINEL

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Cela m'amène à parler des malformations des organes génitaux chez les dégénérés criminels. Il en est une qui se rencontre avec une certaine fréquence : c'est l'hypospadias à ses différents degrés. Mais ce n'est pas tout. J'ai noté chez les criminels (1) une foule d'autres anomalies plus ou moins caractéristiques : le développement exagéré du gland, ce qui donne des verges en battant de cloche. Bourneville et Sollier ont aussi fréquemment rencontré cette forme de la verge en massue ou en battant de cloche chez les idiots et les épileptiques. P. Louët (2) l'a observée chez un certain nombre de dégénérés dans les asiles d'aliénés.

Les déviations et les torsions de la verge dans un sens ou dans l'autre sont également très fréquentes. Marandon de Monthyel (3) assure que ces anomalies se rencontrent aussi très souvent chez les aliénés.

Enfin il est un mode de dégénérescence physique auquel j'attache une importance considérable et qu'on observe très fréquemment chez les dégénérés criminels ou aliénés : c'est l'infantilisme. Certains individus, à dix-huit ou vingt ans, en paraissent à peine quatorze ou quinze : petits, maigres, fluets, le visage imberbe, le pubis glabre, la verge et les testicules comme ceux d'un enfant, la voix aiguë; ce sont des êtres indéfiniment juvéniles, sur la figure desquels on ne saurait mettre un âge précis. D'autres sont plutôt des féminisés, des personnages imberbes, à longs cils, à cheveux fins, à hanches très développées, à voix grêle. Leurs membres sont ronds comme ceux de la femme, leurs muscles ne font point de saillies vigoureuses sous la peau, leurs contours affectent une mollesse remarquable, leurs mouvements sont pleins de souplesse et de grâce. Comme les infantiles, ce sont le plus souvent des descendants d'alcooliques et aussi, comme l'a montré Faneau de la Cour (4), des issus de tuberculeux.

(1) ÉMILE LAURENT. Des anomalies des organes génitaux chez les dégénérés criminels. Archives de l'Anthropologie criminelle, 1892.

(2) Des anomalies des organes génitaux chez les dégénérés. Thèse de Bordeaux, 1889.

(3) Anomalies des organes génitaux chez les aliénés. Archives de l'Anthropologie criminelle, 1895.

(4) Thèse de Paris, 1871.

C'est parmi eux surtout qu'on rencontre « le pâle voyou parisien »>.

Voici un jeune drôle qui a environ seize ans. C'est un fils d'alcoolique. Avec son visage frais et imberbe, son pubis glabre, son bassin élargi, ses cheveux fins, ses yeux bleus ombragés de longs cils, sa voix douce et flûtée, il ressemble à une fille affublée d'un costume masculin.

Les malformations des membres ne sont pas rares non plus chez les dégénérés criminels. Voici un alcoolique qui a subi plusieurs condamnations pour vol et dont la main droite porte un pouce surnuméraire. Chez un autre on note une curieuse malformation du quatrième métacarpien des deux mains, qui fait paraître les annulaires de la même dimension que les auriculaires.

Du côté des membres inférieurs, je n'ai noté que des déformations insignifiantes, le plus souvent acquises. Néanmoins l'orteil en marteau m'a paru se rencontrer avec une certaine fréquence. Je l'ai constaté en particulier chez un fils d'hystérique délirante, condamné quatre fois pour escroqueries.

III.

DÉGÉNÉRESCENCES PHYSIOLOGIQUES
CHEZ LES CRIMINELS.

Nous avons vu l'action dégénérative de l'hérédité se faisant sentir également sur tous les organes. A ces déviations morphologiques peuvent correspondre des anomalies fonctionnelles, qui en sont comme les corollaires.

Tous ces phénomènes, en effet, sont dus à une absence primordiale d'équilibre dans le fonctionnement des centres nerveux qui les régissent. Ainsi, tel muscle, obéissant à tel nerf, agit avec une énergie exagérée qui dépasse le but et se traduit par une exagération dans le mouvement; le muscle antagoniste, au contraire, recevant un influx nerveux moindre et par conséquent insuffisant, ne peut lutter contre lui et rétablir l'équilibre troublé dès le début il s'avoue vaincu pendant que son congénère, qu'aucune force ne vient plus modérer, prend et conserve l'habitude de ses écarts.

Le strabisme congénital est un phénomène de ce genre. C'est un défaut d'équilibre, une rupture dans les lois de l'antagonisme.

Il est un vieux proverbe qui dit : Défie-toi de l'homme au regard louche. Ces aphorismes, malgré leur naïveté apparente, renferment quelquefois un grand fond de vérité; ils sont le fruit d'une expérience de plusieurs siècles. Préjugé ou non, il est certain qu'on aime peu regarder en face un homme qui louche; il semble que sa pensée se cache comme son regard. Or, les strabiques sont très nombreux parmi les criminels.

Dans d'autres circonstances, il ne s'agit plus d'un défaut d'équilibre entre deux muscles parallèles: c'est un muscle isolé, un sphincter par exemple, qui, recevant une innervation insuffisante, ne peut résister aux besoins dynamiques qu'il doit régenter; il cesse alors d'être sous la haute puissance de la volonté et il obéit, sans attendre, à toutes les sollicitations qui l'assiègent. L'incontinence d'urine me semble rentrer dans cet ordre de paralysies dégénératives (1). On sait déjà combien l'incontinence d'urine est fréquente chez les dégénérés. Je l'ai aussi bien des fois notée chez les criminels. Beaucoup de détenus m'ont avoué qu'ils avaient pissé au lit jusqu'à un âge avancé, jusqu'à dix-huit ou vingt ans et même plus. Il en est même chez qui cette incontinence était non seulement nocturne, mais encore diurne.

On pourrait peut-être rapprocher de ces faits les retards dans la marche et la parole, également si fréquents chez les dégénérés. Il est malheureusement fort difficile d'obtenir des criminels des renseignements précis sur ces faits, dont le plus souvent ils n'ont gardé qu'un souvenir très vague. Néanmoins je pourrais citer tel voleur qui n'a commencé à marcher qu'à sept ou huit ans, tel criminel qui n'a commencé à parler qu'à huit ou dix ans, etc.

Dans d'autres circonstances il y a incoordination des mouvements d'un muscle ou d'un groupe de muscles qui obéissent

(1) Voir L. GUINON. De quelques troubles urinaires de l'enfance. Thèse de Paris, 1889.

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