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« Les honnêtes femmes ont des manières qui savent chasser d'abord les galants (1). »

XXX.

« J'aime qu'avec douceur elles se montrent sages...,

Et veux une vertu qui ne soit point diablesse (2). »

(1) Le Mari confondu, act. IV, sc. III.

(2) Le Tartuffe, act. IV, sc. III.

CHAPITRE IX.

DE L'ADULTÈRE ET DES AMOURS FACILES.

Pourquoi faut-il que cette grande figure du poëte moraliste soit la statue dont la tête d'or semble toucher le ciel, tandis que ses pieds d'argile s'enfoncent dans la boue (1)? On voudrait s'arrêter là pour l'honneur de Molière : non pour son honneur de comédien, qui reste inattaquable jusque dans la farce la plus basse et l'obscénité la plus hardie, mais pour son honneur d'honnête homme. Oui, l'auteur du Tartuffe a fait Amphitryon (2); celui qui a soulevé contre le suborneur hypocrite une indignation telle, que le public n'eût pas été content si le roi même n'était venu frapper ce monstre par sa justice exceptionnelle et terrible (3); celui qui, craignant qu'on ne lui attribuât une seule des paroles prononcées par son odieux personnage, mettait en note: « C'est un scélérat qui parle (4); » ce même homme, pendant trois actes qui sont trois chefs-d'œuvre de comédie,

(1) Daniel, cap. II, v. 32, 33.

(2) La date définitive du Tartuffe est 1667; Amphitryon est de 1668. (3) Le Tartuffe, act. V, sc. vII.

(4) Id., act. IV, sc. v.

de poésie et d'esprit, a fait rire du noble Amphitryon et de la touchante Alcmène, trompés dans leurs honnêtes amours par le don Juan de l'Olympe. C'est justement parce que ces trois actes sont des chefsd'œuvre, parce que les farces de Mercure et les terreurs de Sosie forcent absolument à rire (1); parce que la conduite, la langue même et la versification de la pièce sont des modèles inimitables; parce que rien enfin n'interrompt le plaisir délicieux du spectaleur, et que le génie comique de l'auteur enlève d'un bout à l'autre le rire et les applaudissements, c'est pour cela que cette pièce est très-immorale (2). Si pur que soit l'amour d'Alemène pour son époux, si indigne que soit le crime de voler par ruse à une honnête femme ce qu'on n'a pu obtenir d'elle par la séduction, de quel côté sont les rieurs? Ne trouvet-on pas très-agréable et très-spirituelle la subtile et immorale distinction de Jupiter entre l'époux et l'amant (3)? Songe-t-on à plaindre Amphitryon, dans le long interrogatoire où le malheureux découvre enfin son complet déshonneur (4)? Ne prend-on pas plaisir à voir Jupiter triompher une seconde fois

,

(1) Amphitryon, act. I, sc. II; act. II, sc. II, III; act. III, sc. II, VII. (2) Voir la même cause d'immoralité indiquée pour d'autres pièces, plus haut, chap. IV, p. 70.

(3) Amphitryon, act. I, sc. Iv.

(4) Id., act. II, sc. 11. Comparez l'Ecole des Femmes, act. II, sc. vi:

O fâcheux examen d'un mystère fatal,

Où l'examinateur souffre seul tout le mal!

avec cette différence que la scène de l'Ecole des Femmes est toute morale, puisqu'Arnolphe n'a que ce qu'il mérite.

d'Alcmène nécessairement vaincue, qui commet sans le savoir, sans pouvoir l'éviter, une faute qui doit la désespérer (1)? Et peut-on résister au comique victorieux de la scène où Amphitryon, mis à la porte de chez lui par Mercure-Sosie, apprend de la bouche du dieu-valet que, dans le moment même, l'autre Amphitryon

Est auprès de la belle Alemène (2)?

En un mot, cette pièce est d'un bout à l'autre un effort du plus grand génie, qui triomphe du sentiment moral par la force comique, au point de rendre d'honnêtes époux ridicules, et de faire trouver excusable, agréable, admirable, le plus odieux adultère. Le caractère divin du coupable est une excuse de plus aux yeux du spectateur, qui ne rencontre qu'à la fin l'objection timide de Sosie:

Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule (3);

et certes, ce n'est pas assez de trois paroles ironiques dans la bouche d'un valet méprisable, pour ramener à un jugement moral le spectateur démoralisé de main de maître par trois actes irrésistibles. Il s'en va, riant encore, réfléchissant qu'après tout

(1) Amphitryon, act. II, sc. vI.

(2) Id., act. III, sc. II. Remarquez encore que Mercure, en jouant cet odieux rôle, a le front de jouer aussi celui de la Providence châtiant les peccadilles de Sosie.

(3) Amphitryon, act. III, sc. xI.

Jupiter n'est pas si coupable, et emportant pour toute leçon la maxime que

Sur telles affaires toujours

Le meilleur est de ne rien dire (1).

On ne parle ici qu'au point de vue de la morale universelle; mais on ne peut s'empêcher pourtant de remarquer qu'à une époque où les rois dansaient en costume d'Apollon devant la cour, et étaient traités de dieux par les poëtes et par Molière même (2), il y avait quelque chose de particulièrement immoral et odieux à proclamer

Qu'un partage avec Jupiter

N'a rien du tout qui déshonore (3).

Plaute était excusable de mettre sur la scène une des légendes monstrueuses des divinités à qui l'on croyait de son temps; cela ne tirait pas à conséquence le spectateur païen adorait l'honneur fait à Amphitryon et la divine naissance d'Hercule, sans que son respect fût diminué pour Junon, protectrice de la foi conjugale. Il n'en était pas de même dans un monde où l'on ne voyait qu'un homme sous le mas

(1) Amphitryon, act. III, sc. XI.

(2) Les Plaisirs de l'Ile enchantée, première journée, Apollon; les Amants magnifiques, premier intermède, Neptune; cinquième intermède, Apollon:

Bienheureuses de toutes parts,

Et pleines d'exquises richesses,
Les terres où de mes regards

J'arrête les douces caresses!

(3) Amphitryon, act. III, sc. xI.

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