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on comprend que cette mesure dans laquelle domine, après tout, le caractère politique, ne puisse et ne doive être prise qu'avec l'assentiment du pouvoir exécutif.

La discussion de l'art. 6 au conseil d'État atteste bien que cette disposition qui avait des précédents dans l'ancien Droit et aussi dans l'art. 12 de la loi du 3 brumaire an IV, apparaissait comme exorbitante.

M. Treilhard objectait que l'étranger n'est pas tenu hors de France, d'obéir à nos lois; M. Bérenger répondait que l'art. 6 n'était que la sanction d'un principe de Droit international. Mais le Droit international n'a pas de sanction applicable par l'autorité judiciaire.— M. Cambacérès semblait faire à M. Treilhard une meilleure réponse: l'étranger ne serait poursuivi qu'autant qu'il serait en France, et sa présence serait une présomption juris et de jure qu'il voulait tirer parti de son crime sur notre territoire, qu'il venait pour l'utiliser. Est-ce qu'une pareille présomption n'était pas dans le domaine de la loi ? Oui, certainement; mais il fallait alors subordonner l'application de l'art 6, à la condition d'un retour volontaire de l'étranger en France, tandis que cet article peut être appliqué à l'étranger, dont le pouvoir français obtient l'extradition.-Est-ce qu'il y a place à la présomption d'intention de réaliser le profit du crime en France, quand l'étranger n'est sous le coup de notre loi que parce qu'il a été livré, sur la revendication que le pouvoir exécutif français en a faite, en le représentant comme justiciable de l'autorité judiciaire française ?

Non, il n'est pas possible de faire rentrer l'art. 6 dans le Droit commun, et de le couvrir d'un principe. Il a eu pour le législateur, il doit avoir pour l'interprète, le caractère d'une exception, d'une exception qui avait de puissants motifs, sans doute, et qui a la légitimité d'un intérêt national. Exception, cet article n'est pas susceptible d'interprétation extensive.

L'étranger, dans le cas de l'art. 6, ne pourrait pas être poursuivi, comme le Français le pourrait être, par contumace. La présence de l'étranger en France doit être une présence spontanée. Si elle était la suite d'une manœuvre frauduleuse, d'une ruse, ou d'un accident, comme d'un naufrage, par exemple, il faudrait dire, avec l'arrêté des consuls, du 18 frimaire an VIII, dont la pensée vaut mieux que le langage: « Qu'il est hors du Droit des nations policées, de profiter de l'accident d'un naufrage pour livrer «< même au juste courroux des lois, des malheureux « échappés aux flots, etc. >>

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Je vous ai dit que le caractère incontesté de la loi pénale, son caractère exclusif, suivant les uns, son caractère prédominant, suivant les autres, et c'est cette dernière idée que je défends, était le caractère de la territorialité.

La loi pénale domine le territoire, mais qu'est-ce que le territoire ?-Le territoire se compose de toutes les contrées soumises à la souveraineté d'un pouvoir social déterminé.--Cette souveraineté peut s'exercer au-delà des frontières, c'est-à-dire au-delà des limites résultant de la nature ou des traités.

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Ainsi, 1° la souveraineté du pouvoir social s'exerce sur la mer dite territoriale, c'est-à-dire sur la partie de la mer, qui, à raison de la proximité de la terre, participe, en quelque sorte, à sa condition et s'appelle frontière maritime. Sans doute, en principe, la mer est insusceptible d'appropriation; elle appartient à tous les hommes et n'appartient à aucun, parce qu'aucun d'eux ne peut se l'assimiler, la conquérir, la marquer d'une empreinte durable de sa personnalité.

-La mer qui se dérobe au Droit de propriété ne subit, par la même raison, aucune souveraineté particulière; c'est, comme l'a dit M. de Broglie, une sorte de territoire libre, qui ne relève d'aucune puissance. Grotius a cherché le principe de la liberté des mers dans cette circonstance qu'elles n'avaient pas de bornes certaines, de limites déterminées, ce qui n'est pas vrai, au moins de toutes les mers. -MTM de Staël, dont je n'oserais me faire une autorité dans cette chaire, si M. Troplong, dont les exemples sont bons à suivre, même de loin, ne l'avait citée, dans son traité de la Prescription (1) a signalé, la véritable raison qui a échappé au savant publiciste : « Si << les vaisseaux sillonnent un moment les ondes, la <«< vague vient aussitôt effacer cette légère marque de << servitude et la mer reparaît comme elle fut au << premier jour de la création. »

Cette liberté souffre une exception qui est en parfait accord avec le principe: chaque Etat est réputé souverain de la portion de mer qui le borde, qu'il peut (1) Tome Ier, no 142.

défendre des côtes, c'est-à-dire d'un rayon déterminé par la plus forte portée du canon.

En dedans de ce rayon, les lois pénales, les lois de police et notamment les lois de douanes sont obligatoires pour tous.

2o La souveraineté d'un Etat s'exerce même en pleine mer sur tout navire qui porte son pavillon. Le navire est, comme on l'a très bien dit, considéré comme une portion détachée du territoire de la nation à laquelle il appartient (1). En pleine mer, cela est vrai, sans distinction entre les bâtiments de guerre et les bâtiments de commerce. — Mais quand les navires ne sont plus en pleine mer, qu'ils sont dans les eaux réputées la propriété d'un Etat étranger, il faut distinguer :

Le navire de guerre qui porte une partie de la puissance publique de son pays est affranchi de toute police étrangère sur son bord. - Son équipage n'est soumis qu'à la loi nationale; sans cela la souveraineté dont il est l'une des personnifications à l'étranger serait soumise à la souveraineté étrangère. —La nation dans les eaux de laquelle est ce bâtiment de guerre peut prendre à son égard des mesures de sûreté et de surveillance; elle peut exercer le Droit de défense; mais elle ne peut exercer le Droit de punir qui suppose une supériorité hiérarchique.

(1) Ordonnance de 1681. Loi du 22 août 1790.-Loi du 1er décembre 1790.-Arrêt du 26 mars 1804.-Décret du 22 juillet 1806.-Décret du 12 novembre 1806. Décret du 15 août 1851.-Décret du 26 mars 1852.

Quant aux bâtiments de commerce dans les eaux d'une puissance étrangère, ils ne représentent pas la souveraineté de leur pays et partant ils sont soumis aux lois de police et de sûreté du pays dans les eaux duquel ils stationnent.

3o La souveraineté du pouvoir social s'exerce en dehors même du territoire dans tous les lieux occupés militairement en son nom et où flotte son drapeau. Ce principe a été traduit d'une manière précise et vive: «< Là où est le drapeau, là est la France.-->> Mais comme le fait très bien observer M. Mangin, la loi n'est applicable qu'à l'armée et à ceux que quelque lien y rattache (1).

Je viens de vous indiquer l'extension que subit le principe de la territorialité de la loi pénale.-Voici maintenant la restriction.

La restriction est encore la conséquence du même principe, et ce principe il importe d'autant plus de le mettre en lumière qu'il est à mon sens la meilleure explication, le plus solide fondement du Droit de punir. Les agents diplomatiques accrédités près du pouvoir exécutif français ne sont pas soumis à l'application de la loi pénale française: c'est là un principe de Droit international, c'est-à-dire d'un droit sans

(1) Ordonnance du 25 juillet 1665.-Décret du 22 septembre 1790. Loi du 28 août 1791. Décret du 12 mai 1793.

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Loi du 4 nivôse an IV.-Loi du 13 brumaire an V.-Loi du 21 brumaire an V.- Loi du 18 vendémiaire an VI.- Décret du 3 mars 1848. Décret du 6 février 1852, MANGIN, de l'Action publique, no 64.

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