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voir demain. (Croisant ses mains sur sa poitrine comme pour tenir son châle, et faisant en même temps le geste de tenir sa pelisse.) Adieu. (Elle fait quelques pas dans le fond, rencontre le fauteuil qui est entre le paravent et le panneau par lequel elle est entrée; elle s'assied sur le fauteuil, et s'endort paisiblement. Musique. Baptiste, qui vers la fin de la scène précédente a déjà étendu les bras et s'est frotté les yeux, les ouvre dans le moment, et se trouve en face de Cécile, qu'il prend pour le fantôme. Tremblant de crainte, il tombe sur ses genoux, sans oser regarder.)

Baptiste. Mons...ieur...eur...
Gustave. Tais-toi.

SCÈNE IV.

Baptiste, étendu par terre; Cécile, endormie sur le fauteuil; Gustave, entre eux; Frédéric, en dehors, frappant à la porte.

Frédéric. Gustave! Gustave! ouvre-moi.

Gustave. Grands dieux ! c'est la voix de Frédéric. (A Baptiste.) Sur ta tête, ne profère pas une seule parole, ou tu es

mort.

Frédéric, (toujours en dehors.) Eh bien! m'ouvriras-tu ?

Gustave. Oui; mais, au nom du ciel, ne fais pas de bruit. (A part.) Quel parti prendre? que devenir ?... Elle est perdue!... Ah! ce paravent... (Il entoure avec le paravent le fauteuil de Cécile, jusqu'à la muraille, de sorte que le panneau secret se trouve enfermé dans le paravent. A Baptiste, qui est toujours couché.) Et toi, relève-toi donc, et songe à ma recommandation. (Il va ouvrir à Frédéric.)

SCÈNE V.

Les Précédents; Frédéric, en grande parure de marié. (La porte du jardin reste ouverte, et l'on aperçoit un jardin éclairé par les premiers rayons du soleil.)

Frédéric. Eh, mon Dieu! faut-il tant de cérémonies? Mon ami, je ne peux pas dormir... je ne peux pas, et me voilà. Gustave. Je t'en prie, ne parle pas si haut.

Frédéric. Et pourquoi donc ?

Gustave. C'est que cet imbécile de Baptiste est gravement indisposé.

Frédéric. Qu'est-ce qu'il a donc? Eh mais! en effet, je lui trouve un air pâle, une physionomie renversée.

Baptiste. On l'aurait à moins.

Frédéric. On va lui envoyer le petit docteur. Mais je venais te faire part d'une idée charmante; moi, je n'en ai jamais d'autres; c'est de déjeuner tous dans ce pavillon... Eh bien! qu'as-tu donc ? tu ne m'écoutes pas.

Gustave. Si, vraiment... au contraire, je trouve ton projet... Tu disais...

Frédéric. Que j'ai donné ordre de servir ici une tasse de thé avant le départ, et tu nous raconteras tes histoires de cette nuit, ou tu en inventeras pour faire peur à ces dames. Gustave! eh bien! où es-tu donc ?

Gustave. Oui, mon ami, oui... je l'ai toujours pensé... Mais si nous faisions un tour de jardin. (Il veut l'emmener.)

Baptiste, (se levant vivement et retenant Frédéric par son habit.) Messieurs, je ne vous quitte pas; je ne resterais pas seul ici pour un empire.

Frédéric. Que veux-tu dire? (Regardant Gustave, qui fait à Baptiste des signes de se taire.) Eh, mais! qu'as-tu donc aussi?... je n'avais pas remarqué d'abord; mais je te trouve aussi changé que Baptiste. (En riant.) Est-ce que vous auriez vu le fantôme, par hasard ?

Gustave, (troublé.) Allons donc, tu veux plaisanter. (Baptiste tire Frédéric par son habit, et de la tête lui fait signe que oui, sans que son maître l'aperçoive.)

Frédéric. Parbleu! tu es bien heureux! et tu devrais me dire, par grâce, (regardant Baptiste,) comment il était, et de quel côté il a disparu. (Baptiste, qui tient son mouchoir à la main, lui fait signe, en le montrant, que le fantôme était blanc ; puis, élevant sa main au-dessus de sa tête, il indique qu'il était d'une grandeur démesurée, et, montrant du doigt le paravent, il lui fait entendre que c'est de ce côté qu'il a disparu.) Allons, je vois que tu es jaloux de ton fantôme, et que tu ne veux pas que tes amis en profitent. Voilà qui est mal... Mais il est impossible qu'on ne découvre pas ses traces en cherchant bien. (Il se dirige vers le paravent.)

Gustave, (l'arrêtant par le bras.) Frédéric!... au nom du ciel, daigne m'écouter!... et ne me condamne pas !... Je te jure que le hasard seul... le hasard le plus extraordinaire... le plus inconcevable... et que mon honneur... mon amitié...

Baptiste. Oui, monsieur, ne vous y risquez pas... D'ailleurs, c'est inutile voilà les premiers rayons du soleil, il aura disparu.

Frédéric. Eh! qu'importe? fût-ce le diable...

Gustave, (voulant le retenir.) Non; je ne le souffrirai pas!

Frédéric, (se dégageant et se précipitant vers le paravent.) Il le faudra bien.

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Baptiste. Parbleu! il sera parti par où il était venu. (Le fauteuil est vide, et sur un des bras on aperçoit seulement le petit fichu que portait Cécile.)

ENSEMBLE.

Frédéric.

Quel est donc ce mystère?
D'où venait ta frayeur?

Gustave.

Ah! tâchons de lui taire
Le trouble de mon cœur.

Baptiste.

Quel est donc ce mystère?
Je tremble encor de peur.

Gustave, (à Baptiste.) Tais-toi, tais-toi.

ENSEMBLE.

Baptiste.

Quel est donc ce mystère?
Je tremble encor de peur.

Gustave.

Ah! tâchons de lui taire

Le trouble de mon cœur.

Frédéric.

La plaisante aventure!
Dis-moi, je t'en conjure,
Qu'aviez-vous donc tous deux ?

ENSEMBLE.

Gustave.

Grands dieux! quelle aventure!

Ami, je te le jure,

Nous ignorons tous deux

Ce qui se passe dans ces lieux.

Baptiste.

Grands dieux! quelle aventure!
D'échapper, je vous jure,

Nous sommes trop heureux!

Frédéric. Allons, allons, tu as beau dire, il y a quelque chose, et ta tête... Écoute donc, jusqu'à ce jour, tu avais été trop sage, trop raisonnable: on finit par payer ça... Il ne faut d'excès en rien... Regarde-moi... Ah çà! j'espère que

tu vas t'habiller; tu vois que je suis déjà en costume de rigueur... Je ne te donne que cinq minutes.

Gustave, (très-ému.) Sois sûr qu'on ne m'attendra pas... Baptiste, suis-moi... (A part.) Allons, il faut partir! (Ils sortent par la porte à gauche.)

SCÈNE VI.

Frédéric, (seul, le regardant partir d'un air surpris.) Ma foi... Eh bien! en voilà un qui fera bien de ne pas se marier... Décidément il est timbré, et son effroi quand j'ai voulu approcher de ce paravent où il n'y a rien, absolument rien... (Approchant du fauteuil, et apercevant le petit fichu que portait Cécile, et qu'elle y a laissé.) Eh, mais! si fait... cependant... Je n'avais pas vu... (Prenant le fichu, et étouffant un éclat de rire.) C'est charmant! (Déployant le fichu.) Je devine maintenant à quelle espèce de fantôme ce meuble peut appartenir.

Air de la Sentinelle.

Tissu charmant! voile mystérieux,

Dont contre nous la beauté s'environne!
Gage d'amour! se peut-il, en ces lieux,
Que sans égards ainsi l'on t'abandonne?
D'un hasard tel que celui-là

Sans peine on pénètre les causes!
Ici, celle qui t'oublia,

Je le devine, avait déjà

Oublié bien d'autres choses.

Mais à qui diable ça peut-il être? La petite baronne, ou la femme du notaire! (Se reprenant.) Oh! la femme d'un notaire!... cependant ça s'est vu... Allons, je m'en vais prendre des informations... ce sera délicieux. Mais je ne sais pas ce qu'ils ont tous... Personne ne se lève donc aujour d'hui ? Eh! voilà le beau-père.

SCÈNE VII.

Frédéric, Dormeuil, tenant par la main Cécile, qui est en grande parure de mariée.

Frédéric. Allons donc, papa, allons donc.

Dormeuil. Ce n'est pas ma faute. Il y a une demi-heure que j'entre chez Cécile; il faut lui rendre justice, elle était déjà levée: mais elle s'était endormie sur une chaise, et il a fallu nous dépêcher... Trois femmes de chambre...; mais aussi, j'espère... Hein! comment la trouvez-vous ?

Frédéric. Ah! que vous êtes heureux d'avoir des enfants comme ceux-là! Je ne parle pas de votre gendre; mais c'est un beau rôle que celui de père: les gants blancs, l'air respectable. J'aurais aimé à être père, moi, pour marier mes

enfants, pour

leur dire : : Soyez heureux! je vous unis.

En

fin, vrai, si je n'étais pas moi, je voudrais être vous; mais on ne peut pas cumuler. Ah çà les voitures sont-elles

prêtes ?

Dormeuil. Pas encore.

Frédéric. Eh bien! qu'est-ce que vous faites donc ? ça vous regarde. Vous, ma chère Cécile, voulez-vous donner vos ordres pour faire servir ici le déjeuner? (Vers le milieu de cette scène, entrent quelques domestiques qui rangent le paravent et ouvrent toutes les fenêtres. On aperçoit le jardin ; il fuit grand jour.) Moi, je cours réveiller tout le monde. J'ai tant d'affaires, que je ne sais en vérité... (A Cécile.) Ah! dites-moi donc, une aventure charmante que je vais vous conter... Non, que je vous conterai demain. Vous qui connaissez les toilettes de toutes ces dames, savez-vous à qui appartient cet élégant fichu?

Cécile, (le regardant.) C'est à moi.

Frédéric. Comment! c'est à vous?

Cécile. Qui, j'én étais même en peine.' Où donc l'avezvous trouvé ?

Frédéric, (troublé et balbutiant.) Où je l'ai trouvé ? Mais là-bas dans le salon; parce que, peut-être ne savez-vous pas... (A part.) Parbleu! Je rirais bien. Le fait est qu'il n'est pas impossible, moi surtout qui ai toujours eu du malheur. Dormeuil. Eh bien! venez-vous ? Frédéric. Eh! sans doute.

Air: Mon cœur à l'espoir s'abandonne.

Allons réveiller tout le monde,
Parcourons tout du haut en bas;
À ma voix il faut qu'on réponde:
Un jour de noce on ne dort pas.

(A part.)

Examinons avec prudence.
Tout voir et se taire est ma loi.
Je suis époux; il faut, je pense,
Remplir les devoirs de l'emploi.

Dormeuil, Frédéric.
Allons réveiller tout le monde,
Parcourons, etc.

SCÈNE VIII.

Cécile, (seule.) Je suis encore si émue, si troublée! je l'avais revu... nous étions raccommodés.

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