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par de nouveaux principes plus étendus et plus féconds. Il n'y a personne qui l'ait égalé dans l'art de mettre en œuvre les matériaux de la physique et des mathématiques. Les Eloges des Académiciens, répandus dans cette Histoire, et imprimés séparément en 2 volumes, ont le singulier mérite de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur auteur. Il loue d'autant mieux, qu'à peine semble-t-il louer. Il peint l'homme et l'académicien. Si ses portraits sont quelquefois un peu flattés; ils sont toujours assez ressemblans. Il ne flatte qu'en adoucissant les défauts, et non en donnant des qualités qu'on n'avoit pas, ni même en exagérant celles qu'on avoit. Son style élégant, précis, lumineux dans ces Eloges comme dans ses autres ouvrages, a quelques défauts trop de négligence, trop de familiarité; ici, une sorte d'affectation à montrer en petit les grandes choses: là, quelques détails puérils indignes de la gravité philosophique; quelque fois, trop de raffinement dans les idées souvent trop de recherche dans les ornemens. Ces défauts, qui sont en général ceux de toutes les productions de Fontenelle, blessent moins chez lui qu'ils ne feroient ailleurs, nonseulement par les beautés qui les effacent; mais parce qu'on sent que ces défauts sont naturels en lui. Les écrivains qui ont tant cherché à lui ressembler, n'ont pas fait attention que son genre d'écrire lui appartient absolument, et ne peut passer, sans y perdre, par une autre plume. Au reste, le style des éloges de Fontenelle est l'image de sa conversation, infiniment agréable, semée de traits plus fins que

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frappans, et d'anecdotes piquantes sans être méchantes, parce qu'elles ne portoient jamais que sur des objets littéraires ou galans, et des tracasseries de société. Tous ses contes étoient courts, et par cela même plus saillans; tous finissoient par un trait : conditions nécessaires aux bons contes, C'est ce que dit le marquis d'Argenson. VI.L'Histoire du Théâtre François jusqu'à Corneille, avec la Vie de ce célèbre dramatique, Cette Histoire, très – abrégée, mais faite avec choix, est pleine d'enjouement; mais de cet enjouement philosophique, qui, en faisant sourire, donne beaucoup à penser. VII. Réflexions sur la Poétique du Théatre, et dụ Théatre Tragique : c'est un des ouvrages les plus profonds, les plus pensés de Fontenelle celui peut-être où, en paroissant moins bel esprit, il paroît plus homme d'esprit. VIII. Elémens de Géométrie de l'infini, in—4° 2 1727 livre dans lequel les géomètres n'ont guères reconnu que le mérite de la forme. IX. Une Tragédie en prose et six Comé dies; les unes et les autres peu théâtrales, et dénuées de cha leur et de force comique. Elles sont pleines d'esprit, mais de cet esprit qui n'est saisi que par peu de personnes, et plus propres à être lues par des philosophes que par des lecteurs ordinaires, Voyez l'article de Catherine BERNARD. X. Théorie des Tourbillons Cartésiens; ouvrage qui, s'il n'est pas de sa vieillesse, méritoit d'en être. Fontenelle étoit grand admirateur de Descartes; et, tout philosophe qu'il étoit, il défendit jusqu'à la mort les erreurs dont il s'étoit laissé prévenir dans l'enfance. XI. Endy mion, pastorale; Thétis et Péléez

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Enée et Lavinie, tragédies lyriques, dont la première est restée au théâtre. Il eut un rival dans la Mothe, son ami, sur la scène lyrique et dans d'autres genres, mais rival sans jalousie. C'est ce qui nous engage à placer ici le parallèle ingénieux, que d'Alembert a fait des talens de ces deux écrivains. «Tous deux pleins de justesse, de lumières et de raison, se montrent par-tout supérieurs aux préjugés, soit philosophiques, soit littéraires. Tous deux les combattent avec une timidité modeste, dont le sage a toujours soin de se couvrir en attaquant les opinions reçues : timidité que leurs ennemis appeloient douceur hypocrite, parce que la haine donne à la prudence le nom d'astuce, et à la finesse celui de fausseté. Tous deux ont porté trop loin leur révolte contre les Dieux et les lois du Parnasse : mais la liberté des opinions de la Mothe, semble tenir plus intimement à l'intérêt personnel qu'il avoit de les soutenir; et la liberté des opinions de Fontenelle, à l'intérêt général, peut-être quelquefois mal entendu, qu'il prenoit au progrès de la raison dans tous les genres. Tous deux ont mis dans leurs écrits cette méthode si satisfaisante pour les esprits justes, et cette finesse si piquante pour les juges délicats. Mais la finesse de la Mothe est plus développée, celle de Fontenelle laisse plus à deviner à son lecteur. La Mothe, sans jamais en trop dire, n'ou blie rien de ce que son sujet lui présente, met habilement tout en œuvre et semble craindre de perdre par des retenues trop subtiles quelques-uns de ses avantages. Fontenelle, sans ja mais être obscur, excepté pour

ceux qui ne méritent pas même qu'on soit clair, se ménage à la fois le plaisir de sous-entendre, et celui d'espérer qu'il sera pleinement entendu par ceux qui en sont dignes. Tous deux, peu sensibles aux charmes de la poésie et à la magie de la versification, ont cependant été poëtes à force d'esprit; mais la Mothe un peu plus souvent que Fontenelle, quoique la Mothe eût fréquemment le double défaut de la foiblesse et de la dureté, et que Fontenelle eût seulement celui de la foiblesse ; c'est que Fontenelle dans ses vers est presque toujours sans vie et que la Mothe a mis quelquefois dans les siens de l'ame et de l'intérêt. L'un et l'autre ont écrit en prose avec beaucoup de clarté, d'élé– gance, de simplicité même; mais la Mothe avec une simplicité plus naturelle, et Fontenelle avec une simplicité plus étudiée : car la simplicité peut l'être, et dèslors elle devient manière, cesse d'être modèle. Ce qui fait que la simplicité de Fontenelle est manière, c'est que pour présenter sous une forme plus simple, ou des idées fines, ou même des idées grandes, il tombe quelquefois dans l'écueil dangereux de la familiarité du style, qui contraste et qui tranche avec la délicatesse ou la grandeur de sa pensée; disparate d'autant plus sensible, qu'elle paroît affectée par l'auteur au lieu que la familiarité de la Mothe, car il y descend aussi quelquefois, plus sage, plus mesurée, plus assortie à son sujet, et plus au niveau des choses dont il parle. Fontenelle fut supérieur par l'étendue des connoissances, qu'il a eu l'art de faire servir à l'ornement de ses écrits, qui rend

et

est

sa philosophie plus intéressante, plus instructive, plus digne d'être retenue et citée; mais la Mothe fait sentir à son lecteur que pour être aussi riche, et aussi bon à citer que son ami, il ne lui a manqué, comme l'a dit Fontenelle même deux , que yeux et de l'étude. » Voyez aussi le Parallèle de ces deux hommes célèbres, vus dans la société article HOUDARD. XII. Des Discours moraux et philosophiques; des Pièces fugitives, dont la poésie est foible; des Lettres, parmi Jesquelles on en trouve quelques unes de jolies, etc. Tous ces différens Ouvrages ont été recueillis en 11 volumes in-12, à l'exception des écrits de géométrie et de physique, sous le titre d'Euvres diverses. On en avoit fait deux éditions en Hollande, l'une en 3 vol. in-folio 1728; l'autre in-4°, 3 volumes 1729, ornées toutes deux de figures gravées par Bernard Ficart. Les curieux les recherchent; mais elles sont beaucoup moins complètes que l'édition en 11 vol. in-12. Ce fut aussi Fontenelle qui donna en 1732 la nouvelle édition du Dictionnaire des Sciences et Arts, par Thomas Corneille.... Ce philosophe aimable ce savant bel esprit, digne de toutes les académies, fut de celle des Sciences, des Belles Lettres, de l'académie Françoise, et de plusieurs autres compagnies littéraires de France et des pays étrangers. « A son entrée dans la carrière des lettres, dit M. de Nivernois, qui a peint Fontenelle en beau sans parler de ses défauts, la lice étoit pleine d'athlètes couronnés; tous les prix étoient distribués, toutes les palmes étoient enlevées: il ne restoit à cueillir que celle de l'u

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niversalité: Fontenelle osa y as pirer, et il l'obtint. Il ne se contente pas d'être métaphysicien avec Malebranche, physicien et géomètre avec Newton, législa– teur avec le czar Pierre, homme d'état avec d'Argenson; il est tout avec tous; il est tout en chaque occasion; il ressemble à ce métal précieux, que la fonte de tous les métaux avoit formé. » La Harpe unit à l'éloge de Fontenelle une juste critique de sa manière d'écrire. << L'esprit de Fontenelle, dit-il, peut être considéré comme une espèce d'époque, en ce qu'il a marqué le passage du siècle de l'imagination à celui de la philosophie. Il apprit à ses contemporains l'esprit d'analyse et d'observation; et depuis on ne s'est pas contenté d'examiner, on a trop voulu détruire. Ce mérite rare, ces services rendus aux sciences et à l'esprit humain, sont sans doute dignes de louange; mais d'un autre côté, l'on ne peut nier que s'il a été un des premiers qui aient contribué aux progrès de la raison il a été aussi un des premiers corrupteurs du bon goût que le siècle de Louis XIV nous avoit transmis. L'affectation, l'abus de l'esprit, un mélange d'afféterie et de familiarité, d'expressions mignardes et de pensées trop déliées; tous ces défauts régnent plus ou moins dans tout ce qu'il a écrit, et font que son style, quoique très agréable, est à celui des bons écrivains de l'autre siècle, ce que la coquetterie la plus séduisante est aux graces naturelles. Fontenelle d'ailleurs a produit une foule d'ouvrages trèsmédiocres, et dans ses meilleurs, il ne s'est point élevé aux grandes beautés.» Peu de savans ont eu plus de gloire, et en ont joui

plus long-temps que Fontenelle. Malgré un tempérament peu robuste en apparence, il n'eut jamais de maladie considérable, pas même la petite vérole, Il n'eut, de la vieillesse, que la surdité et l'affoiblissement de la vue : encore cet affoiblissement ne se fit sentir qu'à l'âge de plus de 90 ans. Les facultés de son ame se sou→ tinrent encore mieux que celles de son corps. Il y eut toujours de la finesse dans ses pensées, du tour dans ses expressions, de la vivacité dans ses reparties, même jusques dans ses derniers momens. Il mourut le 9 janvier 1757, à cent ans moins un mois, avec cette sérénité d'ame qu'il avoit montrée pendant tout le cours de sa vie. Voilà, dit-il, la première mort que je vois. Son médecin lui ayant demandé s'il souffroit, il répondit : Je ne sens qu'une difficulté d'être. Aucun homme de lettres n'a joui de plus de considération dans le monde; il la devoit à la sagesse de sa conduite et à la décence de ses mœurs, autant qu'à ses ouvrages. Il portoit dans la société, de la douceur, de l'enjouement, et autant de politesse que d'esprit. Supérieur aux autres hommes, il ne montroit point sa supériorité; il savoit les supporter, comme s'il n'eût été que leur égal. Les hommes sont sots et méchans disoit-il quelquefois; mais tels qu'ils sont, j'ai à vivre avec eux, et je me le suis dit de bonne heure. On lui demandoit un jour : « Par quel art il s'étoit fait tant d'amis et pas un ennemi; » Par deux axiomes, répondit-il Tout est possible, et Tout le monde a raison. Il disoit souvent qu'il étoit l'ami des livres, mais l'ennemi des manuscrits, pour montrer qu'on pouvoit être indulgent pour

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les uns puisqu'ils étoient imprimés mais qu'on devoit de la sévérité aux autres avant leur publication. —JUSTICE et JusTESSE étoit sa devise. Ses amis lui reprochèrent plusieurs fois de manquer de sentiment: il est vrai qu'il n'étoit pas bon pour ceux qui demandent de la chaleur dans l'amitié; mais il faisoit par raison et par principes, ce que d'autres font par sentiment et par goût. Si son amitié n'étoit pas fort tendre ni fort vive elle n'en étoit que plus égale et plus constante. Il mettoit dans le commerce tout ce qu'on peut exiger d'un honnête homme, d'un galant homme, excepté ce degré d'intérêt qui rend malheureux, En amour il étoit plus galant que tendre: il vouloit paroître aimable, mais sans aucun desir sérieux d'aimer ni d'être aimé. On a retenu plusieurs des réponses jolies qu'il faisoit aux dames. Un jour qu'on montroit un bijou si délicat qu'on n'osoit le toucher il dit: Je n'aime point ce qu'il faut tant respecter; mais ayant apperçu Mad. de Flamarens, il ajouta Je ne dis pas cela pour vous, madame. Une jeune demoiselle, remplie d'esprit et de graces, disoit un jour à Fontenelle qui avoit demandé des bougies, quoiqu'il se plaignît que la lumière l'incommodoit: Mais, monsieur, on dit que vous aimez l'obscurité. Non pas où vous êtes, reprit le galant vieillard. La duchesse du Maine lui demanda un jour quelle différence il trouvoit entre une femme et un cadran ? - L'un, répondit-il, marque les heures; l'autre les fait oublier. Quoiqu'il n'ait pas senti l'amour, ni même aucune autre passion, il les connoissoit bien toutes; et c'est parce qu'il les

connoissoit, qu'il chercha à s'en défendre. L'un des successeurs de Fontenelle, dans la place de secrétaire de l'académie des Sciences, (de Condorcet) s'est fait un devoir de le justifier de la froide apathie qu'on lui a reprochée. « Il sortoit, dit-il, pour les autres, de cette négligence, de cette paresse qu'il se croyoit permis d'avoir pour ses propres intérêts. Son amitié étoit vraie et même active. Il connoissoit sur-tout les peines de la sensibilité, et il avoua qu'elles étoient les plus cruelles qu'il eût éprouvées, quoique les injustices qu'il avoit souvent essuyées dans la carrière des lettres, eussent fait sentir bien vivement les peines de l'amour propre à un homme qui auroit été moins philosophe. Il savoit obliger ses amis à leur insçu, disoit-il un jour avec plaisir à l'un d'eux, et leur laisser croire qu'ils ne devoient qu'à eux-mêmes, ce qu'il tenoit de son crédit, et de la juste considération qu'il avoit obtenue. Ce desir d'obliger ne l'abandonna pas dans les dernières années, de sa vie, et survécut même à l'affoiblissement de sa mémoire et de ses organes. Un de ses amis lui parloit un jour d'une affaire qu'il lui avoit recommandée Je vous demande pardon, lui dit Fontenelle n'avoir pas fait ce que je vous ai promis. Vous l'avez fait, répondit son ami, vous avezréussi, je viens vous remercier. - Eh bien, dit Fontenelle, je n'ai point oublié de faire votre affaire ; mais j'avois oublié que je l'eusse faite. Cependant on a cru Fontenelle insensible, parce que sachant maîtriser les mouvemens de son ame, il se conduisoit d'après son esprit, toujours juste et toujours sage. D'ailleurs, il avoit

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consenti sans peine à conserver cette réputation d'insensibilité; il avoit souffert les plaisanteries de ses sociétés sur sa froideur sans chercher à les détromper; parce que, bien sûr que ses vrais amis n'en seroient pas la dupe, il voyoit dans cette réputation un moyen commode de se délivrer des indifférens, sans blesser leur amour propre. » L'ambition n'eut jamais aucune prise sur Fontenelle; il en avoit vu les funestes effets dans le cardinal du Bois, qui venoit quelquefois chercher des consolations auprès de lui. Quelqu'un lui parlant un jour de la grande fortune que ce ministre avoit faite, pendant que lui, qui n'étoit pas moins aimé du prince-régent, n'en avoit fait aucune : Cela est vrai, rẻpondit le philosophe; mais je n'ai jamais eu besoin que le cardinal du Bois vint me consoler. Le duc d'Orléans avoit voulu le nommer président perpétuel de l'académie des Sciences. Lorsque ce prince parla de ce projet à Fontenelle Monseigneur, rẻpondit-il, ne m'ôtez pas la douceur de vivre avec mes égaux. Cependant cette place lui convenoit, autant par son caractère que par son esprit. Ami de l'ordre comme d'un moyen de conserver la paix; aimant la paix comme son premier besoin, il chérissoit trop son repos pour abuser de l'autorité. Sa modération, en faisant son bonheur, a sans doute contribué beaucoup à sa bonne santé et à sa longue vie. Ennemi des agitations insé→ parables des voyages, autant qu'ami de la vie sédentaire, il disoit ordinairement que le Sage tient peu de place et en change peu. Il ne se méloit guères de l'administration des états. Il di

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