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queftion de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idées font tirées de la fervitude, & viennent fur-tout de ce que l'empereur étant propriétaire de tous les biens, prefque tous les crimes fe font directement contre fes intérêts.

On punit de mort les menfonges qui fe font devant les magiftrats (a); chofe contraire à la défense naturelle.

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Ce qui n'a point l'apparence d'un crime, eft là févérement puni; par exemple, un homme qui hafarde de l'argent au jeu, eft puni de mort.

Il'eft vrai que le caractere étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, & qui brave tous les périls & tous les malheurs, femble à la premiere vue abfoudre fes légiflateurs de l'atrocité de leurs lois. Mais des gens qui naturellement méritent la mort, & qui s'ouvrent le ventre pour la moindre fantaisie, font-ils corrigés ou arrê rés par la vue continuelle des fupplices & ne s'y familiarifent-ils pas ?

Les relations nous difent, au fujet de l'éducation des Japonois, qu'il faut trai

(a) Recueil des voyages qui ont fervi à l'établis fement de la Compagnie des Indes, tome Ill. part 2. pag. 428.

ter les enfans avec douceur, parce qu'ils s'obstinent contre les peines; que les efclaves ne doivent point être trop rudement traités, parce qu'ils fe mettent d'abord en défense, Par l'efprit qui doit régner dans le gouvernement domeftique, n'auroit-on pas pu juger de celui qu'on devoit porter dans le gouvernement politique & civil?:

Un légiflateur fage auroit cherché à ramener les efprits par un jufte tempérament des peines & des récompenfes; par des maximes de philofophie, de morale, & de religion afforties à ces caracteres; par la jufte application des regles de l'honneur; par le fupplice de la honte; par la jouiffance, d'un bonheur conftant & d'une douce tranquillité. Et s'il avoit craint que les efprits, accoutumés à n'être arrêtés que par une peine cruelle, ne puffent plus l'être par une plus douce, il auroit agi (a) d'une maniere fourde & infenfible; il auroit dans les cas particuliers les plus graciables modéré la peine du crime jufqu'à ce qu'il eût pu parvenir à la modifier dans tous les cas.

- (a) Remarquez bien ceci, comme une maxime de pratique, dans les cas oùles efprits ont été gâtés par des peines trop rigoureuses.

Mais le defpotifme ne connoît point ces refforts; il ne mene pas par ces voies: il peut abufer de lui, mais c'est tout ce qu'il peut faire. Au Japon il a fait un effort; il eft devenu plus cruel que lui-même.

Des ames par-tout effarouchées & rendues plus atroces, n'ont pu être con duites que par une atrocité plus grande.'

Voilà l'origine, voilà l'esprit des lois du Japon. Mais elles ont eu plus de fureur que de force. Elles ont réuffi à détruire le chriftianifme; mais des efforts fi inouis font une preuve de leur impuiffance. Elles ont voulu établir une bonne police, & leur foibleffe a paru encore mieux.

Il faut lire la relation de l'entrevue de l'empereur & du deyro à Meaco (a). Le nombre de ceux qui y furent étouffés ou tués par des garnemens, fut incroyable on enleva les jeunes filles & les garçons; on les retrouvoit tous les jours expofés dans des lieux publics à des heures indues, tout nuds, coufus dans des facs de toile, afin qu'ils ne connuffent pas les lieux par où ils avoient

(a) Recueil des voyages qui ont servi à l'établis fement de la Compagnie des Indes, tome. V. p. 2

paffé; on vola tout ce qu'on voulut; on fendit le ventre à des chevaux, pour faire tomber ceux qui les montoient; on renverfa des voitures, pour dépouiller les dames. Les Hollandois à qui l'on dit qu'ils ne pouvoient paffer la nuit fur des échafauds, fans être affaffinés, en defcendirent, &c.

Je pafferai vîte fur un autre trait.. L'empereur adonné à des plaifirs infames, ne fe marioit point il couroit, rifque de mourir fans fucceffeur. Le deyro lui envoya deux filles très-belles. Il en époufa une par refpect, mais il n'eut aucun commerce avec elle. Sa nourrice fit chercher les plus belles femmes de l'empire; tout étoit inutile. La fille d'un armurier étonna son goût (a); il se détermina, il en eut un fils. Les dames de la cour, indignées de ce qu'il leur avoit préféré une perfonne d'une fi baffe naiffance, étoufferent l'enfant. Ce crime fut caché à l'empereur; il auroit versé un torrent de fang. L'atrocité des lois en empêche donc l'exécution. Lorfque la peine eft fans mefure, on eft souvent obligé de lui préférer l'impunité..

(a) Ibid.

CHAPITRE

XIV.

De l'efprit du fénat de Rome.

Ous le confulat d'Acilius Glabrio &

Sde Pifon, on fit la loi Acilia (a) pour

arrêter les brigues. Dion dit (b) que le fénat engagea les confuls à la propo fer, parce que le tribun C. Cornelius avoit réfolu de faire établir des peines terribles contre ce crime, à quoi le peuple étoit fort porté. Le fénat penfoit que des peines immodérées jetteroient bien la terreur dans les efprits mais qu'elles auroient cet effet, qu'on ne trouveroit plus perfonne pour accu fer, ni pour condamner; au lieu qu'en propofant des peines modiques, on au roit des juges & des accufateurs.

(a) Les coupables étoient condamnés à une amen de; ils ne pouvoient plus être admis dans l'ordre des fénateurs & nommés à aucune magiftrature. Dion liv. XXXVI.

(b) Ibid.

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