Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes... ALCESTE. Non, elle est générale, et je hais tous les hommes : Au travers de son masque on voit à plein le traître ; PHILINTE. Mon Dieu! des mœurs du temps mellons-nous moins en peine, 'Timon Atheniensis dictus proávçwns; interrogatus cur omnes homines odio prosequeretur: Malos, inquit, merito odi; cæteros ob id odi, quod malos non oderint. (Erasmi appohthegmata.) -La mi anthropie était, à ce qu'il paraît, assez fréquente dans l'antiquité; Platon en parle en ces termes, qui s'appliquent assez bien à Alceste: « La misanthropie, dit Platon, vient de ce qu'après > s'ètre beaucoup trop fié, sans aucun examen, à quelqu'un, et l'avoir cru tout » à fait sincère, honnête, et digne de confiance, on le trouve peu de temps > après méchant et infidèle, et tout autre encore dans une autre occasion; et > lorsque cela est arrivé à quelqu'un plusieurs fois, et surtout relativement à ceux > qu'il aurait crus ses plus intimes amis, après plusieurs mécomptes, il finit par › prendre en haine tous les hommes, et ne plus croire qu'il y ait rien d'honnête > dans aucun d'eux » Et faisons un peu grace à la nature humaine; ALCESTE. Mais ce flegme, monsieur, qui raisonnez si bien 1, Oui, je vois ces défauts, dont votre ame murmure, Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé ALCESTE. Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler, Sans que je sois... Morbleu ! je ne veux point parler, Tant ce raisonnement est plein d'impertinence! 'VAR. Mais ce flegme, monsieur, qui raisonne si bien. PHILINTE. Ma foi, vous ferez bien de garder le silence. ALCESTE. Je n'en donnerai point, c'est une chose dite. PHILINTE. Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ? ALCESTE. Qui je veux? La raison, mon bon droit, l'équité. PHILINTE Aucun juge par vous ne sera visité? ALCESTE. Non. Est-ce que ma cause est injuste ou douteuse? PHILINTE. J'en demeure d'accord: mais la brigue est fâcheuse, Et... ALCESTE. Non. J'ai résolu de n'en pas faire un pas Si les hommes auront assez d'effronterie, PHILINTE. Quel homme! ALCESTE. Je voudrois, m'en coutât-il grand'chose, Pour la beauté du fait, avoir perdu.ma cause 1. PHILINTE. On se riroit de vous, Alceste, tout de bon Si l'on vous entendoit parler de la façon. ALCESTE. Tant pis pour qui riroit. PHILINTE. Mais cette rectitude Que vous voulez en tout avec exactitude, Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le semble, 'Quelque tour qu'on donne à la chose, ou celui qui sollicite un juge l'exhorte à remplir son devoir, et alors il lui fait une insulte, ou il lui propose une acception de personnes, et alors il le veut séduire, puisque touts acception de personnes est un crime dans un juge, qui doit connoitre l'affaire et non les parties, et ne voir que l'ordre et la loi; or, je dis qu'engager un juge à faire une mauvaise action, c'est la faire soi-même, et qu'il vaut mieux perdre une cause juste, que de faire une mauvaise action. Cela est clair, net; il n'y a rien à répondre. (Jean-Jacques Rousseau.) 2 VAR. Vous avez pris chez lui ce qui charme vos yeux. ALCESTE. Non. L'amour que je sens pour cette jeune veuve Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve; Je confesse mon foible; elle a l'art de me plaire : Sa grace est la plus forte; et sans doute ma flamine PHILINTE. Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu. ALCESTE. Oui, parbleu! Je ne l'aimerois pas, si je ne croyois l'être. PHILINTE. Mais si son amitié pour vous se fait paroître, D'où vient que vos rivaux vous causent de l'ennui? ALCESTE. C'est qu'un cœur bien atteint veut qu'on soit tout à lui. Et je ne viens ici qu'à dessein de lui dire Tout ce que là-dessus ma passion in'inspire. PHILINTE. Pour moi, si je n'avois qu'à former des desirs, ALCESTE. Il est vrai ma raison me le dit chaque jour; PHILINTE. Je crains fort pour vos feux; et l'espoir où vous êtes SCÈNE II. ORONTE, ALCESTE, PHILINTE. ORONTE, à Alceste. J'ai su là-bas que, pour quelques emplettes, Éliante est sortie, et Célimène aussi. |