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Vous voyez, reprit gracieusement Voltaire, que nous venons de prendre un grand avantage sur lui il faut le conserver; il faut même le ser plus loin. << Bossuet, dirai - je, a rapporté le » songe de la princesse Palatine, il l'a donc cru. >> Croyons - le comme lui, malgré les railleries » qu'on en a faites. Quel témoin plus légal et plus » irréprochable pourrions-nous avoir de ce fait, » qu'un homme qui, sans cesse occupé de distin»guer la vérité de l'apparence, n'a été toute sa >> vie qu'un ergoteur et un disputeur.» (Quest. sur l'Enc., art. apparit. )

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Oui; un ergoteur et un disputeur: voilà tout Bossuet. Et qui n'a pas de style. Cessons donc d'en parler. L'oubli sera son partage en 2440: qu'il y soit condamné dès aujourd'hui, ainsi que tous les prétendus grands-hommes de son siècle.

Je ne pense pas comme vous, reprit doucement Voltaire ; j'ai vanté plusieurs fois le génie de Bossuet; c'est un homme dont le nom peut faire honneur à la bonne cause; il nous importe donc d'apprendre au public que dans le secret de son cœur il sacrifioit à la philosophie. - Et comment parviendrez-vous à faire d'un tel homme un philosophe du dix-huitième siècle? - Encore une fois, rien n'est plus aisé. « On prétend, dirai-je, >> que Bossuet avoit des sentimens philosophiques, » différens de sa théologie, à peu près comme un

>> savant magistrat, qui, jugeant selon la loi, s'é» lèveroit quelquefois au-dessus d'elle par la for>> ce de son génie. » La comparaison est noble et donne une haute idée de Bossuet. Il doit donc, ainsi que l'archevêque de Cambrai, être compté parmi les défenseurs de la raison. Il faut y joindre Massillon que j'appellerai un philosophe modéré et tolérant. (Sièc. de Louis XIV.)

Les compagnons de Voltaire se regardoient avec étonnement: ils ne se lassoient pas d'admirer l'adresse avec laquelle il venoit de faire tomber le masque de Chrétien, dont ces trois illustres écrivains s'étoient couverts. Il est certain que la philosophie seule pouvoit le leur arracher. Ce succès accrut la haute opinion qu'ils avoient de ses ressources : ils jugèrent que rien désormais ne lui seroit impossible.

Il restoit encore Pascal : qu'en ferons-nous? dirent-ils à Voltaire. - Ah! ah! Pascal,vous me faites rire. C'étoit un fou, un rêveur fanatique, un misantrope, un ennemi du genre humain, le ridicule maltre des nouveaux stoïques, et qui pis est, un homme toujours malade. C'est ainsi que je le peindrai dans les notes que je ferai sur ses Pensées, et dans plusieurs de mes ouvrages. Condorcet, je vous le recommande. « Ne vous » lassez point de répéter que depuis l'accident » du pont de Neuilly son cerveau étoit dérangé. »

« Il n'y a qu'une petite difficulté dans ce système,

comme

» comme le remarque M. l'abbé Bossut; ce cer» veau dérangé en 1654, produisit en 1656 les » Lettres provinciales, et en 1658 les solutions » des problêmes de la roulette. » Mais ce n'étoit pas de quoi effrayer un philosophe. J'obéirai, dit Condorcet ; l'édition que je dois donner des Pensées de ce fou, est toute prête: j'ai fait un choix comme vous pouvez bien le présumer: j'ai corrigé celles que je me propose de conserver et j'y ai semé quelques grains de philosophie, dont au grand scandale de la raison elles étoient dépourvues.

« Cet homme est digne de notre académie, » dit Voltaire à d'Alembert. (Corresp.)

Voici, continua Condorcet, une de mes découvertes : elle est des plus heureuses, prise dans le sens que je lui donne. Pascal dit : «< par les >> lumières naturelles nous sommes incapables de » connoître ce que Dieu est, ni s'il est.» Je jouerai l'étonné. «Il est bien étrange, m'écrierai»je que Pascal dise qu'on ne peut connoître par >> la raison si Dieu est.» (Not. sur les Pensées de Pascal.)

C'est fort bien, dit Voltaire. Je suis si charmé de cette petite réflexion, que je vous promets de lui donner du crédit en l'adoptant: je la fortifierai même par cette note ironique : «< ce ne peut être » qu'une inadvertence dans ce grand-homme. » (Not. sur les pens. de Pascal.) Ne nous en tenons

pas là pour mieux rabaisser notre fou, faisons voir que la raison peut démontrer l'existence de Dieu. (Ibid.) (*)

On rit beaucoup de cette innocente ruse, et Condorcet ajouta : « Il est beau, dirai-je dans

mes notes, de voir M. de Voltaire prendre con> tre Pascal la défense de l'existence de Dieu. >>

(*) Le chapitre que Voltaire et Condorcet ont si mal interprété, a pour titre: Qu'il est difficile de démontrer l'existence de Dieu par les lumières naturelles, mais que le plus sûr est de la croire. On sait que les titres sous lesquels ont été rangées les pensées de Pascal, ne sont pas de lui, mais des éditeurs. Celui-ci étoit fort différent dans les premières éditions; et la raison en est sensible pour quiconque a lu le chapitre entier : c'est qu'il n'a aucun rapport aux matières qui y sont traitées. Il est vrai que dans le cours de ce chapitre, Pascal déclare qu'il ne se sent pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des ATHÉES ENDURCIS: mais ce n'est pas là convenir qu'il est difficile de démontrer l'existence de Dieu, par les lumières naturelles. On trouve facilement des preuves démonstratives de l'existence de Dieu: mais ces preuves, quelque simples qu'elles soient, on a de la peine à les faire goûter à un athée endurci, parce qu'un tel athée s'est mis dans l'impuissance de les sentir. Son entendement est vicié et hors d'état de recevoir des vérités d'une certaine classe il faut, avant tout, qu'il travaille à le guérir. Pascal lui en présente un moyen également sûr et facile, qu'il ne peut refuser sans avoir renoncé complètement au sens commun. Je sais que Voltaire et l'auteur de l'Examen des apologistes de la religion, ont tâché de tourner en ridicule les raisonnemens qu'il fait sur ce sujet. Ce n'est pas à moi à les justifier: d'ailleurs la chose est inutile auprès des lecteurs qui ont de la droiture et du bon sens. Je remarquerai seulement que les deux philosophes dont je viens de parler n'ont pas entendu Pascal, ou plutôt qu'ils n'ont pas voulu l'entendre; ils avoient leurs raisons pour cela. (Voyez à la fin de cet ouvrage les Observations sur les notes dont Condorcet et Voltaire, ont accompagné les pensées de Pascal.)

D'Alembert admiroit ces élans du génie. « Cet » homme, dit-il à Voltaire, est très-supérieur à » Pascal (*). Il est destiné, répondit celui-ci, à

(*) Voici six vers de d'Alembert sur Pascal; ils sont dignes de ce géomètre-poëte; ils donneront une idée de la justice que les philosophes savent rendre à leurs ennemis, même en les louant.

Il joignit l'éloquence aux talens d'Uranie,
Mais bientôt à Dieu même immolant son génie,
Il vengea de la foi l'auguste obscurité :
O toi! religion, dont la sévérité
Enleva ce grand homme à la philosophie,

Permets du moins qu'il en soit regretté.

On a placé ces six vers au bas du portrait de Pascal, qui se trouvé à la tête de la collection de ses Œuvres, il étoit difficile de dire plus de sottises en si peu de mots.

A Dieu même. Pourquoi même! c'est une cheville. Immolant n'est pas le terme, il falloit consacrant. Pour immoler il faut détruire: or qui osera dire que Pascal, en consacrant à Dieu son génie, l'a anéanti! C'est depuis qu'il fut devenu plus religieux qu'il composa ces morceaux sublimes qu'on ne se lasse point d'admirer, et qu'il résolut les fameux problêmes de la roulette.

Il vengea de la foi l'auguste obscurité. N'y a-t-il que de l'obscurité dans la foi et dans ce que Pascal a écrit sur la religion, n'a-t-il fait que venger l'auguste obscurité qui environne quelques-uns de ses dogmes Le philosophe du dix-huitième siècle se montre dans ces expressions et dans les suivantes.

O toi religion dont la sévérité enleva se grand-homme à la philosophie. A quelle philosophie aux mathématiques ? cette science appartient à la philosophie, mais ce n'est pas là la philosophie, d'ailleurs Pascal y est revenu momentanément pour s'occuper des problêmes de la roulette : à cette prétendue philosophie qui a fait secte dans le siècle dernier ? Pascal l'a toujours eue en horreur, et il est un de ses plus terribles fléaux à la vraie phlosophie, à celle qui, suivant l'étymologie du nom, signifie amour

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