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été fini de notre chercheur de lippéc. Ou peut-être, sur son fumier, fût-il mort de sa belle mort, comme ce philosophe à barbe sale, providentiellement appelé Crassot, et qu'aucun libelle ne vint inquiéter dans l'exercice de son métier de parasite. Comment, en effet, aurait-on pu prendre en haine un homme d'un talent aussi inoffensif, partageant avec le cheval la faculté de plier et de redresser les oreilles à volonté, ce dont s'émerveillaient avec raison ses nombreux amphitryons?

II y avait loin de Montmaur au Diogène de Langres. Ce dernier était passé à l'état de « curiosité » : on le montrait comme on fait de quelque grotesque chinoiserie. L'autre, au contraire, avait une personnalité bien tranchée, agressive même : il n'était pas sans travers, mais il n'affichait que ceux de ses voisins. «C'étoit, dit Vigneul-Marville, un fort bel esprit, qui avoit de grands talents... Il avoit lu tous les bons auteurs de l'antiquité, et, aidé d'une prodigieuse mémoire, jointe à beaucoup de vivacité, il faisoit des applications heureuses de ce qu'il avoit remarqué de plus beau. Il est vrai que c'étoit toujours avec malignité... Son humeur satirique n'avoit point de bornes, et il étoit Lucien partout. Il en vouloit surtout aux méchants poëtes. » Malheur aux imprudents qui osaient l'attaquer ! Il les flagellait avec leurs propres verges. De là le sonnet si comiquement plaintif du poëte aux soixante-treize épigrammes:

On a fait des vers contre lui,
Pour le banuir des bonnes tables,
Et voilà, ces vers aujourd'hui
Lui sont devenus profitables.

Par cœur, il les a tous appris,

Et, devant les plus beaux esprits,
Il les débite avec audace.

De la malice il vient à bout :

Ce qu'elle a fait pour qu'on le chasse
Fait qu'il est bien reçu partout.

Le grand crime de Montmaur, -Dalibray l'avoue; était d'être plus recherché, plus fèté que Balzac et consorts, qui se complaisaient dans l'idolâtrie d'eux-mêmes, et envahissaient parfois la conversation au point de la faire dégénérer en un perpétuel et fatigant monologue. Quoi de plus naturel qu'on garde ses préférences pour le galant homme qui oublie discrètement ses vers ou sa prose au logis, et se contente de lancer un mot avec adresse et à propos? « A la familiarité de la table j'associe le plaisant a dit l'auteur des Essais. Il eût repoussé le Gélasime du Stichus, s'écriant: « A vendre des propos risibles! courage, enchérissez. Qui en veut pour un souper? qui, pour un dîner? » En revanche, il eût fait bon accueil à Montmaur.

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Ce parasite, puisque parasite il y a, — était né, selon Féramus, à Cahors, et selon Baluze, à Betaille, entre Tulle et Brives. Il avait étudié chez les jésuites, à Bordeaux. Orphelin besogneux, il s'était vu forcé, pour se créer des ressources et compléter son éducation, de se faire le commissionnaire de ses petits condisciples. Texte inépuisable pour M. Ménage de railleries charmantes et du meilleur goût. Les révérends pères tenaient en grande estime l'intelligence de Montmaur et l'auraient gardé dans leurs rangs, n'eût été sa mauvaise santé, car le métier de jésuite exige une constitution de soldat: le jésuitisme est-il autre chose que l'état de guerre? Montmaur quitta

donc Bordeaux et vint étudier le droit à Paris. Mais il abandonna bientôt la carrière du barreau, où il débuta par un échec, ce qui ne compromet en rien sa réputation d'homme d'esprit : nous en appelons à le Metel de Bois-Robert et à M. Thiers.

L'avocat désarçonné passe, en qualité de précepteur, dans la maison de Rocher de Choiseul, d'où il sort avec cinq bonnes mille livres de rente. Il devient finalement professeur royal en langue grecque, au lieu et place de Jean Goulu, qui, contre espèces sonnantes, lui résigne sa chaire. Il s'installe, en conséquence, au collège de Boncourt, rue Bordet, au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, - l'endroit le plus propice pour voir de quelle cheminée sort la fumée la plus grasse. Quelle situation merveilleuse pour un parasite! Aussi, à ce sujet, que de compliments narquois pleuvent sur lui! Mais, nous l'avons dit déjà, Montmaur sait se contenir. Il ne quitte pas son terrain de causeur au lieu de jeter ses ripostes sur le papier, il les jette en plein visage!

Il se rencontra des plumes généreuses qui se dévouèrent à sa défense, sans qu'il eût besoin de demander aide et protection. Nous ne citerons que Guéret, le père Vavasseur et le président Cousin. Ce dernier, il est vrai, cherchait une occasion de tirer vengeance de Ménage, qui avait vilipendé le traducteur de Procope, après son mariage, l'accusant

De n'avoir pas eu le pouvoir

De traduire une fille en femme.

Nous avons compté plus haut les ennemis de Montmaur. Résumons maintenant les griefs dont il a été chargé, crimes à part, car il lui en fut prêté. On l'a gratifié des accusations les plus saugrenues. On a été

jusqu'à lui reprocher « d'avoir mangé la chandelle que son père lui donnoit pour travailler; d'envier à la Renommée ses. cent bouches; de s'être fait une géographie par les viandes de chaque pays; de manger tout, même ses paroles; de préférer la quantité à la qualité; d'avoir gagné ceux qui gouvernent les horloges de la ville, afin que, les faisant marcher inégalement, il pût dîner en plusieurs maisons de suite; d'avoir dit que nos pères avoient appliqué aux repas le mot festins, de festinare, se hâter, parce qu'il faut se hâter d'y aller, et d'avoir arboré cette devise Qui me dessert me dessert. » On a même raconté qu'ayant laissé prendre par un chat une perdrix qu'il avait mise dans sa poche, au sortir de table,

Il dévora le chat pour manger la perdrix.

Autant d'attaques, autant de calomnies. Montmaur n'était pas gourmand, mais gourmet. Ce qui le prouve de la façon la plus victorieuse, c'est le mot que lui attribuent ses propres détracteurs. Un jour qu'il était en train de savourer des mets succulents et dont le parfum l'enivrait, une discussion s'éleva entre les convives et provoqua une tempête de voix discordantes :

Eh! messieurs, s'écria-t-il, un peu de silence, on ne sait ce qu'on mange.

Quoi de plus délicat et de plus fin! - Lorsque la paix fut rétablie, il fit une halte entre deux services et se passa la fantaisie de comparer la femme à la lune :

·Tant qu'elle est, dit-il, en conjonction avec le soleil, elle fait la retirée, mais aussitôt que messire Apollon s'éloigne, elle se découvre et se met à courir le guilledou aux yeux de tout le monde.

Bayle regrette qu'on n'ait pas recueilli tous les bons mots de Montmaur, comme on a fait des propos de table de Luther.

Celui qui disait à ses amphitryons : « Fournissez les viandes et le vin, je fournirai le sel »; le dernier des parasites, enfin, mourut le 7 septembre 1648. Sallengre lui consacre les quelques lignes suivantes, en manière d'épitaphe : « Il peut se vanter d'avoir été attaqué par des gens d'une profonde érudition, par des savants de premier ordre, en un mot, par les plus habiles gens de son temps, en sorte qu'il peut, en quelque façon, se consoler d'être mort, pour ainsi dire, d'une belle épée. » L'épée dont il s'agit est complétement innocente du trépas de Montmaur, qui avait, contre de pareilles atteintes, une cuirasse à toute épreuve, son esprit. Ce n'est ni Ménage, ni sa bande qui l'a tué : il est mort de ses soixante-quatorze ans. On peut, ce semble, à cet âge-là, plier bagage sans déshonneur.

Mais rentrons au cloître Notre-Dame. Les membres les plus assidus de la réunion sont Galland, Boivin, de Launay, Pinsson, Du Bos et l'abbé de Valois, qui notent, au profit de la postérité, les dires de l'auteur des Origines. On voit, à de longs intervalles, apparaître au milieu d'eux Catherinot, avocat du roi à Bourges, qui vient faire provision de bons mots pour parer aux ennuis de la province. Il se rend à Paris une fois l'an, afin d'interrompre « la prescription de la barbarie. N'oublions pas l'auteur des harangues du président Bailleul, Nublé, le plus chaleureux ami du maître de la maison, celui qui d'habitude ouvre et clôt les séances. Le voilà qui, l'heure de la retraite sonnée, s'éloigne avec le comte de Saint-Séran, qui n'a fait qu'une courte apparition et dont la voiture

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