Images de page
PDF
ePub

retour je le retirasse avec les intérêts? » C'est-à-dire : Pourquoi ne vous êtes-vous pas déchargé au pied de l'autel d'un fardeau que vous ne pouviez porter? car en gardant mon argent par une paresse et une timidité honteuse, qui vous a empêché de le mettre à profit, vous avez occupé la place d'un autre qui l'aurait fait profiter au double.

De même donc qu'un fidèle ministre se rend digne d'un rang plus élevé, ainsi celui qui approche indignement du calice du Seigneur, se rend coupable du corps et du sang du Seigneur. Tous ceux qui sont élevés à la dignité épiscopale, ne remplissent pas les devoirs d'un véritable évêque. Si vous jetez les yeux sur un saint Pierre, jetez-les aussi sur un Judas. Si vous considérez un saint Étienne, regardez en même temps un Nicolas, contre qui le Seigneur prononce dans l'Apocalypse une sentence de condamnation, et qui par les dogmes abominables qu'il a inventés, a donné naissance à l'hérésie des Nicolaïtes. Ce n'est donc qu'après s'être éprouvé soimême que l'on doit s'engager dans un si saint ministère : car les dignités ecclésiastiques ne font pas le chrétien. Corneille le Centenier, tout païen qu'il était, fut purifié par les dons du Saint-Esprit. Daniel, n'étant encore qu'un enfant, fut le juge des vieillards. L'esprit de prophétie se répandit tout d'un coup sur Amos, pendant qu'il s'occupait à cueillir des mûres sauvages. David, qui n'était qu'un berger, fut choisi de Dieu pour être le roi d'Israël, et Jésus-Christ aima toujours tendrement le plus jeune de ses apôtres. Mettez-vous, mon cher frère, à la dernière place, afin que l'on vous fasse monter plus haut, lorsqu'il arrivera quelqu'un moins distingué que vous. « Sur qui le Seigneur se repose-t-il, sinon sur les humbles et les pacifiques, qui écoutent sa parole avec une crainte respectueuse?» L'on exige davantage de celui à qui l'on a plus donné, « et les puissants seront puissamment tourmentés. » Et que l'on ne se flatte point d'une chasteté

purement extérieure, puisque les hommes doivent rendre compte, au jour du jugement, de toutes les paroles inutiles. qu'ils auront dites, et que c'est devenir coupable d'homicide que de dire des injures à son frère. Il n'est pas aisé de remplir la place d'un saint Paul, et de tenir le rang d'un saint Pierre, qui règnent maintenant avec Jésus-Christ. Ceux qui occupent un poste si élevé doivent toujours appréhender qu'un ange ne vienne « déchirer le voile de leur temple et ôter leur chandelier de son lieu. » Si vous avez dessein de bâtir une tour, examinez auparavant à quoi doit se monter l'ouvrage que vous entreprenez. Quand une fois le sel a perdu sa force, il n'est plus bon qu'à être jeté et foulé aux pieds par les pourceaux. Si un solitaire tombe, le prêtre priera pour lui; mais qui priera pour le prêtre, s'il vient lui-même à tomber?

Après m'être heureusement tiré de ces endroits remplis de tant d'écueils; après avoir conduit ma barque jusqu'en pleine mer, à travers tant de rochers tout couverts d'écume; après m'être débarrassé de toutes ces questions, il faut maintenant que je déploie toutes mes voiles, et qu'à l'exemple des matelots qui sont prêts à prendre terre, je jette des cris de joie sur la fin de mon discours. O désert toujours émaillé des fleurs de JésusChrist! O solitude d'où l'on tire les pierres qui servent à bâtir cette ville du grand roi dont parle saint Jean dans son Apocalypse! O terre inhabitée où l'on converse plus familièrement avec Dieu ! Que faites-vous dans le monde, mon frère, vous qui êtes plus grand que le monde ? Jusques à quand demeurerez-vous à l'ombre des maisons? Jusques à quand serez-vous enfermé dans des villes d'où s'élève sans cesse une noire fumée? Croyez-moi, il me semble être ici comme sous un nouveau ciel, déchargé que je suis du poids accablant de mon corps, je prends plaisir à m'envoler dans un air plus serein et plus épuré. Que craignez-vous dans la solitude? La pauvreté? Jésus

Christ appelle les pauvres bienheureux. Le travail? On ne couronne les athlètes qu'après qu'ils ont combattu jusqu'à se couvrir de sueur. Est-ce le soin de votre nourriture qui vous inquiète? La foi n'appréhende point la faim. Craignez-vous de coucher sur la dure, et de meurtrir votre corps déjà affaibli et desséché par une longue abstinence? Le Sauveur y reposera avec vous. Ne sauriezvous souffrir une tête malpropre et des cheveux négligés? Sachez que Jésus-Christ est la tête de l'homme. La vaste étendue d'une affreuse solitude vous fait-elle peur ? Vous n'avez qu'à vous promener en esprit dans le Paradis; dès que vous y aurez élevé vos pensées, vous ne serez plus dans le désert. Appréhendez-vous que faute de prendre le bain, votre peau ne se ride, et ne devienne trop rude? Quand une fois l'on a été lavé en Jésus-Christ, l'on n'a plus besoin de se laver davantage. En un mot, écoutez ce que saint Paul répond à toutes vos difficultés : « Toutes les souffrances de la vie présente, dit cet apôtre, n'ont aucune proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous. » Ah! mon frère, c'est trop aimer ce qui flatte les sens, que de vouloir goûter ici-bas toutes les douceurs de la terre et régner encore avec JésusChrist dans le ciel. Un jour viendra que ce corps mortel et corruptible sera revêtu de l'incorruptibilité et de l'immortalité. Heureux alors le serviteur que son maître aura trouvé veillant ! Vous serez alors comblé de joie, tandis que le bruit de la trompette jettera l'effroi dans l'âme de tous les peuples de la terre. Car, lorsque le Seigneur paraîtra pour juger le monde, l'on entendra retentir partout des cris lugubres et des hurlements effroyables. L'on verra toutes les nations dans une consternation générale, se frapper la poitrine, et donner partout des marques de leur douleur. L'on y verra ces rois autrefois si puissants et si redoutables, mais alors seuls et dépouillés de toute leur grandeur, trembler en la présence de leur juge. Vénus y paraîtra avec son fils Cupidon, et Jupiter

avec sa foudre. Platon, accompagné de ses disciples, passera alors pour un insensé, et Aristote, avec tous ses raisonnements, se verra confondu. Et vous, qui aurez toujours mené une vie pauvre et obscure, vous leur direz alors dans le transport de votre joie : «Voilà celui qui a été crucifié pour moi. Voilà mon juge, que l'on a vu crier dans une étable, couvert de méchants haillons. Voilà le fils d'un charpentier et d'une pauvre femme, qui ne vivaient que du travail de leurs mains. Voilà ce Dieu qui, étant encore dans le sein de sa mère, fut obligé de s'enfuir en Égypte, pour se dérober aux poursuites d'un homme mortel. Voilà ce Sauveur que l'on a vu couronné d'épines et revêtu de lambeaux de pourpre. Voilà ce magicien, ce possédé, ce Samaritain. Regardez, ô Juifs, ces mains que vous avez percées; considérez, Romains, ce côté que vous avez ouvert. Voyez si c'est là le même corps que ses disciples, à ce que vous prétendiez, enlevèrent secrètement durant la nuit.

[ocr errors]

L'amitié que j'ai pour vous, mon cher frère, m'a porté à vous écrire de la sorte, afin que vous puissiez un jour avoir part à cette félicité qui nous coûte aujourd'hui tant de travaux et tant de peines.

(Saint Jérôme. Lettre Ire.)

XIX. DE LA SOUFFRANCE.

AUGUSTIN A LARGUS.

Augustin salue en Jésus-Christ son très-saint fils le trèsillustre et très-excellent seigneur Largus.

J'ai reçu la lettre par laquelle vous me pressez de vous écrire. Et évidemment Votre Excellence ne me témoignerait pas un tel désir, si les choses dont je puis vous entretenir ne vous étaient agréables. Or, que puis-je vous dire sinon qu'il ne vous reste plus qu'à mépriser, après les avoir connus, les faux biens du siècle que vous avez pu désirer sans les connaître? En effet, toute la douceur qu'on y trouve est fausse; et le travail qu'on y emploie, infructueux. On y est toujours en crainte, et dans un état d'autant plus dangereux qu'on est parvenu à un plus haut degré d'élévation : il n'y a que l'inconsidération qui nous y engage, et la fin n'en peut être que le repentir. Voilà quels sont les biens de cette misérable vie, ce qui montre assez que la cupidité a toujours plus de part que la prudence au mouvement qui nous les fait rechercher. Oh! que ceux qui sont à Dieu ont d'autres espérances! qu'ils recueillent d'autres fruits de leurs travaux, et d'autres récompenses des périls auxquels ils s'exposent! car d'être en ce monde sans craintes, sans peines, sans travaux, et sans périls, c'est ce qui n'est pas possible. Mais il importe d'examiner quels motifs nous portent à endurer ces misères, quelle espérance nous y soutient, et à quoi elles se terminent.

Pour moi, quand je considère les amateurs de ce monde, je ne sais dans quel état il faudrait les prendre pour leur insinuer les vérités qui seraient nécessaires à

« PrécédentContinuer »