devienne myftique, on se perd à force de s'élever; en cherchant la grace, on renonce à la raifon : pour obtenir un don du Ciel, on en foule aux pieds un autre : en s'obftinant à vouloir qu'il nous éclaire, on s'ôte les lumieres qu'il nous a données. Ce qui donne le plus d'éloignement pour les Dévots de profeffion, c'eft cette âpreté de mœurs, qui les rend infenfibles à l'Humanité ; c'eft cet orgueil excef fif qui leur fait regarder en pitié le refte du monde. Dans leur élévation fublime s'ils daignent s'abaiffer à quelque acte de bonté, c'eft d'une maniere fi humiliante; ils plaignent les autres d'un ton fi cruel; leur juftice eft fi rigoureufe, leur charité eft fi dure, leur zèle eft fi amer, leur mépris reffemble fi fort à la haine, que l'infenfibilité même des gens du monde eft moins barbare que leur commifération. L'amour de Dieu leur fert d'excufe pour n'aimer perfonne; ils ne s'aiment pas même l'un l'autre : vit-on jamais d'amitié véritable entre ces Dévots ? Mais plus ils fe détachent des hommes, plus ils en exigent; & l'on diroit qu'ils ne s'élevent à Dieu, que pour exercer for autorité fur la terre. Il eft impoffible que l'intolérance n'endurciffe l'ame. Comment chérir tendrement les gens qu'on réprouve? Les aimer, ce feroit haïr Dieu qui les punit. Ah! n'ouvrons point fi légerement l'Enfer à nos freres: jugeons les actions, & non pas les hommes. Si l'Enfer étoit deftiné pour ceux qui fe trompent, quel mortel pourroit l'éviter? Je n'aime point qu'on affiche la dévotion par un extérieur affecté, & comme une espece d'emploi qui difpenfe de tout autre. Madame Guyon eût mieux fait, ce me femble, de remplir avec foin fes devoirs de mere de famille, d'élever chrétiennement fes enfans, de gouverner fagement fa maifon, que d'aller compofer des Livres de dévotion, dif puter avec des Evêques, & fe faire mettre à la Baftille pour des rêveries où l'on ne comprend rien. Je n'aime point non plus ce langage myftique & figuré, qui nourrit le cœur des chimeres de l'imagination, & fubftitue au véritable amour de Dieu, des fentimens imités de l'amour terreftre, & trop propres à le réveiller. Plus on a le cœur tendre & l'imagination vive, plus on doit éviter ce qui tend à les émouvoir; car enfin, comment voir les rapports de l'objet myftique, fi l'on ne voit auffi l'objet fenfuel? & comment une honnête femme ofe-t-elle imaginer avec affurance, des objets qu'elle n'oseroit regarder? Il y a des gens qui fe bornent à une religion extérieure & manierée qui, fans toucher le cœur, raffure la confcience; à de fimples formules: ils croient exactement en Dieu à certaines heures. pour n'y plus penfer le refte du tems.: Scrupuleufement attachés au culte public, ils n'en fçavent rien tirer pour la pratique de la vie. Ne pouvant accorder l'efprit du monde avec l'Evangle, ni la foi avec les œuvres, ils prennent un milieu qui contente leur vaine fageffe; ils, ont des maximes pour croire, & d'autres pour agir; ils oublient dans un lieu ce qu'ils avoient penfé dans l'autre ; ils font Dévots à l'Eglife, & Philofophes au logis. Alors ils ne font rien nulle part; leurs prieres ne font que des mots, leurs raifonnemens des fophifmes, & ils fuivent, pour toute lumiere, la fauffe lueur des feux errans qui les guident pour les perdre. Le fanatifme n'eft pas une erreur, mais une fureur aveugle & ftupide que la rai fon ne retient jamais. L'unique fecret pour l'empêcher de naître, eft de contenir ceux qui l'excitent. Vous avez beau démontrer à dés fous que leurs chefs les trompent, ils n'en font pas moins ardens à les fuivre. Que fi le fanatifme exifte une fois, je ne vois encore qu'un feul moyen. d'arrêter fes progrès : c'eft d'employer contre lui fes propres armes. Il ne s'agit ni de raifonner ni de convaincre; il faut laiffer là la Philofophie, fermer les Livres, prendre le glaive & punir les fourbes. DE L'IR RELIGION, 'OUBLI de toute Religion conduit à l'oubli de tous les devoirs de l'homme, DE combien de douceurs n'eft pas privé celui à qui la Religion manque ? Quel fentiment peut le confoler dans fes peines? Quel fpectateur anime les bonnes actions qu'il fait en fecret? Quelle voix peut parler au fond de fon ame? Quel prix peut-il attendre de fa vertu ? Comment doit-il envifager la mort ?. L'ABUS du fçavoir produit l'incrédulité. Tout fçavant dédaigne le fentiinent vulgaire ; chacun en veut avoir un à foi L'orgueilleuse philofophie mene à l'efprit fort, comme l'aveugle dévotion mene au fanatifme. Evitez ces extrémités; reftez toujours ferme dans la voie de la vérité, & de ce qui vous paroîtra l'être, dans la fimplicité de votre cœur, fans jamais vous en détourner par vanité ni par foibleffe. Ofez confeffer Dieu chez les Philofophes; ofez prêcher l'humanité aux intolérans. Dites ce qui eft vrai, faites ce qui eft bien : ce qui importe à l'homme, c'eft de remplir fes devoirs fur la terre ; & c'eft en s'oubliant qu'on trayaille pour foi. par AH! quel argument contre l'incrédule que la vie du vrai Chrétien! Y a-t-il quelque ame à l'épreuve de celui-là? Quel tableau pour fon cœur, quand fes amis, fes enfans, fa femme concourront tous à l'inftruire en l'édifiant! quand, fans lui prêcher Dieu dans leurs difcours ils le lui montreront dans les actions qu'il inspire, dans les vertus dont il eft l'Au→ teur, dans le charme qu'on trouve à lui plaire! quand il verra briller l'image du Ciel dans fa maison; quand une fois le jour il fera forcé de fe dire: non, l'homme n'eft pas ainfi par lui-même ; quelque chofe de plus qu'humain regne ici! |