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corrompre ce pouvoir, jufqu'à le faire changer de nature, n'est-ce pas un crime de lèfe- majesté contre lui?

CHAPITRE VII I.

Danger de la corruption du principe du gouvernement monarchique.

L'INCONVENIENT n'eft pas lorsque l'état paffe

d'un gouvernement modéré à un gouvernement modéré; comme de la république à la monarchie, ou de la monarchie à la république; mais quand il tombe & fe précipite du gouvernement modéré au defpotisme.

La plupart des peuples d'Europe font encore gouvernés par les moeurs. Mais, fi par un long abus du pouvoir, fi par une grande conquête, le defpotifme s'établiffoit à un certain point, il n'y auroit pas de mœurs ni de climat qui tinffent; & dans cette belle partie du monde la nature humaine fouffriroit, au moins pour un tems, les infultes qu'on lui fait dans les trois autres,

CHAPITRE IX.

Combien la nobleffe eft portée à défendre

le trône.

LA nobleffe Angloife s'enfevelit avec Charles.

premier fous les débris du trône; & avant cela, lorfque Philippe fecond fit entendre aux oreilles des François le mot de liberté, la couronne fut toujours foutenue par cette nobleffe, qui tient à honneur d'obéir à un roi, mais qui regarde comme la fouveraine infamie de partager la puiffance avec le peuple.

On a vu la maifon d'Autriche travailler fans relâche à opprimer la nobleffe Hongroife. Elle ignoroit de quel prix elle lui feroit quelque jour. Elle cherchoit chez ces peuples de l'argent qui n'y étoit pas; elle ne voyoit pas des hommes qui y étoient. Lorfque tant de princes partageoient entr'eux fes états, toutes les pièces de fa monarchie immobiles & fans action tomboient, pour ainsi dire, les unes fur les autres. Il n'y avoit de vie que dans cette nobleffe qui s'indigna, oublia tout pour combattre, & crut qu'il étoit de fa gloire de périr & de pardonner,

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CHAPITRE X.

De la corruption du principe du gouverà nement defpotique.

LE principe du gouvernement defpotique fe

corrompt fans ceffe, parce qu'il eft corrompu par fa nature. Les autres gouvernemens périffent, parce que des accidens particuliers en violent le principe; celui-ci périt par fon vice intérieur, lorfque quelques caufes accidentelles n'empêchent point fon principe de fe corrompre. Il ne fe maintient donc que quand des circonftances, tirées du climat, de la religion, de la fituation ou du génie du peuple, le forcent à suivre quelqu'ordre, & à fouffrir quelque règle. Ces chofes forcent fa nature, fans la changer; fa férocité refte; elle eft, pour quelque tems, apprivoisée.

CHAPITRE XI.

Effets naturels de la bonté & de la corruption des principes.

LORSQUE les principes du gouvernement font

une fois corrompus, les meilleures loix deviennent

mauvailes,

deviennent mauvaises, & fe tournent contre l'état; lorfque les principes en font fains, les mauvaises ont l'effet des bonnes; la force du principe entraîne tout.

Les Crétois, pour tenir les premiers magiftrats dans la dépendance des loix, employoient un moyen bien fingulier; c'étoit celui de l'infurrection. Une partie des citoyens fe foule voit, mettoit en fuite les magiftrats, & les obligeoit de rentrer dans la condition privée. Cela étoit cenfé fait en conféquence de la loi. Une inftitution pareille, qui établiffoit la fédition pour empêcher l'abus du pouvoir, fembloit devoir renverfer quelque république que ce fût; elle ne détruifit pas celle de Crète. Voici pourquoi.

Lorfque les anciens vouloient parler d'un peuple qui avoit le plus grand amour pour la patrie, ils citoient les Crétois : La patrie, difoit Platon, nom fi tendre aux Crétois. Ils l'appelloient d'un nom qui exprime l'amour d'une mere pour les enfans. Or l'amour de la patrie corrige tout.

Les loix de Pologne ont auffi leur infurrection. Mais les inconvéniens qui en réfuitent, font bien voir que le feul peuple de Crète étoit en état d'employer avec fuccès un pareil remède.

Les exercices de la gymnaftique, établis chez les Grecs, ne dépendirent pas moins de la bonté du principe du gouvernement « Ce furent les La» cédémoniens & les Crétois, dit Platon, qui ou Tome I.

I

»vrirent ces académies fameufes, qui leur firent » tenir dans le monde un rang fi diftingué. La

pudeur s'alarma d'abord; mais elle céda à » l'utilité publique. » Du tems de Platon, ces inftitutions étoient admirables; elles fe rapportoient à un grand objet, qui étoit l'art militaire. Mais lorsque les Grecs n'eurent plus de vertu, elles détruifirent l'art militaire même ; on ne defcendit plus fur l'arene pour fe former, mais pour le corrompre.

Plutarque nous dit que de fon tems les Romains penfoient que ces jeux avoient été la principale caufe de la fervitude où étoient tombés les Grecs. C'étoit, au contraire, la fervitade des Grecs qui avoit corrompu ces exercices. Du tems de Plutarque, les parcs où l'on combattoit à nud, & les jeux de la lutte doient les jeunes gens laches, les portoient à & n'en faifoient que des un amour infame " baladins. Mais du tems d'Epaminondas, l'exetcice de la lutte faifoit gagner aux Thébains la bataille de Leuctres.

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Il y a peu de loix qui ne foient bonnes, lorf que l'état n'a point perdu fes principes;

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&

comme difoit Epicure, en parlant des richeffes, ce n'eft point la liqueur qui eft corrompue, c'eft le vafe.

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