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M. Rau a cependant fait ingénieusement remarquer qu'un droit d'enregistrement se justifie tout à la fois dans une certaine mesure par le service rendu qui résulte de l'enregistrement lui-même, et peut-être aussi par l'intention d'atteindre ainsi la circulation de la richesse mobilière, qu'on n'espérait pas frapper autrement (1). Son opinion plus réservée sait distinguer l'usage modéré de l'impôt d'avec son abus.

ESQ. DE PARIEU.

(1) Cela a été au moins le cas spécial des droits de succession en ligne directe, qu'on a proposé, en 1840, dans le canton de Vaud, de faire porter seulement sur les successions mobilières. (Des Impôts dans le canton de Vaud, par J. Philippon, p. 42.)

UNE PÉTITION DE 1823

L'imagination invente-t-elle? Plongeant au-delà du réel, a-t-elle l'étrange et grand pouvoir d'appeler le néant à la vie; ou bien n'estelle qu'une mémoire active qui combine et devine, recueille et assemble? Philosophi certant. On en dispute en effet dans l'école. Les poëtes, qui ne les en bénit, défendent leur Muse et leur mère. « La feinte est un pays plein de terres désertes,» disait Lafontaine en des vers gracieux qu'on se rappelle. Terres désertes! s'écrient le souvenir songeur, l'expérience désenchantée; terres peuplées! au contraire, peuplées par la raison, par la folie et la sottise humaines, reines inégales, reines absolues du monde. Après elles, pas un coin qui ne soit rempli, comblé, semé, moissonné. La réalité, voilà l'universelle pourvoyeuse. L'art, la littérature à leur tour ne sont qu'une physiocratie. Faudrat-il nous en plaindre? Non. Si le charme de l'invention s'affaiblit, tout possède en revanche ou tout revendique l'autorité de l'événement accompli, l'autorité de l'histoire.

Il est bien vrai qu'à parcourir ces mille replis de la réalité où l'on s'en va passant sans cesse de l'obscur à l'éclatant, du grandiose à l'imperceptible; à suivre des yeux ces feuillets si pleins et tournés si vite du « livre suprême, » on demeure saisi d'une surprise inépuisable sous le coup des simplicités et des hardiesses, de l'odieux et du ridicule poussés jusqu'au miracle, de l'impossible incessamment exécuté, de l'imprévu toujours réussi. Le romancier a raison, c'est bien ici la Comédie Humaine, mais le poëte est sans pareil. Drames ou bluettes bouffonnes, pièces immenses et levers de rideau s'accompagnent, se cotoient, se succèdent, à la fois, tour à tour, sur cent théâtres ouverts, dans le temps reflet de l'espace, dans l'espace reflet du temps. Sans relâche, court et se déroule la représentation éternelle. L'Histoire est le livret, livret posthume, et le titre, c'est le mot fameux : « Tout

arrive. »

Tout arrive, et en effet, pour l'imagination, qu'est-ce que le vrai? Le réel vingt fois rebattu. Et l'invraisemblable? Le réel qui débute. L'absurde enfin, l'inacceptable? Le réel qu'on n'a pas vu encore. Tout s'est dit, tout s'est fait, tout s'est soutenu, demandé, obtenu, nié, admiré,

combattu; tout, dis-je, l'a été ou va l'être. Les gouvernements périssent. Ils renaissent. La liberté passe de flux en reflux, par caprice. Tel dogme de droit populaire s'affirmera quand il n'est pas; s'infirmera quand il fonctionne. Les Incroyables du Directoire marchaient, vivaient, plaisaient, passaient, qu'on s'en souvienne, au moment où ils s'appelaient les Incroyables. » Ainsi de toutes choses. Et qui ne s'est dit cent fois à propos de l'art ou des lettres, de la politique et de la guerre, de l'adulation honteuse, de l'orgueil insolent, de la sottise profonde, de l'intérêt et de l'intolérance implacables, que les « Incroyables » les plus étranges et les plus méconnus n'ont pas toujours été ceux du costume?

Comme tous les autres, est-il besoin de faire cette facile confession, le domaine économique a compté ses folies. La plupart sont devenues ici des lieux communs, et tout ce qu'on en peut dire, c'est que plût à Dieu qu'elles le fussent partout de même. On sait par quelle terrible, par quelle plaisante peinture d'une fantastique anarchie industrielle l'un des Séguiers combattait la pensée de la suppression des corporations. A l'apparition des toiles peintes, les calicots français ont porté leurs larmes aux pieds du trône. Law a vécu. Les assignats ont péri; sous d'autres noms on y croit, on les préconise encore. M. de Saint-Cricq a été ministre, et il était dépassé par sa chambre. M. de Saint-Chamans s'est sérieusement, s'est respectueusement découvert devant les bienfaits économiques de la guerre, de l'inondation, de l'incendie. Enfin n'assistons-nous pas les derniers, au milieu passé du XIXe siècle, à l'immense, à l'incomprise, à l'incroyable mystification qui s'est appelée le système protecteur? Ici encore donc, tout s'est dit, tout s'est fait, tout s'est demandé, obtenu, défendu : Tout arrive. Mais alors à quoi bon imaginer, et est-il vrai qu'on imagine?

Ces réflexions nous étaient inspirées, ces derniers jours, par la lecture, lecture nouvelle après un long intervalle, d'un opuscule charmant de Bastiat, que tout le monde connaît, et par un souvenir trouvé par hasard, qui pour nous s'y rattache. L'opuscule, c'est la Pétition devenue célèbre des marchands de chandelles, bougies, mouchettes, éteignoirs, etc., contre la lumière du jour. Le souvenir, on va le lire : il fait l'objet même de cet article.

Certes, parmi tous les lecteurs, et ils sont nombreux, qu'a comptés l'amusante pétition de Bastiat, il en est peu, avouons-le sans peine, qui n'en aient fait purement honneur à son imagination et à sa malice. Et

alors, pendant que d'un côté on riait, mais comme au théâtre, que prouvent, disait-on aigrement de l'autre, que prouvent de pareilles billevesées? La charge n'est pas la critique, et, auprès du gros du public, la guerre des moulins à vent n'a pas, que nous sachions, fait grand honneur à don Quichotte.

En vérité, nous faut-il dire à notre tour, est-il donc si sûr que cette pétition merveilleuse soit une œuvre de pure fantaisie; si sûr que la réalité n'ait pas relevé d'avance le double défi de ce doute indulgent, de cette confiante amertume?

On la trouve invraisemblable? Soit, mon Dieu, nous conviendrons qu'elle n'est pas de celles pour qui les précédents abondent. Folle, inouie, impossible? Eh bien! oui, cela veut dire, nous le savons, qu'on ne l'a pas vue encore. Mais quel témoin pourtant, quel garant que cette incomparable histoire douanière dont nous avons pu voir de nos yeux se jouer de si curieux chapitres ! Quels indices que ces discours, que ces écrits surprenants d'hommes d'Etat, de publicistes, d'orateurs, d'industriels, qui l'ont faite ou soutenue, et comme c'est bien à leur propos que ce mot vient à tout moment sur les lèvres : A quoi bon imaginer, et est-il vrai qu'on imagine?

Eh quoi! pétitionner, par exemple, contre les oranges du Portugal parce que plus de soleil les mûrit, contre les épices de Java parce que plus de soleil les brûle, contre le sucre de Cuba ou du Brésil parce que plus de soleil l'enfante, n'était-ce pas, insidieusement et par surprise, mais indéniablement, pétitionner contre le soleil? Et qui de nous, enfin, si on le pressait un peu, ne se hasarderait à indiquer du doigt à quelles portes il faut frapper, quelles pages compulser, quelles mains ouvrir?

Ainsi la vérité s'annonce; on la pressent. Elle aussi vient souvent précédée de son ombre. Déjà, sans trahir des recherches qui se poursuivent, il est devenu permis de dire qu'on est manifestement sur la voie. Encore un pas, un effort, et la pétition directe, loyale, réclamée par l'honneur de l'opinion protectionniste, est trouvée. Qui sait si le grand jour n'est point proche?

En attendant, et afin d'assurer autant qu'il est en nous patience et créance à la pétition contre la lumière du jour à bon droit, et à bon droit impatiemment attendue, nous apporterons aujourd'hui, comme acheminement et comme exemple, le souvenir que nous venons d'annoncer. Élément considérable de notre conviction, et qui certes le sera pour bien d'autres, ce souvenir n'est rien moins qu'une pétition rivale,

rivale à coup sûr non méprisable; non pas, nous le voulons, la plus étonnante et la plus étourdissante,» mais étonnante assurément, possédant l'avantage immense, réclamé, envié, respecté, d'être réellé, historique, incontestable, d'avoir été écrite, signée, adressée à la vraie chambre des députés de la Restauration, lue, écoutée, « rapportée » à la tribune française, comme disait le barbarisme parlementaire, et d'y avoir bien réellement trouvé, mais non sans conteste, ainsi qu'en témoigne à tout jamais le Moniteur universel, l'accueil même qui n'eût pas manqué alors à la plus sensée, à la plus solide pétition libre-échangiste.

Nous la placerons sous le titre qu'elle revendique en lui donnant celui-ci :

PÉTITION DE L'HUILE ET DES GRAINES OLÉAGINEUSES CONTRE L'ÉCLAIRAGE au gaz.

Ici, qu'on nous pardonne un peu de mise en scène : cette mise en scène est de droit. Il s'agit en effet d'un de ces petits drames humains dont nous parlions tout à l'heure. Unité de lieu et de temps, chœur et personnages, simplicité et vivacité d'action, intérêt et moralité, rien n'y manque; tout y importe. Un mot donc, un mot rapide sur tout cela.

Le lieu, nous l'avons dit, c'est le palais législatif de la Restauration. Combien d'acteurs ont foulé ce théâtre, brillants ou vulgaires, héros ou comparses! sans compter, hélas! les multitudes; que d'animosités et d'injustice! que de luttes et que de regrets!

Le temps, c'était en 1823, le 22 février, à dix-neuf mois de la mort du roi Louis XVIII, à cinq semaines de l'expédition d'Espagne, et juste quatre jours avant ce rappel à l'ordre de Manuel, qui devait aboutir, le 4 mars, à son expulsion par la force et à l'impolitique sécession de la gauche. On voit s'il s'agit en effet d'un lever de rideau, et si les grandes pièces étaient proches.

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Le chœur quel jour, quel événement n'a eu le sien, humble ou sans nombre, indifférent ou ému, généreux ou lâche? - Le chœur donc, on le connaît. C'était cette chambre « véhémente,» ainsi que nommée un orateur historien de nos jours, qui venait en 1821, en 1822, de renforcer sur des proportions exorbitantes et l'Echelle mobile des grains et le tarif des filés et des laines, les droits sur les bestiaux et la protection des houilles et des fers. De toutes parts, dans son sein, s'exaltait l'esprit prohibitionniste. De toutes parts, au dehors, ses doc

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