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On louoit beaucoup, devant Annibal Carache, Je beau grouppe de Laocoon, chef-d'œuvre de fculpture antique. Cet artifte ne difoit mot. Comme on en parut étonné, il prit un crayon ́, & le deffina contre la muraille de la falle, auffi exac &tement que s'il l'avoit devant les yeux, & en fit, par ce moyen, le plus bel éloge. Les Poëtes, dit-il, peignent avec la parole, & les peintres parlent avec le pinceau.

Un Peintre avoit repréfenté un enfant tenant une corbeille de fruits. Quelqu'un, pour vanter le tableau, difoit que ces fruits paroiffoient fi naturels, que les oifeaux venoient les béqueter. Un payfan de bon fens, qui écoutoit ces louanges, répondit: Affurément, fi les fruits font fi bien repré-. fentés, l'enfant ne l'eft guère. En effet, il falloit fuppofer que la figure fit bien mal-peinte, puifque les oifeaux n'en avoient point peur.

Deux Cardinaux reprochoient à Raphaël, d'avoir, dans un grand tableau, peint les vifages de faint Pierre & de faint Paul trop rouges. Meffeigneurs, leur répondit cet artifte offenfé de la critique, n'en foyez, pas étonnés ; je les ai peints ainfi qu'ils font au Ciel. Cette rougeur leur vient de la honte qu'ils ont de voir l'Eglife auffi mal gouvernée.

Un Peintre Italien, qui avoit une petite vengeance à exercer contre un Cardinal, le peignit „dans un tableau du jugement dernier, au milieu des damnés. Le portrait étoit fi reffemblant, qu'il n'étoit pas poffible de s'y méprendre. Ce Cardinal fit fes plaintes; mais le Peintre, qui ne vouloit rien changer à fon tableau, répondit à ceux qui s'intérefloient pour le Cardinal, que s'il eût été dans le purgatoire, les prières que l'on faifoit pour lui auroient pu l'en tirer, mais que puifqu'il étoit dans l'enfer, son fort étoit décidé.

Rembrant, Peintre Flamand, s'écarta toujours de la manière fine & léchée, fi ordinaire aux Peintres de fon pays. Quelqu'un lui reprochant un jour

que fa façon d'employer les couleurs rendoit fes tableaux raboteux, il répondit qu'il étoit peintre, & non teinturier.

Guillaume Hogarth, mort depuis peu en Angleterre, s'étoit acquis beaucoup de réputation dans fa patrie, par la inanière toujours vraie, piquante, inftructive, & fouvent pathétique, avec laquelle il peignoit les mœurs de fes concitoyens. On voit de lui une eftampe qui repréfente, avec toute l'énergie poffible, les différents tourments qu'on fait éprouver en Angleterre aux animaux. Un charretier fouettoit un jour fes chevaux avec beau→ coup de dureté ; un homme qui paffoit dans la rue, & qui fut touché de pitié pour ces animaux, ditau charretier: Miférable! tu n'as donc jamais vu l'eftampe d'Hogarth?

Il y a des allégories que l'on peut mettre au nombre des facéties, mais qui quelquefois n'en font pas moins fignificatives. Un Peintre, qui connoiffoit le fort de ceux qui plaident, pour l'avoir éprouvé, avoit deux plaideurs à représenter; l'un avoit réuffi dans fon procès, l'autre l'avoit perdu. Il représenta le premier en chemife, & le fecond nud.

Onrapporte quelques tours d'adreffe des peintres pour fe faire payer des portraits qui leur avoient été commandés. Un Peintre gardoit chez lui le portrait d'un homme fort noir, qui ne l'avoit point payé. Laffé d'attendre, il dit un jour: Monfieur, fi vous ne retirez votre portrait, l'hôte de la tête noire me le demande.

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Un homme fort laid, s'étoit fait peindre en pied, & ne vouloit pas donner le prix convenu. Le Peintre lui dit: Eh bien! Monfieur, je garderai votre figure. Qu'en ferez-vous? Je n'en fuis pas embarraffé, repartit le peintre, je lui mettrai une queue, & ce fera le tableau d'un finge habillé : je fais à qui le vendre.

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Un autre Peintre, ou peut-être le même, avoit tiré, d'après nature, un homme de condition qui

le chicanoit fur le prix. Le Peintre, piqué de ce procédé, peignit des barreaux de fer fur le portrait. La perfonne, dont il étoit aifé de difcerner tous les traits, paroiffoit être en prifon. Le Peintre mit au bas du tableau: Au pauvre prifonnier.

Un barbouilleur, qui étoit curieux de paffer pour peintre, vouloit décorer une falle. Il répétoit toujours qu'il la feroit blanchir, & qu'il la peindroit enfuite. Quelqu'un lui dit qu'il avoit un meilleur confeil à lui donner : C'étoit de commencer par peindre cette falle, & de la faire blanchir enfuite.

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PELERINAGE.

IES pélerinages étoient une dévotion du feizième fiècle. Une Reine de France, que l'on croit être Catherine de Médicis, fit vou, que fi elle terminoit heureusement une entreprise, elle enverroit à Jérufalem un pélerin qui en feroit le chemin à pied, en avançant de trois pas, & en reculant d'un pas à chaque troifième pas. Il fut question de trouver un homme affez vigoureux pour entreprendre le voyage à pied, & affez patient pour reculer d'un pas fur trois. Un bourgeois de Verbexie fe préfenta, & promit d'accomplir fcrupuleufement le vou. La Reine accepta l'offre, & lui promit une récompenfe. Celui-ci remplit fes engagements avec un fcrupule dont la Reine fut affurée par des perquifitions. Le bourgeois qui étoit marchand de profeffion, reçut une fomme en récompense, & fut ennobli. On lui donna des armes écartelées d'une croix de Jérufalem, & d'une palme. Ses defcendants ont confervé les armes; mais ils ont dérogé, en continuant le commerce que leur père avoit ceffé d'exercer. Ce fait eft rapporté dans la nouvelle Hiftoire du Duché de Valois. L'auteur le cite comme une preuve que les ufages les

plus refpectables font quelquefois autant expofés au ridicule, que les abus réels.

PEUR.

PLUSIEU

LUSIEURS perfonnes qui lifent Homère, font choquées de la fuite d'Hector à la première vue d'Achille, au vingt-deuxième livre de l'Iliade. Mais Homère, qui avoit bien étudié les hommes, n'ignoroit pas que le courage abandonne facile ment celui qui a une certitude abfolue qu'il va périr: or, c'est le cas où fe trouvoit Hector vis-àvis l'invincible Achille. Quelqu'un félicitoit un jour Mylord Peterborowgh de n'avoir jamais eu peur, «Monfieur » répondit-il « montrez-moi un » danger que je croie prochain & réel, & je vous » promets d'avoir autant de peur qu'aucun de

» vous. "

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PHYSIO NO MIE.

LA phyfionomie n'eft pas feulement un simple

développement des traits déjà marqués par la nature. Comme le vifage de l'homme eft le fiége des fens, & que les fens font les organes de nos fenfations, plufieurs naturaliftes penfent, avec raison, que les traits du vifage prennent de la phyfionomie par l'impreffion fréquente & habituelle de certaines affections de l'ame. Il y a des caractères qui, étant trop peu fenfibles, font difficilement apperçus; mais tout le monde au moins reconnoît, au changement de couleur, & à l'altération des traits, les mouvements de haine, de colère & de honte. Un phyfionomiste, qui fait toutes les connoiffances que l'on peut retirer de la couleur du visage, s'élèvera toujours contre l'artifice

me,

des Dames, de fe cacher fous le rouge. Madame de Staal étoit fi perfuadée de l'avantage que l'on pouvoit retirer de cette espèce de mafque, qu'elle en fit ufage dans un moment critique. Cette Daqui avoit été enfermée à la bastille, pour une affaire d'état , nous dit dans fes mémoires : a Lorfque je fus appellée pour être interrogée par »nos Commiffaires, je pris la précaution de met»tre du rouge que j'avois dans ma poche, quoi» que je ne m'en ferviffe jamais, pour dérober » autant qu'il me feroit poffible, l'altération de » mon vifage, propre à me déceler.

Un curieux avoit lu le foir, dans un traité de la phyfionomie, que ceux qui ont la barbe large, portent le figne d'étourderie. Il voulut voir la fienne au miroir, avec la bougie. Malheureufement il en brûla la moitié, & il écrivit auffitôt fur la marge du livre: Pour celui-là, il eft éprouvé.

I

PITIÉ.

Ly une pitié orgueilleufe, fouvent plus cruelle à fupporter que les plus grands malheurs. Un marchand qui venoit de faire uue perte confidérable, recommanda à son fils de garder le fecret. Le fils promit d'obéir; mais il pria fon père de lui dire le motif de cette recommandation. C'eft afin, mon fils, lui répondit le père, qu'au lieu d'un malheur nous n'en ayions pas deux à fupporter; celui d'avoir fait cette perte, & l'autre, de se voir confoler par des gens qui n'accordent leur eftime qu'à ceux qui réuffiffent.

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