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tuel, la religion philosophique suffit; ce qui leur importe particulièrement, c'est de se rendre raison des choses; quand ils ont expliqué, ils sont satisfaits : aussi le côté inexplicable leur échappe-t-il souvent, et ils le traiteraient volontiers de chimère, s'ils ne trouvaient moyen de l'assujettir, en le simplifiant, à leur mode d'interprétation universelle. Le dirai-je? ce sont des esprits plutôt que des âmes; ils habitent les régions moyennes; ils n'ont pas pénétré fort avant dans les voies douloureuses et impures du cœur; ils ne se sont pas rafraîchis, après les flammes de l'expiation, dans la sérénité d'un éther inaltérable; ils n'ont pas senti la vie au vif.

J'honore ces esprits, je les estime heureux; mais je ne les envie pas. Je les crois dans la vérité, mais dans une vérité un peu froide et nue. On ne gagne pas toujours à s'élever, quand on ne s'élève pas assez haut. Les physiciens qui sont parvenus aux plus grandes hauteurs de l'atmosphère, rapportent qu'ils ont vu le soleil sans rayons, dépouillé, rouge et fauve, et partout des ténèbres autour d'eux. Plutôt que de vivre sous un tel soleil, mieux vaut encore demeurer sur terre, croire aux ondoyantes lueurs du soir et du matin, et prêter sa docile prunelle à toutes les illusions du jour, dút-on baisser la paupière en face de l'astre éblouissant; — à moins que l'âme, un soir, ne trouve quelque part des ailes d'Ange, et qu'elle ne s'échappe dans les plaines lumineuses, par delà notre atmosphère, à une hauteur où les savants ne vont pas.

Oui, eût-on la géométrie de Pascal et le génie de René, si la mystérieuse semence de la rêverie a été jetée en nous et a germé sous nos larmes dès l'enfance; si nous nous sentons de bonne heure malades de la maladie de saint Augustin et de Fénelon; si, comme le disciple dont parle Klopstock, ce Lebbée dont la plainte est si douce, nous avons besoin qu'un gardien céleste abrite notre sommeil avec de tendres branches d'olivier; si enfin, comme le triste Abbadona, nous portons en nous le poids de quelque chose d'irréparable, il n'y a qu'une

voie ouverte pour échapper à l'ennui dévorant, aux lâches défaillances ou au mysticisme insensé; et cette voie, Dieu merci, n'est pas nouvelle! Heureux qui n'en est jamais sorti! plus heureux qui peut y rentrer! Là seulement on trouve sécurité et plénitude; des remèdes appropriés à toutes les misères de l'âme; des formes divines et permanentes imposées au repentir, à la prière et au pardon; de doux et fréquents rappels à la vigilance; des trésors toujours abondants de charité et de grâce. Nous parlons souvent de tout cela, ô mon Ami, dans nos longues conversations d'hiver, et nous ne différons quelquefois un peu que parce que vous êtes plus fort et que je suis faible. Bien jeune, vous avez marché droit, même dans la nuit; le malheur ne vous a pas jeté de côté; et, comme Isaac attendant la fille de Bethuel, vous vous promeniez solitaire dans le chemin qui mène au puits appelé le Puits de Celui qui vit et qui voit, Viventis et Videntis. Votre cœur vierge ne s'est pas laissé aller tout d'abord aux trompeuses mollesses; et vos rêveries y ont gagné avec l'âge un caractère religieux, austère, primitif, et presque accablant pour notre infirme humanité d'aujourd'hui ; quand vous avez eu assez pleuré, vous vous êtes retiré à Pathmos avec votre aigle, et vous avez vu clair dans les plus effrayants symboles. Rien désormais qui vous fasse pâlir; vous pouvez sonder toutes les profondeurs, ouïr toutes les voix; vous vous êtes familiarisé avec l'Infini. Pour moi, qui suis encore nouveau venu à la lumière, et qui n'ai, pour me sauver, qu'un peu d'amour, je n'ose m'aventurer si loin à travers l'immense nature, et je ne m'inquiète que d'atteindre aux plus humbles, aux plus prochaines consolations qui nous sont enseignées. Ce petit livre est l'image fidèle de mon âme; les doutes et les bonnes intentions y luttent encore; l'étoile qui scintille dans le crépuscule semble par instants près de s'éteindre; la voile blanche que j'aperçois à l'horizon m'est souvent dérobée par un flot de mer orageuse; pourtant la voile blanche et l'étoile tremblante finissent toujours par reparaître. —

Tel qu'il est, ce livre, je vous l'offre, et j'ai pensé qu'il serait d'un bon exemple.

De son cachet littéraire, s'il peut être ici question de cela, je ne dirai qu'un mot. Dans un volume publié par moi il y a près d'un an, et qui a donné lieu à beaucoup de jugements divers, quelques personnes, dont le suffrage m'est précieux, avaient paru remarquer et estimer, comme une nouveauté en notre poésie, le choix de certains sujets empruntés à la vie privée et rendus avec relief et franchise. Si, à l'ouverture du volume nouveau, ces personnes pouvaient croire que j'ai voulu quitter ma première route, je leur ferai observer par avance que tel n'a pas été mon dessein; qu'ici encore c'est presque toujours de la vie privée, c'est-à-dire, d'un incident domestique, d'une conversation, d'une promenade, d'une lecture, que je pars, et que, si je ne me tiens pas à ces détails comme par le passé, si même je ne me borne pas à en dégager les sentiments moyens de cœur et d'amour humain qu'ils recèlent, et si je passe outre, aspirant d'ordinaire à plus de sublimité dans les conclusions, je ne fais que mener à fin mon procédé sans en changer le moins du monde ; que je ne cesse pas d'agir sur le fond de la réalité la plus vulgaire, et qu'en supposant le but atteint (ce qu'on jugera), j'aurai seulement élevé cette réalité à une plus haute puissance de poésie. Ce livre alors serait, par rapport au précédent, ce qu'est dans une spirale le cercle supérieur au cercle qui est audessous; il y aurait eu chez moi progrès poétique dans la même mesure qu'il y a eu progrès moral.

Décembre 1829.

LES CONSOLATIONS.

I.

A MADAME V. H.

Notre bonheur n'est qu'un malheur plus qu moins consolé.

DUCIS.

Oh! que la vie est longue aux longs jours de l'été, Et que le temps y pèse à mon cœur attristé! Lorsque midi surtout a versé sa lumière,

Que ce n'est que chaleur et soleil et poussière; Quand il n'est plus matin et que j'attends le soir, Vers trois heures, souvent, j'aime à vous aller voir; Et là vous trouvant seule, ô mère et chaste épouse! Et vos enfants au loin épars sur la pelouse,

Et votre époux absent et sorti pour rêver,

J'entre pourtant; et Vous, belle et sans vous lever,
Me diles de m'asseoir; nous causons; je commence
A vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense,
Ma jeunesse déjà dévorée à moitié,

Et vous me répondez par des mots d'amitié;
Puis révenant à vous, Vous si noble et si pure,
Vous que, dès le berceau, l'amoureuse nature
Dans ses secrets desseins avait formée exprès
Plus fraîche que la vigne au bord d'un antre frais,
Douce comme un parfum et comme une harmonie;
Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie;
Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain,
Comme une ombre, d'en haut, couvrant votre chemin,

De vos enfants bénis que la joie environne,
De l'époux votre orgueil, votre illustre couronne;
Et quand vous avez bien de vos félicités
Épuisé le récit, alors vous ajoutez

Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle :
« Hélas! non, il n'est point ici-bas de mortelle
«< Qui se puisse avouer plus heureuse que moi;
<< Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi,
« Il me prend des accès de soupirs et de larmes;
« Et plus autour de moi la vie épand ses charmes,
«Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert,
<< Plus le ciel bleu, l'air pur, le pré de fleurs couvert,
« Plus mon époux aimant comme au premier bel âge,
« Plus mes enfants joyeux et courant sous l'ombrage,
« Plus la brise légère et n'osant soupirer,

<< Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer.

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C'est que même au delà des bonheurs qu'on envie Il reste à désirer dans la plus belle vie; C'est qu'ailleurs et plus loin notre but est marqué; Qu'à le chercher plus bas on l'a toujours manqué; C'est qu'ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe, Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe; C'est qu'après bien des jours, bien des ans révolus, Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus; Que ces enfants, objets de si chères tendresses, En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses; Que toute joie est sombre à qui veut la sonder, Et qu'aux plus clairs endroits, et pour trop regarder Le lac d'argent, paisible, au cours insaisissable, On découvre sous l'eau de la boue et du sable.

Mais comme au lac profond et sur son limon noir
Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir,
Et, déroulant d'en haut la splendeur de ses voiles,
Pour décorer l'abîme, y sème les étoiles,

Tel dans ce fond obscur de notre humble destin
Se révèle l'espoir de l'éternel matin;

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