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nière de se présenter n'est ni modeste ni vaine, elle est naturelle et vraie; il ne connoît ni gêne, ni déguisement, et il est au milieu d'un cercle, ce qu'il est seul et sans témoin. Sera-t-il pour cela grossier, dédaigneux, sans attention pour personne? Tout au contraire; si seul il ne compte pas pour rien les autres hommes, pourquoi les compteroit-il pour rien, vivant avec eux? Il ne les préfère point à lui dans ses manières, parce qu'il ne les préfère pas à lui dans son cœur; mais il ne leur montre pas, non plus, une indifférence qu'il est bien éloigné d'avoir s'il n'a pas les formules de la politesse, il a les soins de l'humanité. Il n'aime a voir souffrir personne, il n'offrira pas sa place à un autre par simagrée, mais il la lui cédera volontiers par bonté, si, le voyant oublié, il juge que cet oubli le mortifie; car, il en tera moins à mon jeune homme de rester debout volontairement, que de voir l'autre y rester par force.

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Quoiqu'en général Émile n'estime pas les hommes, il ne leur montrera point de mépris, parce qu'il les plaint et s'attendrit sur eux. Ne pouvant leur donner le goût des biens réels, il leur laisse les biens de l'opinion dont ils se contentent, de

peur que les leur ôtant à pure perte, il në les rendit plus malheureux qu'auparavant, Il n'est donc point disputeur, ni contredisant; il n'est pas, non plus, complaisant et flatteur, il dit son avis saus combattre celui de personne, parce qu'il aime la liberté par dessus toute chose, et que la franchise en est un des plus beaux droits.

Il parle peu parce qu'il ne se soucie guère qu'on s'occupe de lui; par la même raison, il ne dit que des choses utiles:autrement, qu'est-ce qui l'engageroit à parler? Emile est trop instruit pour être jamais babillard. Le grand caquet vicat nécessairement ou de la prétention à l'esprit, છે dont je parlerai ci-après, ou du prix qu'on donne à des bagatelles, dont on croit sottement que les autres font autant de cas que nous. Celui qui connoît assez de choses, pour donner à toutes leur véritable prix, ne parle jamais trop; car il sait apprécier aussi l'attention qu'on lui donne, et l'intérêt qu'on peut prendre à ses discours. Généralement les gens qui savent peu, parlent beaucoup, et les gens qui savent beaucoup, parlent peu: il est simple qu'un ignorant trouve important tout ce qu'il sait, et le dise à tout le monde. Mais un

homme instruit, n'ouvre pas aisément son répertoire : il auroit trop à dire, et il voit encore plus à dire après lui; il se tait.

Loin de choquer les manières des autres, Emile s'y conforme assez volontiers, non pour paroître instruit des usages, ni pour affecter les airs d'un homme poli, mais au contraire, de peur qu'on ne le distingue, pour éviter d'être aperçu; et jamais il n'est plus à son aise, que quand on ne prend pas garde à lui.

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Quoiqu'entrant dans le monde, il en ignore absolument les manières : il n'est pas pour cela timide et craintif; s'il se déc'est robe, ce n'est point par embarras, que pour bien voir il faut n'être pas vu: car ce qu'on pense de lui, ne l'inquiète guère, et le ridicule ne lui fait pas moindre peur. Cela fait qu'étant toujours tranquille et de sang froid, il ne se trouble point par la mauvaise honte. Soit qu'on le regarde ou non, il fait toujours de son mieux ce qu'il fait; et, toujours tout à lui pour bien observer les autres, il saisit leurs manières avec une aisance que peuvent avoir les esclaves de l'opinion. On peut dire qu'il prend plutôt l'usage du monde, précisément parce qu'il en fait

peu de cas.

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Ne vous trompez pas, cependant, sur sa contenance, et n'allez pas la comparer à celle de vos jeunes agréables. Îl est ferme et non suffisant; ses manières sont libres et non dédaigneuses : l'air insolent n'appartient qu'aux esclaves, l'indépendance n'a rien d'affecté. Je n'ai jamais vu d'homme ayant de la fierté dans l'ame en montrer dans son maintien cette affectation est bien plus propre aux ames viles et vaines, qui ne peuvent en imposer que par-là. Je lis dans un livre, qu'un étranger se présentant un jour dans la salle du fameux Marcel, celui-ci lui demanda de quel pays il étoit. Je suis Anglais, répond l'étranger. Vous Anglais? réplique le danseur; vous seriez de cette ile où les citoyens ont part à l'administration publique, et sont une portion de la puissance souveraine (1). Non, monsieur ;

(1) Comme s'il y avoit des citoyens qui ne fussent pas membres de la Cité, et qui n'eussent pas, comme tels, part à l'autorité souveraine ! Mais les Français ayant jugé à propos d'usurper ce respectable nom de citoyens, dû jadis aux membres des cités gauloises, en ont dénaturé l'idée, au point qu'on n'y conçoit plus rien. Un homme, qui vient de m'écrire beaucoup de

ce front baissé, ce regard timide, cetle démarche incertaine ne m'annoncent que Fesclave titré d'un électeur.

Je ne sais si ce jugement montre une grande connoissance du vrai rapport qui est entre le caractère d'un homme et son extérieur. Pour moi qui n'ai pas l'honneur d'être maître à danser, j'aurois pensé tout le contraire. J'aurois dit: Cet Anglais n'est pas courtisan ; je n'ai jamais oui dire que les courtisans eussent le front baissé et la démarche incertaine : un homme timide chez un danseur, poliroit bien ne l'être pas dans la chambre des communes. Assurément ce M. Marcel-là, doit prendre ses compatriotes pour autant de Romains!!

Quand on aime, on veut être aimé; Emile aime les hommes, il veut donc leur plaire. A plus forte raison, il veut plaire aux femmes. Son âge, Son projet, tout concourt à nourrir e lui ce desir. Je dis ses mœurs, car elles y font beaucoup; les hommes qui en ont,

ses mœurs,

bêtises contre la Nouvelle Héloïse, a orné sa signature du titre de citoyen de Paimbeuf, et a cru me faire une excellente plaisanterie.

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