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D'ailleurs, les lettres du P. Parennin fur le procès que l'empereur fit faire à des princes du fang néophytes qui lui avoient déplu, nous font voir un plan de tyrannie conftamment suivi, & des injures faites à la nature humaine avec règle, c'est-à-dire, de fang-froid.

Nous avons encore les lettres de M. de Mairan & du même P. Parennin, fur le gouvernement de la Chine. Après des questions & des réponses très-fenfées, le merveilleux s'eft évanoui.

Ne pourroit-il pas fe faire que les miflionnaires auroient été trompés par une apparence d'ordre; qu'ils auroient été frappés de cet exercice continuel de la volonté d'un feul, par lequel ils font gouvernés eux-mêmes, & qu'ils aiment tant à trouver dans les cours des rois des Indes; parce que n'y allant que pour y faire de grands changemens, il leur eft plus aifé de convaincre les princs qu'ils peuvent tout faire, que de perfuader aux peuples qu'ils peuvent tout fouffrir.

Enfin, il y a fouvent quelque chofe de vrai dans les erreurs mêmes. Des circonftances particulières, & peut-être uniques, peuvent faire que le gouvernement de la Chine ne foit pas auffi corrompu qu'il devroit l'être. Des caufes, tirées la plupart du phyfique du climat, ont pu forcer les caufes morales dans ce pays, & faire des efpèces de prodiges.

Le climat de la Chine eft tel, qu'il favorife prodigieufement la propagation de l'espèce

humaine. Les femmes y font d'une fécondité fi grande, que l'on ne voit rien de pareil fur la terre. La tyrannie la plus cruelle n'y arrête point le progrès de la propagation. Le prince n'y peut pas dire, comme Pharaon, Opprimons-les avec fageffe. Il feroit plutôt réduit à former le fouhait de Néron, que le genre humain n'eût qu'une tête. Malgré la tyrannie, la Chine, par la force du climat, fe peuplera toujours, & triomphera de la tyrannie.

La Chine, comme tous les pays où croît le riz, eft fujette à des famines fréquentes. Lorfque le peuple meurt de faim, il fe difperfe pour chercher de quoi vivre; il fe forme de toutes parts des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs. La plupart font d'abord exterminées; d'autres fe groffiffent, & font exterminées encore. Mais, dans un fi grand nombre de provinces, & fi éloignées, il peut arriver que quelque troupe faffe fortune. Elle fe maintient, fe fortifie, fe forme en corps d'armée, va droit à la capitale, & le chef monte fur le trône.

Telle eft la nature de la chofe, que le mauvais gouvernement y eft d'abord puni. Le défordre y naît foudain, parce que ce peuple prodigieux y manque de fubfiftance. Ce qui fait que dans d'autres pays on revient fi difficilement des abus, c'est qu'ils n'y ont pas des effets fenfibles; le prince n'y est t pas àverti d'une manière prompte & éclatante, comme il l'eft à la Chine.

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Il ne fentira point, comme nos princes, que s'il gouverne mal, il fera moins heureux dans l'autre vie, moins puiffant & moins riche dans celle-ci. Il faura que fi fon gouvernement n'eft pas bon, il perdra l'empire & la vie.

Comme, malgré les expofitions d'enfans, le peuple augmente toujours à la Chine, il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi le nourrir: cela demande une grande attention de la part du gouvernement. Il eft, à tous les inftans, intéreffé à ce que tout le monde puiffe travailler fans crainte d'être fruftré de fes peines. Ce doit moins être un gouvernement civil, qu'un gouvernement domestique.

Voilà ce qui a produit les réglemens dont on parle tant. On a voulu faire régner les loix avec le defpotifme: mais ce qui eft joint avec le defpotisme n'a plus de force. En vain ce defpotifme, preffé par fes malheurs, a-t-il voulu s'enchaîner; il s'arme de fes chaînes, & devient plus terrible encore.

La Chine eft donc un état defpotique, dont le principe eft la crainte. Peut-être que dans les premières dynafties, l'empire n'étant pas fi étendu, le gouvernement déclinoit un peu de cet efprit. Mais aujourd'hui cela n'eft pas.

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LIVRE I X.

Des Loix, dans le rapport qu'elles ont avec la force défenfive.

CHAPITRE PREMIER. Comment les Républiques pourvoient à leur sûreté.

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une république eft petite, elle eft détruite par une force étrangère; fi elle eft grande, elle fe détruit par un vice intérieur.

Ce double inconvénient infecte également les démocraties & les aristocraties, foit qu'elles foient bonnes, foit qu'elles foient mauvaises. Le mal eft dans la chofe même; il n'y a aucune forme qui puiffe y remédier.

Ainfi il y a grande apparence que les hommes auroient été à la fin obligés de vivre toujours fous le gouvernement d'un feul, s'ils n'avoient imaginé une manière de conftitution qui a tous les avantages intérieurs du gouvernement répu blicain & la force extérieure du monarchique. Je parle de la république fédérative.

Cette forme de gouvernement eft une cons

vention, par laquelle plufieurs corps politiques confentent à devenir citoyens d'un état plus grand qu'ils veulent former. C'eft une fociété de fociétés, qui en font une nouvelle, qui peut s'agrandir par de nouveaux affociés qui fe font unis.

Ce furent ces affociations qui firent fleurir fi long-tems le corps de la Grèce. Par elles les Romains attaquèrent l'univers, & par elles feules l'univers fe défendit contr'eux; &, quand Rome fut parvenue au comble de fa grandeur, ce fut par des affociations derrière le Danube & le Rhin, affociations que la frayeur avoit fait faire, que les Barbares purent lui réfifter.

C'eft par-là que la Hollande, l'Allemagne, les Ligues Suiffes, font regardées en Europe comme des républiques éternelles.

Les affociations des villes étoient autrefois plus néceffaires, qu'elles ne le font aujourd'hui. Une cité fans puiffance couroit de plus grands périls. La conquête lui faifoit perdre, non-feulement la puiffance exécutrice & la législative, comme aujourd'hui, mais encore tout ce qu'il y a de propriété parmi les hommes.

Cette forte de république, capable de réfifter à la force extérieure, peut fe maintenir dans fa grandeur, fans que l'intérieur fe corrompe, La forme de cette fociété prévient tous les inconvéniens.

Celui qui voudroit ufurper ne pourroit guère être également accrédité dans tous les étate

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