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Le fait des récoltes de Soissons a été démenti par un courrier venu hier soir de Soissons, envoyé par les mêmes personnes, qui ont dit que c'était une fausse alarme. L'histoire de Vesoul est, dit-on, encore un pur accident. On en attend les preuves. Je crois que le grand mal, le mal le plus réel, est le projet de retarder les opérations de l'Assemblée en cherchant à la distraire ainsy de l'objet de la Constitution. Aussi je crie continuellement la Constitution, dont la publication sera la fin de tous les complots. Nous sommes assemblés, non pour administrer le royaume, mais pour faire des lois. Il faut donc suivre sa mission et j'espère qu'enfin l'assemblée se raidira contre toutes ces demandes particulières, intéressantes sans doute, mais qu'on ne doit pas préférer au bien général, à celui qui doit mettre fin à tous les abus.

M. Necker doit arriver ce soir ou demain matin. Il a répondu de Bâle une lettre remplie de sensibilité à l'Assemblée. Sa présence contribuera au rétablissement du calme plus que tous nos arrêtés.

Nous allons avoir ce matin les projets de Constitution imprimés pour les discuter. Déjà nous en avons un de l'abbé Siéyès, dont je vous envoie le résultat abrégé. Dans un autre que j'ai, il détaille les principes de la métaphysique dont il a tiré les résultats ci-joints.

Je décachète ma lettre pour vous dire que M. Necker est arrivé hier soir à dix heures.

J'ai vu Dom Barbier un moment, il m'a dit qu'il ne croyoit pas pouvoir accepter la résignation du Prieuré de la manière dont le proposoit l'abbé Fouret; qu'en supposant que l'arrangement n'eût pas lieu, qu'on pourrait toujours suivre l'affaire pour le collège; qu'il partoit le soir pour Paris, avec dom Chevreul, le supérieur général. C'étoit vendredy, je devois aussi m'y rendre. Je lui dis que je les verrois à l'abbaye Saint-Germain.

1. Dom Chevreux, général de la Congrégation do Saint-Maur, député de Paris. Ce passage laisserait supposer qu'il avait été question de confier la direction du collège de Mayenne aux Bénédictins.

J'y suis allé le dimanche matin. Dom Barbier étoit reparti et le Supérieur n'étoit pas venu à Paris. Je vais voir icy ce qu'ils ont pu arranger et je vous dirai sur quoi on peut compter, si toutefois je puis en être instruit. Adieu, l'heure me presse.

XXVIII

Versailles, 31 juillet.

Je suis inquiet de ne point recevoir de vos nouvelles. Les alarmes qui se sont répandues presque le même jour dans tout le royaume semblent être la suite du complot formé et le complément des projets désastreux qui devaient mettre toute la France en feu. Car on ne peut imaginer que, dans le même jour et au même instant, presque partout, le tocsin ait résonné, si des gens répandus à dessein n'eussent pas donné l'alarme. Tant mieux si ce n'est qu'une terreur panique de proche en proche1.

Pour nous ici, tout est tranquille dans Versailles. Si nous étions tous animés du désir sincère d'avancer la Constitution, elle ne pourrait pas tenir longtemps, mais, je ne sais par quelle fatalité, les jours s'écoulent. Nous avons entamé l'ouvrage cette semaine dans les bureaux, et dans le mien nous avons arrêté une déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais nombre de bureaux n'ont rien fait. Aujourd'hui, on devait discuter dans l'assemblée de ce matin au moins ce qui avait été discuté dans quelques-uns des bureaux. Une demande de changer l'article du règlement que nous avions arrêté mercredy pour six assemblées générales le matin, au lieu de deux fixées, a occupé une partie de la matinée; des troubles survenus à Paris ont fait prolonger la séance jusqu'à six heures et demie. Voici ce qui y a donné lieu.

M. Necker, en revenant, fut supplié de s'intéresser en

1. 23 et 24 juillet. Jeudi et vendredi fous. Dans la Mayenne, on désigna l'abbé Maury comme l'auteur de ces troubles.

faveur de M. le baron de Besenval, arrêté à Nogent'. Il écrivit pour faire relâcher M. de Bésenval. Sa demande ne fut point écoutée. Pressé par la commune de Paris d'aller à l'Hôtel-de-Ville, il s'y rendit hier. Il y fut reçu avec le délire le plus outré. Il crut devoir rappeler les membres du comité de la ville aux sentiments de douceur et d'humanité, caractère distinctif de la nation. Il fit impression et les Communes arrêtèrent d'envoyer deux députés pour faire tomber les fers de M. de Besenval et le conduire aux frontières. Après les Communes, M. Necker fut conduit dans la salle des électeurs, y répéta le même discours, et l'émotion également partagée eut l'effet de renchérir sur la décision des Communes et de proposer et d'arrêter une amnistie générale.

Mais cet acte des électeurs a excité le mécontentement du district de l'Oratoire et du Palais-Royal, et, après le départ de M. Necker, on y arrêta de députer deux courriers pour suspendre l'ordre de délivrer M. de Besenval. M. Bailly est venu ce matin engager l'assemblée de donner une décision qui prévienne la fermentation, qui rassure les esprits par la certitude qu'on n'abandonnera pas la poursuite des délits contre la nation, et l'assemblée, en persistant dans ses arrêtés précédents, a déclaré qu'elle ne se départirait pas du plan de préparer la poursuite de ces délits par le comité qu'elle a établi à cet effet et que, jusqu'à ce que le tribunal que la Constitution fixerait fût établi, M. de Besenval serait détenu dans la prison la plus voisine du lieu où il serait arrêté, s'il l'était, sous une garde suffisante et sous la sauvegarde de la loi 2.

Voilà notre séance de ce matin, demain nous aurons

1. Compromis pour avoir signé un ordre adressé au Gouverneur de la Bastille, M. de Launay, lui ordonnant de tenir tant qu'il pourrait.

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2. Le baron de Bezenval (Pierre-Victor), lieutenant-général, nommé commandant de l'intérieur au 14 juillet 1789, arrêté. à Villenaux et détenu à Brie-Comte-Robert, fut ramené à Paris et traduit devant la juridiction du Châtelet qui l'acquitta. Il était né à Soleure en 1722 et mourut à Paris en 1794.

un président, des secrétaires à nommer, peut-être enfin entamera-t-on la discussion des droits de l'homme et du citoyen.

Nous avons su ici la scène de Ballon et je viens d'apprendre le pillage de châteaux du côté de Lassay. Ce qui m'eût inquiété encore davantage sans la certitude et la confiance que me donne le commandant de notre milice bourgeoise.

Donnez-moi, je vous prie, le plus tôt possible de vos nouvelles si vous êtes tranquille. Ne fût-ce qu'un mot, il me rassurera.

Voicy quatre numéros du Point du Jour. Je tâcherai de vous faire abonner directement pour vous éviter le port. Blaizot m'a promis de vous faire inscrire chez Cussac pour que l'envoy vous parvienne de Paris au seul port de 1 livre 10 sols par mois. Cela ne m'empèchera pas de vous marquer la séance dont le Point du Jour sera en retard. Lorsqu'il y aura quelque pièce importante, je vous l'adresserai, si elle ne doit pas paraitre aussi promptement dans le journal de Paris.

XXIX

Versailles, lundi 3 août.

Je vous adresse le seul exemplaire que j'aie de la séance du 20 juin où vous verrez que Lasnier a signé, que j'ai signé, ainsi que M. de la Lande et M. Gournay à la fois. M. Guérin, qui était allé à Paris, n'a pu signer que le lundi. Je sais qu'on a répandu le bruit que nous n'avions pas signé. Je sais encore que, quand on a vu que nos signatures y étaient, on a dit : mais ils n'ont pas signé à leur rang. Ils croient sans doute que, dans une assemblée tumultueuse comme celle-là, on pouvait obser

1. Assassinat de MM. Cureau et de Montesson à Ballon le 23 juillet 1789. 2. Voir V. Duchemin et Triger, Les premiers troubles de la Révolution dans la Mayenne, page 36. Notamment les châteaux de la Sauvagere, de Vaugeois, de la Motte, de Couterne, d'Hauteville, etc...

ver le rang des bailliages. On ne s'entendait pas. La moitié ne savaient pas qu'on s'était rendu au Jeu de Paume et il faut avoir bien envie de trouver les gens en faute pour leur faire des reproches d'avoir signé ou plus haut ou plus bas, lorsque dans le fait ils ont signé.

Bien d'autres à ma place n'eussent pas été se traîner comme je l'ai fait au Jeu de Paume ce jour-là. Depuis trois jours j'avais la fièvre, à la suite d'un rhume violent. Je n'avais rien pris de solide depuis ces trois jours. M. de la Lande était venu me voir et, d'après la proclamation faite par les héraults d'armes, il comptait bien qu'il n'y aurait pas d'assemblée générale. Il me quitta à onze heures. Un quart d'heure après il me fit dire qu'on était assemblé au Jeu de Paume. Je m'habillai aussitôt, quoiqu'en sueur, et j'eus toutes les peines à me rendre. En arrivant, je demandai qu'on me laissât signer et, malgré ma faiblesse, dix ou douze qui entouraient le bureau s'y opposèrent. Un député, voyant que je ne pouvais me soutenir, m'offrit de me céder une place sur un bout de planche. On ne faisait que d'appeler le bailliage de Metz quand j'entrai. Lorsque ceux qui m'avaient refusé de signer furent éloignés, je vis qu'on appelait un bailliage et que les députés n'approchaient pas, je prends la plume et je signe. M. de la Lande, quoique rendu avant moi, n'avait pu signer. Je lui indique commeat je m'y suis pris et il signe 1.

M. Gournay était parti pour Paris, ainsy que M. Guérin et nombre d'autres. M. Gournay apprend le dimanche matin qu'il y a eu assemblée, qu'on a signé le serment de ne se pas séparer. Il revient aussitôt. Il apprend que la deliberation est portée à Paris chez l'imprimeur. Il repart, se rend chez l'imprimeur avec trois autres et signe à Paris.

1. Le dessin de David représentant la séance du Jeu de Paume, n'a pas oublie Maupelit. On voit celui-ci au bas du dessin à gauche porté sur un fauteuil par deux hommes du peuple. Ce qui n'est pas tout à fait conforme à la verité.

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