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vrages des écrivains ecclésiastiques qui l'ont précédé, leur a préféré ses opinions nouvelles et particulières, et cela sur une matière capitale, puisqu'il ne s'agit de rien moins que de favoriser l'hérésie des gnostiques, et de détruire avec eux le libre arbitre. Saint Augustin est donc novateur dans une matière aussi essentielle au christianisme que celle-là. M. Simon ne s'en cache pas, et c'est pourquoi il entreprend de lui faire son procès selon les règles de Vincent de Lerins, c'est-à-dire selon les règles par lesquelles on discerne les novateurs d'avec les défenseurs de l'ancienne foi; et en un mot, les catholiques d'avec les hérétiques. Il se déclare d'abord dans sa préface, où après avoir accusé saint Augustin de s'étre éloigné des anciens commentateurs, et d'avoir inventé des explications dont on n'avoit point entendu parler auparavant, il ajoute aussitôt après, que Vincent de Lerins rejette ceux qui forgent de nouveaux sens, et qui ne suivent point pour leur règle les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres : d'où il conclut que sur ce pied-là on préférera le commun sentiment des anciens docteurs, aux opinions particulières de saint Augustin. Il oppose donc à saint Augustin ces règles sévères de Vincent de Lerins, qui en effet sont les règles de toute l'Eglise catholique; il oppose, dis-je, ces règles à la doctrine de saint Augustin, sans se mettre en peine de tout l'Occident, dont il avoue que ce Père a été l'oracle. Il parle toujours sur le même ton, et non content d'avoir dit que ce furent en partie les nouveautés de saint Augustin qui donnèrent occasion au sage Vincent de Lerins de com

poser son Traité, où il indique ce docte Père comme un novateur qui avoit des opinions particulières (1), il continue en un autre endroit à lui faire son procès, même sur la matière de la grâce dont il a été le docteur. Car en rapportant un passage de Jansénius, évêque d'Ypres, où il dit avec un excès insoutenable (2), que saint Augustin est le premier qui a fait entendre aux fidèles le mystère de la grâce, c'est-à-dire le fondement de la religion, et avec la doctrine de la grâce chrétienne, le vrai esprit du nouveau Testament, cela, poursuitil (3), ne nous doit pas empêcher d'examiner la doctrine de saint Augustin ( sur la grâce, car c'est cellelà dont il s'agissoit) selon les règles de Vincent de Lerins, qui veut avec toute l'antiquité, qu'en matière de doctrine elle soit premièrement appuyée sur l'autorité de l'Ecriture, et en second lieu sur la tradition de l'Eglise catholique : d'où il conclut que l'évêque d'Ypres, en publiant que ce docte Père a eu des sentimens opposés à tous ceux qui l'ont précédé, et même à tous les théologiens depuis plus de cinq cents ans, il le rendoit suspect.

Mais laissons Jansenius avec ses excès, dont il ne s'agit pas en cet endroit; laissons ces théologiens, dont, au dire de M. Simon, la doctrine depuis cinq cents ans étoit opposée à celle de saint Augustin, ce que je crois faux et erroné, et disons à ce critique : Si Jansenius rend saint Augustin suspect, en publiant que ce docte Père a eu des sentimens opposés à tous ceux qui l'ont précédé; s'il lui fait combattre les règles de Vincent de Lerins contre (1) P. 269. — (2) P. 291. — (3) Ibid.

les novateurs, vous qui dites la même chose que Jansénius, vous qui accusez partout saint Augustin d'avoir introduit des explications dont on n'avoit jamais entendu parler, et d'avoir suivi des sentimens opposés, non-seulement aux Pères grecs, mais encore à tous les auteurs ecclésiastiques qui avoient écrit devant lui, vous travaillez à le mettre, et avec lui tous les Latins, qui l'ont suivi selon vous durant tant de siècles, au rang des auteurs suspects et des novateurs rejetés par les règles inviolables de Vincent de Lerins; en un mot, au rang des hérétiques ou des fauteurs des hérétiques, puisque vous lui faites favoriser l'hérésie des gnostiques, et détruire avec eux le libre arbitre.

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CHAPITRE VI.

Que cette accusation de M. Simon contre saint Augustin retombe sur le saint Siége, sur tout l'Occident, sur toute l'Eglise, et détruit l'uniformité de ses sentimens et de sa tradition sur la foi: que ce critique renouvelle les questions précisément décidées par les Pères, avec le consentement de toute l'Eglise catholique : témoignage du cardinal Bellarmin.

Si l'on souffre de tels excès, on voit où la religion est réduite. L'idée que nous en donne M. Simon est non-seulement que l'Orient et l'Occident ne sont pas d'accord dans la foi, mais encore qu'un novateur a entraîné tout l'Occident après lui; que l'ancienne foi a été changée; qu'il n'y a plus par conséquent de tradition constante, puisque celle

qui l'étoit jusqu'à saint Augustin a cessé de l'être depuis lui, et que les seuls Grecs ayant persisté dans la doctrine de leurs Pères, il ne faut plus chercher la foi et l'orthodoxie que dans l'Orient.

On voit donc bien qu'il ne s'agit pas de saint Augustin seulement ou de sa doctrine, mais encore de l'autorité et de la doctrine de l'Eglise, puisque s'il a été permis à saint Augustin de la changer dans une matière capitale, et que pendant qu'il la chan-' geoit, les papes et tout l'Occident lui aient applaudi, il n'y a plus d'autorité, il n'y a plus de doctrine fixe; il faut tolérer tous les errans, et ouvrir la porte de l'Eglise à tous les novateurs.

Car il faut bien observer que les questions où M. Simon veut commettre saint Augustin avec les anciens, ne sont pas des questions légères ou indifférentes, mais des questions de la foi, où il s'agissoit du libre arbitre; savoir s'il le falloit soutenir avec Origène contre les hérésies des gnostiques; s'il étoit contraint ou forcé, ou seulement tiré par persuasion; si Dieu permet seulement le mal, ou s'il en est l'auteur; ou en d'autres termes, si lorsqu'il livre les hommes à leurs désirs, il est cause en quelque manière de leur abandonnement ou de l'aveuglement de leur cœur; s'il y avoit de la faute de Judas dans sa trahison, ou s'il n'a fait qu'accomplir ce qui avoit été déterminé (1). C'est, dis-je, dans toutes ces choses que notre auteur met partout cette différence entre la doctrine des anciens et celle de saint Augustin; comme si les anciens étoient les seuls qui eussent évité tous ces inconvéniens, et qu'au con(1) P. 77, 170, 306, 380, 419, 420, 421.

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traire en suivant saint Augustin, il ne fût pas possible de n'y pas tomber. Car il prétend qu'ils étoient la suite de la doctrine nouvelle et particulière qu'il a enseignée sur la prédestination; et c'est ce que prétendoient, aussi bien que lui, les anciens semi-pélagiens. Cependant saint Augustin n'en a pas moins insisté sur cette doctrine : et quel a été l'évènement de cette dispute, si ce n'est que le pape saint Célestin, devant qui elle fut portée, imposa silence aux adversaires de saint Augustin, et qu'après que cette querelle eût été souvent renouvelée, le pape saint Hormisdas en vint enfin à cette solennelle déclaration (1), que qui voudroit savoir les sentimens de l'Eglise romaine sur la grâce et le libre arbitre, n'avoit qu'à consulter les ouvrages de saint Augustin, et en particulier ceux qu'il a adressés à saint Prosper et à saint Hilaire; c'est-à-dire, ceux de la prédestination et du don de la persévérance, qui sont ceux que les adversaires de saint Augustin trouvoient les plus excessifs, et où l'on voit encore aujourd'hui ce que M. Simon ose accuser de nouveauté et d'erreur.

Ainsi ce que remue ce vain critique, est précisément la même question qui a déjà été vidée par plusieurs décisions de l'Eglise et des papes. M. Simon accuse saint Augustin d'être novateur dans la matière de la prédestination et de la grâce; c'étoit aussi la prétention des anciens adversaires de saint Augustin, qui se défendoient, dit saint Prosper (2), par l'antiquité, et soutenoient que les passages de l'épitre aux Romains, dont ce Père appuyoit sa doctrine, n'avoient jamais été entendus, comme il (1) Ep. ad Poss. (2) Ep. Prosp. ad Aug. n. 3.

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