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nuds (*), en toute faifon, par la chambre, par l'ef calier, par le jardin: loin de l'en gronder, je l'imiterai; feulement j'aurai foin d'écarter le verre. Je parlerai bientôt des travaux & des jeux manuels; du refte, qu'il apprenne à faire tous les pas qui favorifent les évolutions du corps, à prendre dans toutes les attitudes une pofition aifée & folide; qu'il fache fauter en éloignement, en hauteur, grimper fur un arbre, franchir un mur; qu'il trouve toujours fon équilibre; que tous fes mouvemens, fes geftes foient ordonnés felon les loix de la pondération longtems avant que la Statique fe mêle de les lui expliquer. A la maniere dont fon pied pose à terre, & dont fon corps porte fur fa jambe, il doit fentir s'il eft bien ou mal. Une affiette affurée a toujours de la grace, & les poftures les plus fermes font auffi les plus élégantes. Si j'étois Maître à danfer, je ne ferois pas toutes les fingeries de Mar cel (23), bonnes pour le pays où il les fait: mais au lieu d'occuper éternellement mon Eleve à des gambades, je le menerois au pied d'un rocher: là, je lui montrerois quelle attitude il faut prendre, comment il faut porter le corps & la tête, quel mouvement il faut faire, de quelle maniere il faut pofer tantôt le pied, tantôt la main, pour fuivre légerement les fentiers efcarpés, raboteux & rudes, & s'élancer de pointe en pointe, tant en mon: tant qu'er defcendant. J'en ferois l'émule d'un chevreuil, plutôt qu'un Danfeur de l'Opera.

Autant le toucher concentre fes opérations autour

de

(23) Célebre Maître à danfer de Paris, lequel, connoiffant bien fon monde, faifoit l'extravagant par rufe, & donnoit à

fon

M.F. A pieds nuds.] Ce fera là un criterium admirable pour reconnoître déformais les Emiles & leurs Instituteurs.

de l'homme, autant la vue étend les fiennes au-delà de lui. C'eft là ce qui rend celles-ci trompeufes; d'un coup d'œil un homme embraffe la moitié de fon horizon. Dans cette multitude de fenfations fimultanées & de jugemens qu'elles excitent, comment ne fe tromper fur aucun? Ainfi la vue eft de tous nos fens le plus fautif, précisément parce qu'il eft le plus étendu, & que, précédant de bien loin tous les autres, fes opérations font trop promptes & trop vaftes, pour pouvoir être rectifiées par eux. Ily a plus; les illufions mêmes de la perspective nous font néceffaires pour parvenir à connoître l'étendue, & à comparer fes parties. Sans les fausses apparences, nous ne verrions rien dans l'éloignement; fans les gradations de grandeur & de lumière, nous ne pourrions eftimer aucune diftance, ou plutôt il n'y en auroit point pour nous. Si de deux arbres égaux, celui qui eft à cent pas de nous, nous paroiffoit auffi grand & auffi diftinct que celui qui eft à dix, nous les placerions à côté l'un de l'autre. Si nous appercevions toutes les dimenfions des objets fous leur veritable mefure, nous ne verrions aucun efpace, & tout nous paroîtroit fur notre œil.

Le fens de la vue n'a, pour juger la grandeur des objets & leur distance, qu'une même mesure, favoir l'ouverture de l'angle qu'ils font dans notre ceil; & comme cette ouverture eft un effet fimple d'une cause compofée, le jugement qu'il excite en nous, laiffe chaque caufe particuliere indéterminée, ou devient néceffairement fautif. Car comment diftin

guer

fon art une importance qu'on feignoit de trouver ridicule, mais pour laquelle on lui portoit au fond le plus grand respect. Dans un autre art, non moins frivole, on voit encore aujour d'hui un Artiste Comédien faire ainfi l'important & le fou, & ne réuffir pas moins bien. Cette méthode est toujours fure en France. Le vrai talent, plus fimple & moins charlatan, n'y fait point fortune. La modestie y est la vertu des fots.

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guer à la fimple vue fi l'angle par lequel je vois un objet plus petit qu'un autre, eft tel parce que ce premier objet eft en effet plus petit, ou parce qu'il eft plus éloigné?

Il faut donc fuivre ici une méthode contraire à la précédente; au lieu de fimplifier la fenfation, la doubler, la vérifier toujours par une autre; affujettir l'organe visuel à l'organe tactile, & réprimer, pour ainfi dire, l'impétuofité du premier fens par la marche pefante, & réglée du fecond. Faute de nous affervir à cette pratique, nos mefures par estimation font très-inexactes. Nous n'avons nulle précision dans le coup-d'œil pour juger les hauteurs, les longueurs, les profondeurs, les diftances; & la preuve que ce n'eft pas tant la faute du fens que de fon ufage, c'eft que les Ingénieurs, les Arpenteurs, les Architectes, les Maçons, les Peintres, ont en gé néral le coup-d'œil beaucoup plus für que nous, & apprécient les mesures de l'étendue avec plus de jufteffe; parce que leur métier leur donnant en ceci l'expérience que nous négligeons d'acquérir, ils ôtent F'équivoque de l'angle, par les apparences qui l'accompagnent, & qui déterminent plus exactement à lears yeux, le rapport des deux caufes de cet angle. Tout ce qui donne du mouvement au corps fans le contraindre, eft toujours facile à obtenir des enfans. Il y a mille moyens de les intéreffer à mefurer, à connoître, à eftimer les diftances. Voilà un cerifier fort haut, comment ferons-nous pour cueillir des cerifes? l'échelle de la grange eft-elle bonne pour cela? Voilà un ruiffeau fort large, comment le traverferons-nous? une des planches de la cour pofera-t-elle fur les deux bords? Nous voudrions de nos fenêtres pêcher dans les foffés du Châ

teau;

(24) Promenade champêtre, comme on verta dans l'in ftant. Les promenades publiques des villes font pernicieuses

aux

C.Eisen inr.

CHIRON & ACHILE, Livre II.

1.V.Schley f

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