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Oui, je veux que du tout vos yeux vous fassent foi.
Donnez-moi seulement la main jusque chez moi ;
Là, je vous ferai voir une preuve fidèle
De l'infidélité du cœur de votre belle;

Et, si pour d'autres yeux le vôtre peut brûler,
On pourra vous offrir de quoi vous consoler.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE I. - ÉLIANTE, PHILINTE.

PHILINTE.

Non, l'on n'a point vu d'ame à manier si dure,
Ni d'accommodement plus pénible à conclure :
En vain de tous côtés on l'a voulu tourner,
Hors de son sentiment on n'a pu l'entraîner;
Et jamais différend si bizarre, je pense,
N'avoit de ces messieurs occupé la prudence.
་་ Non, messieurs, disoit-il, je ne me dédis point,
» Et tomberai d'accord de tout, hors de ce point.
>> De quoi s'offense-t-il? et que veut-il me dire?
Y va-t-il de sa gloire à ne pas bien écrire ?

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» Que lui fait mon avis, qu'il a pris de travers?

>> On peut être honnête homme, et faire mal des vers, » Ce n'est point à l'honneur que touchent ces matières. » Je le tiens galant homme en toutes les manières, » Homme de qualité, de mérite et de cœur,

>> Tout ce qu'il vous plaira, mais fort méchant auteur.

» Je louerai, si l'on veut, son train et sa dépense,

» Son adresse à cheval, aux armes, à la danse;

» Mais, pour louer ses vers, je suis son serviteur; Et, lorsque d'en mieux faire on n'a pas le bonheur,

» On ne doit de rimer avoir aucune envie,

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Qu'on n'y soit condainné sur peine de la vie. >>

Enfin, toute la grace et l'accommodement
Où s'est avec effort plié son sentiment,
C'est de dire, croyant adoucir bien son style :

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Monsieur, je suis fâché d'être si difficile ;

» Et, pour l'amour de vous, je voudrois, de bon cœur,
» Avoir trouvé tantôt votre sonnet meilleur. »
Et dans une embrassade, on leur a, pour conclure,
Fait vite envelopper toute la procédure.

ÉLIANTE.

Dans ses façons d'agir il est fort singulier;
Mais j'en fais, je l'avoue, un cas particulier;
Et la sincérité dont son amne se pique

A quelque chose en soi de noble et d'héroïque,
C'est une vertu rare au siècle d'aujourd'hui,
Et je la voudrois voir partout comme chez lui.

PHILINTE.

Pour moi, plus je le vois, plus surtout je m'étonne
De cette passion où son cœur s'abandonne.
De l'humeur dont le ciel a voulu le former,
Je ne sais pas comment il s'avise d'aimer;
Et je sais moins encor comment votre cousine
Peut être la personne où son penchant l'incline.
ÉLIANTE.

Cela fait assez voir que l'amour, dans les cœurs,
N'est pas toujours produit par un rapport d'humeurs;
Et toutes ces raisons de douces sympathies,
Dans cet exemple-ci, se trouvent démenties.

PHILINTE.

Mais croyez-vous qu'on l'aime, aux choses qu'on peut voir? ÉLIANTE.

C'est un point qu'il n'est pas fort aisé de savoir.

Comment pouvoir juger s'il est vrai qu'elle l'aime?
Son cœur de ce qu'il sent n'est pas bien sûr lui-même;
Il aime quelquefois sans qu'il le sache bien,

Et croit aimer aussi, parfois, qu'il n'en est rien.

PHILINTE.

Je crois que notre ami, près de cette cousine,
Trouvera des chagrins plus qu'il ne s'imagine;
Et, s'il avoit mon cœur, à dire vérité,

Il tourneroit ses vœux tout d'un autre côté ;

Et, par un choix plus juste, on le verroit, madaine,

Profiter des bontés que lui montre votre ame.

ÉLIANTE.

Pour moi, je n'en fais point de façons, et je croi
Qu'on doit sur de tels points être de bonne foi.
Je ne m'oppose point à toute sa tendresse ;
Au contraire, mon cœur pour elle s'intéresse;
Et, si c'étoit qu'à moi la chose pût tenir,
Moi-même à ce qu'il aime on me verroit l'unir.
Mais si dans un tel choix, comme tout se peut faire,
Son amour éprouvoit quelque destin contraire,
S'il falloit que d'un autre on couronnât les feux,
Je pourrois me résoudre à recevoir ses vœux;
Et le refus souffert en pareille occurrence
Ne m'y feroit trouver aucune répugnance.

PHILINTE.

Et moi, de mon côté, je ne m'oppose pas,
Madame, à ces bontés qu'ont pour lui vos appas;
Et lui-même, s'il veut, il peut bien vous instruire
De ce que là-dessus j'ai pris soin de lui dire.
Mais si, par un hymen qui les joindroit eux deux,
Vous étiez hors d'état de recevoir ses vœux,
Tous les miens tenteroient la faveur éclatante
Qu'avec tant de bonté votre ame lui présente.
Heureux si, quand son cœur s'y pourra dérober,
Elle pouvoit sur moi, madame, retomber !

ÉLIANTE.

Vous vous divertissez, Philinte.

PHILINTE.

Non, madame,

Et je vous parle ici du meilleur de mon ame
J'attends l'occasion de m'offrir hautement,

Et, de tous mes souhaits, j'en presse le moment'.

'Le caractère de Philinte a été attaqué avec beaucoup de sévérité par JeanJacques, qui ne voit dans ce personnage « qu'un de ces honnêtes gens du grand > monde, dont les maximes ressemblent beaucoup à celles des fripons; de ces > gens si doux, si modérés, qui trouvent toujours que tout va bien, parcequ'ils » ont intérêt que rien n'aille mieux; qui sont toujours contents de tout le › monde, parcequ'ils ne se soucient de persoane; qui, autour d'une bonne table, > soutiennent qu'il n'est pas vrai que le peuple ait faim; qui, de leur maisou > bien fermée, verroient voier, piller, égorger, massacrer tout le genre humain, > sans se plaindie, attendu que Dieu les a doués d'une douceur très méritoire à > supporter les malheurs d'autrui. » M. Aimé Martin, en rapportant ce passage, dit avec raison qu'une aussi injuste critique n'a pas besoin d'être réfutée.

SCÈNE II.

ALCESTE, ÉLIANTE, PHILINTE.

ALCESTE.

Ah! faites-moi raison, madame, d'une offense
Qui vient de triompher de toute ma constance.
ÉLIANTE.

Qu'est-ce donc? Qu'avez-vous qui vous puisse émouvoir?

ALCESTE.

J'ai ce que, sans mourir, je ne puis concevoir;
Et le déchaînement de toute la nature

Ne m'accableroit pas comme cette aventure.
C'en est fait... Mon amour... Je ne saurois parler.
ÉLIANTE.

Que votre esprit un peu tâche à se rappeler 1.

ALCESTE.

O juste ciel! faut-il qu'on joigne à tant de graces
Les vices odieux des ames les plus basses!

ÉLIANTE.

Mais encor, qui vous peut...?

ALCESTE.

Ah! tout est ruiné;

Je suis, je suis trahi, je suis assassiné.
Célimène... (eût-on pu croire cette nouvelle?)
Célimène me trompe, et n'est qu'une infidèle.
ÉLIANTE.

Avez-vous, pour le croire, un juste fondement?

PHILINTE.

Peut-être est-ce un soupçon conçu légèrement;
Et votre esprit jaloux prend parfois des chimères...

ALCESTE.

Ah! morbleu! mèlez-vous, monsieur, de vos affaires.

(à Eliante.)

C'est de sa trahison n'être que trop certain,
Que l'avoir, dans ma poche, écrite de sa main.
Qui, madame, une lettre écrite pour Oronte
A produit à mes yeux ma disgrace et sa honte;
Oronte, dont j'ai cru qu'elle fuyoit les soins,

Et

que de mes rivaux je redoutois le moins.

Ce vers et les cinq précédents sout empruntes à Don Garcie de Navarre. La scène suivante est également empruntée à la même pièce.

PHILINTE.

Une lettre peut bien tromper par l'apparence,
Et n'est pas quelquefois si coupable qu'on pense.

ALCESTE.

Monsieur, encore un coup, laissez-moi, s'il vous plaît, Et ne prenez souci que de votre intérêt.

ÉLIANTE.

Vous devez modérer vos transports; et l'outrage.....

ALCESTE.

Madame, c'est à vous qu'appartient cet ouvrage;
C'est à vous que mon cœur a recours aujourd'hui,
Pour pouvoir s'affranchir de son cuisant ennui.
Vengez-moi d'une ingrate et perfide parente
Qui trahit lâchement une ardeur si constante;
Vengez-moi de ce trait qui doit vous faire horreur.
ÉLIANTE.

Moi, vous venger? comment?

ALCESTE.

En recevant mon cœur.

Acceptez-le, madame, au lieu de l'infidèle;
C'est par là que je puis prendre vengeance d'elle;
Et je la veux punir par les sincères vœux,
Par le profond amour, les soins respectueux,
Les devoirs empressés et l'assidu service,
Dont ce cœur va vous faire un ardent sacrifice.
ÉLIANTE.

Je compatis, sans doute, à ce que vous souffrez,
Et ne méprise point le cœur que vous m'offrez;
Mais peut-être le mal n'est pas si grand qu'on pense,
Et vous pourrez quitter ce desir de vengeance.
Lorsque l'injure part d'un objet plein d'appas,
On fait force desseins qu'on n'exécute pas:
On a beau voir, pour rompre, une raison puissante,
Une coupable aiínée est bientôt innocente;

Tout le mal qu'on lui veut se dissipe aisément,
Et l'on sait ce que c'est qu'un courroux d'un amant.

ALCESTE.

Non, non, madame, non. L'offense est trop mortelle ;

Il n'est point de retour, et je romps avec elle;

Rien ne sauroit changer le dessein que j'en fais,
Et je me punirois de l'estimer jamais.

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