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dans le chapitre septième (1) que sans la foi personne n'a jamais été justifié; et dans le huitième, il déclare que, selon le consentement universel de l'Eglise catholique, ces paroles de saint Paul: (2) Nous sommes justifiés par la foi, se doivent entendre en ce sens, que la foi est le commencement du salut des hommes, le fondement et la racine de toute justification, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, et d'avoir place entre ses enfants, et quoiqu'il ait assez déclaré dans le second et dans le sixième chapitre que nous avons rapportés, que cette foi, qui est le fondement et la racine de toute justification, et sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, doit avoir pour objet l'incarnation de Jésus-Christ, et la rédemption des hommes par son sang, il le répète néanmoins encore. Or pour ruiner cette pernicieuse doctrine des hérétiques, qu'il n'est besoin pour être justifié, que de croire que nos péchés nous sont remis par Jésus-Christ, le concile avoue bien qu'il est nécessaire pour la justification de croire que les péchés ne sont point remis et ne l'ont jamais été, sinon gratuitement par la miséricorde divine, en considération de Jésus-Christ; mais il nie que cela suffise.

(Conc. Triden. sess. 6, cap. 9). Quamvis autem necessarium sit credere, neque remitti, neque remissa unquam fuisse peccata nisi gratis divina misericordia, propter Christum, nemini tamen fiduciam et certitudinem remissionis peccatorum suorum jactanti et ea sola quiescenti peccata dimitti, vel dimissa esse dicendum.

Or il faut remarquer que l'Eglise diffère sur ce sujet en deux points d'avec les hérétiques. Le premier, en ce qu'ils soutiennent que cette foi de la rémission des péchés par Jésus-Christ, suffit pour la justification; au lieu que l'Eglise enseigne qu'elle est nécessaire, mais non pas suffisante, parce qu'elle doit être accompagnée d'espérance, d'amour, de pénitence et d'autres dispositions. Le second, est qu'ils veulent que cette foi ne soit pas seulement générale, mais particulière, prétendant que tout homme, pour être justifié, doit croire de certitude de foi, que ses péchés lui sont remis par Jésus-Christ; au lieu que l'Eglise juge seulement nécessaire de croire en général que les péchés ne sont remis, et n'ont jamais été remis à personne, que par l'entremise du Sauveur du monde.

Mais toutes ces décisions de l'Eglise universelle, qui sont plus claires que le jour, nous font voir manifestement que l'on ne peut nier sans erreur, que cette première

(1) Concil. Trid., Sess. 6, cap. 7. Sacramentum fidei, sine qua nulli unquam contigit justificatio.

(2) Ibid., cap. 8. Cum Apostolus dicit justificari hominem per fidem, ea verba in eo sensu intelligenda sunt, quem perpetuus Ecclesie catholicæ consensus tenuit, út scilicet per fidem ideo justificari dicamur, quia fides est humanæ salutis initium, fundamentum et ralix oninis justificationis, sine qua impossibile est placere Deo, et ad filiorum ejus consortium pcr

vemre.

partie de l'humilité chrétienne, qui regarde les péchés passés, qui nous oblige de nous considérer comme n'étant par nous-mêmes que les objets de la colère de Dieu, et ne pouvant espérer aucune part en sa miséricorde, que par la confiance que nous en donne un Dieu mort et ressuscité pour nous, ne soit nécessaire pour être délivrés de la puissance des ténèbres, et éviter la punition que nous avons méritée par nos péchés. CHAPITRE X.

Que les païens, faute de cet esprit d'humilité qui est inséparable de la vraie foi en JésusChrist, n'ont point évité le péché.

Ce n'est pas assez d'avoir fait voir que faute d'humilité les païens n'ont point obtenu la rémission de leurs péchés, il faut encore montrer que par la même raison ils n'ont point évité le péché, ni marché par conséquent dans la voie de la justice pour arriver au salut. Car comme saint Paul nous oblige de considérer davantage ce que nous devons être à l'avenir, que ce que nous avons été par le passé, il faut nécessairement entrer pour cela dans la seconde partie de l'humilité, qui regarde la vie nouvelle. Et ainsi il faut reconnaître sincèrement que pour faire le bien, l'assistance continuelle de la grâce de Jésus-Christ nous est nécessaire; que nous ne saurions faire aucun pas dans les voies de Dieu, qu'autant que son esprit nous y conduit; que nous n'avons de nous-mêmes que mensonge et péché, et qu'étant abandonnés à nos propres forces, il n'y a point de crimes que nous ne soyons capables de commettre; et enfin que tout ce que Dieu voit en nous comme de nous, ne mérite rien, et que couronnant nos mérites, il ne couronne que ses dons.

C'est aussi ce que le concile de Trente a voulu toucher en un mot (1), lorsqu'il met entre les dispositions nécessaires pour être justifié, de commencer à aimer Dieu, comme source de toute justice, c'est-à-dire comme celui qui a seul le pouvoir de nous rendre justes, de pécheurs que nous étions, et de nous faire vivre ensuite de la vie des justes.

Mais sans s'arrêter à expliquer une infinité de témoignages de l'Ecriture sainte et de la tradition, ce que l'on pourra faire ailleurs, la seule opposition que saint Paul met entre la loi des œuvres et la loi de la foi est plus que suffisante pour confirmer cette vérité, et faire voir aux plus aveugles, qu'on ne peut être justifié par Jésus-Christ, sans se dépouiller de cet orgueil commun à tous les philosophes païens, qui nous persuade que la bonne vie ne dépend que de notre volonté, et sans reconnaître par un véritable sentiment de cœur, que pour accomplir la loi de Dieu, il faut que l'esprit de Dieu nous en donne la puissance: car la loi de la foi, selon saint Paul, n'est autre chose que la foi même qui nous fait obtenir la grâce de faire

(1) Concil. Trid., Sess. 6, capite 6. Illumque (Deum) tanquam omnis justitiæ fontein diligere incipiunt.

ce qui nous est comniandé par la loi des uvres. Par l'une, dit saint Augustin, Dieu nous dit: faites ce que je vous commande (Libro de Spiritu et Littera, cap. 13). Fac quod jubeo; et par l'autre nous disons à Dieu, donnez-nous le pouvoir de faire ce que nous vous commandez; Da quod jubes. Ainsi ce que la loi des œuvres nous commande en menaçant, la loi de la foi l'obtient en croyant (Libro de Spiritu et Littera, cap. 13): Quod lex factorum minando imperat, hoc lex fidei credendo impetrat.

Or c'est un article de foi établi par saint Paul, (Per legem Fidei. Roman. III), que l'on ne peut être justifié devant Dieu que par la loi de la foi, et non pas par la loi des œuvres; et par conséquent on ne peut douter sans ruiner une vérité catholique, que tous ceux qui ne se sont point conduits par cette loi de la foi, c'est-à-dire, qui n'ont point cru être obligés de s'adresser à Dieu par Jésus-Christ avec des prières et des gémissements pour obtenir de sa bonté la grâce d'accomplir ce qu'il nous commande, quelque connaissance de Dieu qu'ils aient eue, quelques vertus morales qu'ils aient possédées, quelques bonnes œuvres apparentes qu'ils aient faites, n'ont en aucune sorte été réputés justes devant Dieu, ni reçus au nombre de ses enfants.

CHAPITRE XI.

Qu'il est aisé de conclure des dispositions qu'on a fait voir nécessaires pour arriver au salut éternel, que les païens n'y sont point

parvenus.

Nous avons examiné jusqu'ici, par l'Ecriture sainte et par les définitions de l'Eglise, quelles sont les dispositions nécessaires pour arriver au salut éternel par l'entremise de Jésus-Christ, notre médiateur, par lequel scul on y peut prétendre. On peut maintenant juger par tout ce que nous en avons dit, si les philosophes païens ont été dans le moindre de ces sentiments évangéliques, sans lesquels on a fait voir clairement qu'on ne participe point à la mort du Sauveur des hommes.

Le premier de ces sentiments est de reconnaître la grandeur de ses péchés, de les confesser devant Dieu avec douleur, et avec larmes, de les considérer comme dignes d'un châtiment éternel, selon la justice irréprochable de Dieu; et enfin, de croire fermement qu'ils ne peuvent être effacés que par le sang de l'Agneau, et qu'il n'y a que cette foi qui nous puisse donner confiance que Dieu nous fera miséricorde, comme dit le Concile: (Concil. Trid. Sess. 6. cap. 6) Fidentes Deum sibi propter Christum propitium fore.

Or il n'y a pas d'apparence qu'il faille maintenant se mettre en peine de prouver que ces philosophes profanes que l'on prétendrait mettre au nombre des bienheureux, n'ont point été dans ces pensées et dans ces sentiments; et on peut dire qu'il semble que ce serait se vouloir rendre ridicule, que de sonlenir qu'aucun de ces païens ait eu l'esprit

de pénitence,qu'il ait imploré avec gémissements et avec larmes la miséricorde de Dieu, pour obtenir la rémission de ses péchés, et cela dans cette créance, qui est le fondement et la racine de toute justification, selon le même concile, que le pécheur ne peut être justifie que par la grâce de Dieu et par la rédemption qui est en Jésus-Christ.

Il est vrai que nous voyons que quelquesuns de ces sages du siècle ont eu soin d'examiner leurs bonnes et leurs mauvaises actions; que Senèque, Socrate, Cicéron disent qu'ils repassaient tous les soirs ce qu'ils avaient fait le long du jour; mais si nous prenions la peine d'examiner ce que faisaient en cela ces infidèles, nous le trouverions aussi différent de ce que les fidèles doivent faire, que le vice l'est de la vertu, et l'orgueil de l'humilité.

Voici comment Sénèque en parle lui-même. Tous les soirs, dit-il, je plaide ma cause devant moi-même, je repasse par mon esprit ce que j'ai fait, et ce que j'ai dit durant la journée: je ne me cache rien, et je n'omets rien, parce que je n'ai point sujet de rien craindre pour mes fautes, me pouvant dire à moi-même : Ne le fais plus à l'avenir, je te le pardonne pour ceite fois.

Pour peu donc que l'on ait connaissance du génie de ces philosophes païens, on voit dans ces paroles, quelque belle apparence qu'elles aient, qu'au lieu qu'un vrai chrétien n'examine sa conscience que pour en rendre compte à Dieu, celui-ci au contraire ne l'examine que pour en rendre compte à sa propre raison, qu'il adore et qu'il met en la place de Dieu; que l'un ne pense qu'à satisfaire à la justice divine, et que l'autre n'a soin que de satisfaire à sa propre vanité; que l'un se traite en criminel, qui n'a confiance qu'en la bonté de son juge, et l'autre se traite en souverain, qui n'est responsable de ses actions qu'à lui-même. L'un est saisi de crainte dans la considération de ce que ses péchés méritent, et ne respire qu'à la miséricorde de celui qui les a vou'u effacer par son propre sang; et l'autre témoigne avec insolence, que ses fautes ne lui peuvent donner de frayeur, parce qu'il en est le souverain juge, qu'il se peut absoudre au même temps qu'il s'accuse, et que ne considérant dans le vice et dans la vertu que la diminution et l'accroissement de sa propre excellence, il ne se croit redevable qu'à lui seul de sa bonne et de sa mauvaise vic.

Aussi loin que cette confession profane de ces impies tienne quelque chose de l'humilité sainte des chrétiens; au contraire elle conserve toutes les traces de cet insupportable orgueil qui a porté l'homme à se délacher du principe de son étre, pour s'établir en sa place comme le premier principe et la fin dernière de toutes ses actions. Au lieu donc que la grâce et la foi chrétienne mettent l'homme et tout son sort entre les mains de Dieu, (Psalm. XXXVI) In manibus tuis sortes med on voit au contraire que ce prétendu examen de la conscience de Sénèque et de tous ces sages païens, que l'on peut cons

dérer comme les héritiers et les successeurs du premier ange rebelle dans son orgueil, montre clairement qu'ils mettaient leur bonheur et leur malheur entre leurs mains, et qu'ils croyaient tout pouvoir dire au contraire de David: In manibus meis sortes meæ. C'est pourquoi on ne doit pas s'étonner si le plus retenu de tous les hommes à décider sur les choses où il eût eu le moindre sujet de douter, soutient avec tant d'assurance, que la véritable confession des péchés, ne se trouve que dans le christianisme, parce que T'humilité qui en doit être le principal fondeinent, ne s'enseigne que dans l'école de Jésus-Christ.

C'est ce que saint Augustin nous déclare, en expliquant ces paroles du roi prophète (Psalm. XXXI): In diluvio aquarum multarum ad eum non approximabunt. (1) Ceux qui nagent dans le déluge de plusieurs eaux, n'approchent point de Dieu. Qu'est-ce que ce déluge de plusieurs eaux, demande ce saint docteur, sinon une variété de différentes doctrines? Mais ces eaux ne servent qu'à souiller les âmes des hommes, car la doctrine de Dieu est une. Ainsi il n'y a point plusieurs eaux; mais une seule eau, soit du sacrement de baptême, soit de la doctrine du salut; et cetle eau sainte et véritable qui coule du fond de la plus pure source de la vérité, est celle qui nous enseigne à nous reconnaître coupables devant Dieu, et qui nous apprend à dire: Il est bon de confesser ses péchés devant le Seigneur. C'est cette eau qui nous met cette parole en la bouche: Je prononcerai ma sentence contre moi-même, en découvrant à Dieu mes iniquités. C'est aussi elle qui fait que nous lui adressons cette prière: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous. C'est cette eau de la confession des péchés qui donne un cœur humilié, cette eau vivifiante et salutaire, qui fait que l'âme s'abaisse devant Dieu, qu'elle ne présume rien

(1) Augustinus in Psalm. XXXI, Enarrat. 2. Quid est diluvium aquarum multarum? Multiplicitas variarum doctrinarum. Doctrina Dei una est: non sunt multæ aque sed una aqua, sive sacramenti Baptismi, sive doctrinæ salutaris..... Alix aquæ multæ, multæ doctrinæ inquinant animas hominum. Quae est illa aqua illa vera que manat de intimo fonte puræ vene veritalis? Quæ illa aqua est, nisi quæ docet confiteri Domino? Quæ est illa aqua, nisi quæ docet bonum est confiteri Domino? Quæ est illa aqua, nisi quæ docet hanc vocem: Dixi, pronuntiabo adversum me injustitiam meam Domino; et ego dixi : Domine, miserere mei, sana animam meam, quoniam peccavi tibi: brc aqua confessionis peccatorum, hæc aqua humiliationis cordis, hæc aqua vite salutaris abjicientis se, nihil de se præsumentis, nihil sua potentiæ superbe tribuentis. Ilac aqua in nullis alienigenarum libris est, non in epicureis, non in stoicis, non in manichæis, non in platonicis, ubicumque etiam inveniuntur optima præcepta morum et disciplinæ, humilitas tamen ista non invenitur. Via humilitatis hujus aliunde manat, a Christo venit: hæc via ab illo est qui cum esset altus, humilis venit... In hac ergo humilitate propinquatur ad Deum, quia prope est Dominus his qui obtriverunt cor. In diluvio autem aqua

rum multarum extollentium se adversus Deum, et docentium superbas iniquitates, ad Deum non approximabunt.

de soi, et qu'elle n'attribue rien par orgueil d ses propres forces.

Mais cette eau, ajoute saint Augustin, ne se rencontre dans pas un de tous ceux qui sont étrangers à Jésus-Christ et à l'Eglise. Elle ne se trouve point parmi les épicuriens, parmi les stoïciens, parmi les manichéens, parmi les platoniciens; et aux lieux mêmes où l'on rencontre d'excellents préceptes touchant la vertu et les bonnes mœurs, l'on n'y rencontre pas néanmoins cette humilité. Aussi ne peut-on entrer dans ce chemin de l'humilité par toutes ces voies étrangères, parce que cette humilité ne peut venir que de Jésus-Christ, et de celui qui étant dans la grandeur, a voulu paraître dans l'abaissement..... C'est par cette humilité que l'on s'approche de Dieu, parce que Dieu est proche de ceux qui brisent leurs cœurs par la douleur et l'humiliation de la pénitence, au lieu que ce n'est pas dans le déluge de plusieurs eaux, c'est-à-dire, dans une variété infinie de différentes doctrines de ces philosophes qui s'élèvent au-dessus de Dieu, et qui enseignent des impiétés pleines d'orgueil, que l'on s'approche de Dieu.

Il est donc évident que personne du monde ne peut aller au ciel que par l'humilité et par la pénitence, et que qui que ce soit n'y pourra jamais arriver qu'en suivant la trace de Jésus-Christ notre Sauveur, et par conséquent que nul ne doit s'attendre que les plus pures sources de la philosophie païenne puissent jamais produire ces eaux salutaires d'une humble confession, parce que ces plus beaux enseignements n'étant pas animés de l'esprit de Jésus-Christ, ne sont que des eaux bourbeuses capables de souiller les âmes au lieu de les purifier, et qu'en effet rien n'est plus éloigné du génie de ces sages orgueilleux, que les gémissements et les larmes pour obtenir le pardon de leurs péchés. Mais il s'ensuit aussi de là que l'on ne pourrait donc pas, sans renverser les fondements de la religion chrétienne, leur donner place dans la béatitude éternelle, qui n'est promise qu'aux pauvres d'esprit : Beati pauperes spiritu (Math. V), c'est-à-dire, aux humbles de cœur; et qu'ainsi on ne peut pas non plus les exempter de subir le jugement que JésusChrist a prononcé contre tous ceux qui ne feront point pénitence de leurs péchés (Luc. XIII), Nisi pœnitentiam egeritis, omnes simul peribitis.

CHAPITRE XII.

Que les païens ne sont point entrés dans les sentiments d'une véritable pénitence, n'ayant eu aucune crainte des jugements de Dieu, qui en est inséparable, et le commencement.

Nous savons encore que le premier pas qu'il faut faire ordinairement pour entrer sincèrement dans des sentiments d'une véritable pénitence est la crainte des jugements épouvantables de Dieu, et la frayeur des supplices éternels, que sa juste colère prépare aux méchants. Mais comment est-il possible que ces philosophes aient été touchés de cette crainte, puisque nous voyons que Ci

céron, le plus célèbre d'entre eux, nous assure dans le livre de ses Offices, où il recherche la cause de l'obligation si étroite que nous avons d'observer nos jurements, que Dieu ne peut être touché de colère et ne fait jamais de mal à personne?

Il dit même qu'ils s'étaient tous accordés dans cette maxime impie, tant ceux qui niaient la Providence, que ceux qui la défendaient. Et lorsqu'il examine ce qu'il peut donc y avoir dans le jurement qui le rende si saint et si inviolable, ce grand philosophe, qui a acquis la qualité d'orateur romain par excellence, dit expressément, que ce n'est pas à la crainte de Dieu que l'on doit avoir égard, mais seulement à l'obligation que le jurement exige par lui-même. Car, dit-il, le jurement est une promesse confirmée par un acte de religion. Or il faut accomplir ce qu'on a promis en la présence de Dieu, comme l'ayant appelé pour être témoin de cette promesse. Il est vrai que ce n'est pas parce qu'on doit craindre sa colère, puisqu'il est incapable d'en avoir contre les parjures; mais parce que la justice et la fidélité nous obligent d'exécuter ce que nous avons promis avec jurement. «Quid est igitur, dixerit quis in jurejurando? Num iratum timemus Jovem? At hoc quidem commune est omnium philosophorum, non eorum modo qui Deum nihil habere ipsum negotii dicunt, et nihil exhibere alteri, sed eorum qui Deum semper agere aliquid et moliri volunt, nunquam nec irasci Deum, nec nocere. Et voici comme il répond à cette objection: Sed in jure jurando non qui motus, sed quæ vis sit debet intelligi. Est enim jusjurandum affirmatio religiosa: quod autem affirmate, quasi Deo teste, promiseris, id tenendum est: jam enim non ad iram deorum, quæ nulla est, sed ad justitiam et ad fidem pertinet.

Aussi voyons-nous que Lactance qui avait entrepris la défense de la véritable religion contre les erreurs du paganisme s'est cru obligé de faire un livre exprès qu'il a intitulé: De la colère de Dieu, où il témoigne que sur ce point tous les philosophes s'étaient partagés en deux bandes. Dans l'une étaient les épicuriens, qui soutenaient que Dieu n'était touché ni d'amour pour la vertu, ni de colère contre le vice; mais que, ne prenant aucun soin des choses humaines, il jouissait en repos de son immortalité bienheureuse, ce qui était attribuer à Dieu une honteuse et insensible oisiveté; dans l'autre étaient les stoïciens, qui se persuadaient que Dieu était susceptible d'amour et de faveur, mais non pas de colère; parce, disaient-ils, qu'il est indigne d'une nature si excellente de faire mai à personne. Ainsi, dit Lactance, tous les philosophes sont d'accord pour ce qui regarde la colère, mais ils sont divisés touchant l'amour. Hi omnes philosophi de ira consentiunt, de gratia discrepant.

Voilà donc, ajoute cet auteur, ce que les philosophes ont cru de Dieu. Nul d'eux n'a dit autre chose: Que si nous reconnaissons que ce qu'ils en ont dit est faux, il ne reste qu'un seul moyen pour trouver la vérité, lequel n'a jamais été reçu ni soutenu par les

philosophes; c'est qu'il faut, par une suite nécessaire, que Dieu puisse être capable de colère, puisqu'il est susceptible d'amour. C'est donc là l'opinion et la maxime que nous devons tenir et défendre comme étant la souveraine raison, et le fondement de la religion et de la piété. Hæ sunt de Deo philosophorum sententia; aliud præterea nihil quisquam dixit. Quod si hæc quæ dicta sunt falsa esse deprehendimus, unum illud solum superest in quo sola possit veritas inveniri quod a philosophis nec susceptum est unquam, nec aliquando defensum, consequens esse ut irascatur Deus, quoniam gratia commovetur: Hæc tuenda nobis et asserenda sententia est, in ea enim summa omnis ratio et cardo religionis pietatisque versatur.

Il est donc clair comme le jour, que ces philosophes ne se mettaient jamais en peine, et n'avaient aucune crainte de la colère de Dieu irrité par leurs péchés, puisqu'ils étaient persuadés que ce n'était qu'une imagination populaire, de croire que Dieu fût jamais en colère, c'est-à-dire, qu'il punit les méchants par les châtiments et par les tourments que les hommes exercent contre ceux qui les méritent. Car les chrétiens sont bien éloignés d'admettre des passions en Dieu; il ne s'agit pas des effets que les hommes attribuent à des mouvements de colère, ne pouvant s'exprimer autrement. En un mot, les philosophes niaient absolument que Dieu punit les criminels, et par conséquent ne pouvaient avoir aucune crainte des jugements de Dieu, après l'avoir par leurs sentiments impies dépouillé de sa justice, et ne lui avoir laissé tout au plus qu'une fauss image de bonté, exposée à tous les mépris et à toutes les injures des hommes, sans qu'il leur en pût arriver aucun mal.

Cependant nous voyons par l'Evangile que le précurseur de Jésus-Christ (1) étant venu pour préparer ses voies, et pour disposer les hommes à le recevoir, ne l'a fait qu'en les exhortant à faire de dignes fruits de pénitence. Il les a en même temps avertis de fuir et de se mettre à couvert de la juste colère de Dieu, qui était prête à les consumer. Il les a menacés que la coignée était déjà à la racine de l'arbre: Et que tout arbre qui ne porterait point de bon fruit serait coupé et jeté au feu. Comment donc pourrait-on s'imaginer que ces philosophes auraient marché dans les voies de Jésus-Christ, qui sont les seules voies de salut; puisque ces menaces et ces craintes dont Dieu s'est servi pour y faire entrer les âines, n'ont passé dans l'esprit de ces païens que pour des rêveries et des terreurs paniques, qui n'avaient de fondement que dans la superstition du vulgaire ? Ne sait-on pas aussi qu'ils n'ont considéré les jugements de Dieu, et l'enfer, que comme des fables de poètes; et la colère de Dieu contre

(1) Matth. III. Facite fructum dignum pœnitentiæ: quis demonstravit vobis fugere a ventura ira? jam securis ad radicem arborum posita est. Omnis arbor que non facit fructum bonum excidetur, et in igncu mittetur.

les méchants et les vicieux, que comme l'opinion des ignorants.

CHAPITRE XIII.

Que les païens et les philosophes n'ayant point eu la connaissance de la chute de l'homme, n'ont pu entrer ni dans l'une ni dans l'autre des deux parties de l'humilité chrétienne, sans laquelle il est impossible d'être sauvé.

Pour donc prendre les choses dans leur source et établir la vérité que nous soutenons sur un fondement inébranlable, il n'y a qu'à remarquer que tous ces philosophes païens ont entièrement ignoré la chute de l'homme, et que pas un d'eux n'a eu la moindre pensée, que par la révolte du premier homme contre Dieu, toute la nature humaine est devenue esclave de la mort et du péché. Car qui ne voit que cette connaissance est absolument nécessaire pour reconnaître la nécessité d'un rédempteur, et pour se porter à le rechercher et à le demander à Dieu; au lieu qu'il est impossible de ne le pas croire inutile, si on ne se croit pas dans cette servitude? Et c'est néanmoins le fondement de la théologie de S. Paul, qui joint toujours ensemble le vieil Adam, qui nous a précipité dans la mort, et le nouvel Adam qui nous a redonné la vie (I Corint, XV): Per unum hominem mors, el per unum hominem resurrectio mortuorum. C'est ce qui fait aussi dire à S. Augustin (1), que la foi en ces deux hommes est ce qu'à proprement parler on appelle la foi chrétienne.

Cependant il est certain que les plus sages du paganisme n'ont connu ni l'un ni l'autre: c'est pourquoi ils ont autant ignoré le péché originel, qui a sa source dans le premier Adam, que la grâce qui nous a été méritée par Jésus-Christ. Comment donc peut-on croire qu'ils se seraient imaginé que les hommes eussent besoin d'un libérateur, puisqu'il était impossible qu'ils s'imaginassent que toute la nature humaine eût été asservie au démon par le péché d'Adam, qu'ils n'ont point connu en qualité de premier homme, moins encore en qualité de corrupteur de tous les hommes ?

Mais que peut-on répondre à ce que JésusChrist lui-même nous assure si positivement, qu'il n'est descendu du ciel en terre (Luc, XIX), que pour sauver ce qui était perdu (Matth.. IX).Venit salvum facere quod perierat. Qu'il n'est point venu pour les justes, mais pour appeler les pécheurs à la pénitence; Non veni vocare justos, sed peccatores ad pœnitentiam (Matth., IX), et que lemédecin n'est nécessaire que pour les malades et non pour les sains, Non est opus valentibus medicus, sed malè habentibus ? N'est-il donc pas visible qu'il n'a point sauvé ceux qui ne se sont jamais cru perdus, ni délivré ceux qui bien loin de se croire esclaves, se glorifiaient d'être

(1) S. August., lib. de Peccato origin, cap. 24. In casa duorum hominum quorum per unum venundati sumus sub peccato, per alterum redimimur a peccatis... proprie fides christiana consistit.

aussi libres que leurs faux dieux? Il est donc constant que Jésus-Christ n'a point guéri les païens, qui n'avaient garde d'avoir recours à lui comme au médecin, ni d'implorer son assistance, puisqu'ils n'avaient aucune connaissance de leur maladie. Enfin, il est sans doute que Jésus-Christ n'étant venu que pour appeler les pécheurs à la pénitence, il n'a point couronné ces prétendus justes orgueilleux qui n'étaient pas du nombre des brebis qui lui ont été données par son Père.

Voilà pour ce qui regarde la première partie de l'humilité chrétienne, qui concerne la vie passée des païens, pleine de ténèbres et de péchés; et il est évident que si elle n'est jamais entrée dans l'esprit de ces philosophes, la seconde, qui regarde la nouvelle vie et qui consiste dans une sincère reconnaissance de notre impuissance à faire le bien et de la nécessité de la grâce de Jésus-Christ pour cet effet, non seulement ne leur a pas élé connue, mais qu'elle est directement opposée à tous les príncipes fondamentaux de leur doctrine.

Car on voit que les plus constantes maximes de leur morale ne sont autre chose que des leçons d'orgueil, pour apprendre aux hommes à ne dépendre que d'eux-mêmes et à n'adorer que leur propre raison; à n'établir leur bonheur que dans la jouissance de leurs propres biens; à ne reconnaître qu'euxmêmes pour auteurs de leur vertu et de leur félicité; à ne s'en vouloir pas tenir redevables à Dieu même; et à ne pouvoir pas seulement souffrir que nous lui adressions nos prières pour ce sujet.

C'est aussi cet esprit de vanité qui leur a fait prononcer comme des oracles indubitables, que l'unique bien d'où dépend l'origine et l'établissement de la vie heureuse, c'est de se confier à soi-même ; qu'il est impossible que celui-là ne soit pas heureux, qui ne dépend que de lui seul et qui établit toutes ses pensées et ses espérances en lui-même ; que ce qu'il y a de précieux et de magnifique dans la sagesse, c'est qu'elle ne nous vient point d'ailleurs ; que chacun se la doit à soi-même ; qu'il ne la faut point demander à autrui; qu'elle n'aurait rien qui fût digne d'admiration si elle dépendait du bienfait d'un autre ; que c'est le sentiment général de tous les hommes, que nous devons demander à Dieu la bonne fortune_el_nous donner à nous-mêmes la sagesse et la bonne vie; que jamais personne ne s'est cru redevable à Dieu de sa vertu et avec raison, parce que la vertu nous rend dignes de louanges; que c'est avec juste sujet que nous nous en glorifions; ce qui ne serait pas, si elle venait de Dieu, et non de nous-mêmes; que c'est une chose honteuse à un philosophe d'importuner encore les dieux par ses prières ; qu'il n'a que faire de vœux, puisque sa félicité ne dépend que de lui seul; et que celui qui la possède devient le compagnon des dieux et non leur suppliant; qu'il suffit de demander à Dieu la vie et les richesses; mais que pour la tranquillite de l'esprit, nous la devons prendre de nousmêmes; qu'il ne s'est jamais trouvé personne qui ait rendu graces aux dieux de ce qu'il était

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