Pendant ce temps-là, le scandale des disciples de Bloemardine allait en croissant; les sectaires faisaient tous les jours des progrès; ils en venaient aux nudités des adamites et rentraient à grands pas dans l'état sauvage. La partie saine de Bruxelles, qui faisait pourtant la majorité, s'alarma sérieuse ment. Les magistrats, soutenus par les honnêtes bourgeois, prirent des mesures sévères, chassèrent Bloemardine, et dispersèrent les frères etles sœurs du Libre-Esprit. Ceux deces malheureux qui ne voulurent pas renoncer à leurs écarts se retirèrent sur le Rhin, où les Beggards se maintinrent pour former d'autres hérésies. Ce ne fut qu'un mois après sa promenade de Vilvorde, que Bernard désolé retrouva Elisa. Elle s'était réfugiée au béguinage. Le pauvre jeune homme ne put reconquérir le cœur qu'il avait perdu. A tout ce qu'il put dire pour obtenir son pardon, la jeune fille resta inflexible; et lorsqu'il lui rappela qu'une première fois elle lui avait fait grâce, elle se contenta de répondre : On revient de la colère, on ne revient pas du mépris. Bloemardine en vieillissant perdit son influence et tomba dans le décri. Après sa mort, on fit présent de son fauteuil d'argent à la duchesse de Brabant. Mais comme les partisans de la femme libre assuraient que ce siége avait des vertus merveilleuses et qu'il faisait des miracles, on jugea qu'il fallait détruire cet aliment de superstitions vaines; on l'envoya à la fonte, et c'est dommage, c'était un curieux monument de la folie humaine. Longtemps après les événements que nous venons de rapporter, vers l'année 1350, sous le règne de Jeanne, un homme courbé par l'âge et plus encore par le chagrin pleurait et sanglotait amèrement, à l'enterrement d'une béguine. La défunte si regrettée était Elisa Moerinckx, morte fille; l'homme désolé était Bernard Drugman, qui n'avait jamais pu fléchir sa rigueur et qui n'avait pas voulu rechercher une autre femme. - Singulier mélange de faiblesse et de force. BLOKULA. Vers l'année 1670, il y eut en Suède, au village de Mohra, dans la province d'Elfdalen, une affaire de sorcellerie qui fit grand bruit. On y envoya des juges. Soixante-dix sorcières furent condamnées à mort; une foule d'autres furent arrêtées, et quinze enfants se trouvèrent mêlés dans ces débats. On disait que les sorcières se rendaient de nuit dans un carrefour, qu'elles y évoquaient le diable à l'entrée d'une caverne, en disant trois fois : - Antesser, viens! et nous porte à Blokula ! C'était le lieu enchanté et inconnu du vulgaire, où se faisait le sabbat. Le démon Antesser leur apparaissait sous diverses formes, mais le plus souvent en justaucorps gris, avec des chausses rouges ornées de rubans, des bas bleus, une barbe rousse, un chapeau pointu. Il les emportait à travers les airs à Blokula, aidé d'un nombre suffisant de démons, pour la plupart travestis en chèvres; quelques sorcières, plus hardies, aсcompagnaient le cortége, à cheval sur des manches à balai. Celles qui menaient des enfants plantaient une pique dans le derrière de leur chèvre; tous les enfants s'y perchaient à califourchon, à la suite de la sorcière, et faisaient le voyage sans encombre. Quand ils sont arrivés à Blokula, ajoute la relation, on leur prépare une fête; ils se donnent au diable, qu'ils jurent de servir; ils se font une piqûre au doigt et signent de leur sang un engagement ou pacte; on les baptise ensuite au nom du diable, qui leur donne des raclures de cloches. Ils les jettent dans l'eau, en disant ces paroles abominables: De même que cette raclure ne retournera jamais aux cloches dont elle est venue, ainsi que mon âme ne puisse jamais entrer dans le ciel. La plus grande séduction que le diable emploie est la bonne chère; et il donne à ces gens un superbe festin, qui se compose d'un potage aux choux et au lard, de bouillie d'avoine, de beurre, de lait et de fromage. Après le repas, ils jouent et se battent; et si le diable est de bonne humeur, il les rosse tous avec une perche, «ensuite de quoi il se met à rire à plein ventre. » D'autres fois il leur joue de la harpe. Les aveux que le tribunal obtint apprirent que les fruits qui naissaient du commerce des sorcières avec les démons étaient des crapauds ou des serpents. Des sorcières révélèrent encore cette particularité, qu'elles avaient vu quelquefois le diable malade, et qu'alors il se faisait appliquer des ventouses par les sorciers de la compagnie. Le diable enfin leur donnait des animaux qui les servaient et faisaient leurs commissions, à l'un un corbeau, à l'autre un chat, qu'ils appelaient emporteur, parce qu'on l'envoyait voler ce qu'on désirait, et qu'il s'en acquittait habilement. Il leur enseignait à traire le lait par charme, de cette manière : le sorcier plante un couteau dans une muraille, attache à ce couteau un cordon qu'il tire comme le pis d'une vache; et les bestiaux qu'il désigne dans sa pensée sont traits aussitôt jusqu'à épuisement. Ils employaient le même moyen pour nuire à leurs ennemis, qui souffraient des douleurs incroyables pendant tout le temps qu'on tirait le cordon. Ils tuaient même ceux qui leur déplaisaient, en frappant l'air avec un couteau de bois. Sur ces aveux on brûla quelques centaines de sorciers, sans que pour cela il y en eût moins en Suède (1). - Voilà des faits; pour les comprendre, voy. Boucs et SABBAT. BOBIN (NICOLAS), sorcier juge à Montmorillon, en Poitou, dans l'année 1599. Il fit à peu près la même confession que Berthomé (1) Balihazar Bekker, Le Monde enchanté, liv. IV, ch. 29, d'après les relations originales. du Lignon. Il était allé, comme lui, au sabbat et s'était donné au diable, qui lui avait fait renier Dieu, le baptême et ses parents. Il conta qu'après l'offrande, le diable se montrait quelquefois en forme d'homme noir, ayant la voix cassée d'un vieillard; que, quand il appelait le diable, il venait à lui en homme ou en bouc; que lorsqu'il allait au sabbat, il y était porté par un vent; qu'il y rendait compte de l'usage de ses poudres, qu'il avait toujours fidèlement employées à mal faire; qu'il portait la marque du diable sur l'épaule; que quand il donnait dés maladies, il les donnait au nom du diable, et les guérissaiť au même nom; qu'il en avait fait mourir ainsi, et guéri plusieurs (1)... BOCAL, sorcier qui fut arrêté à vingtsept ans dans le pays de Labour, sous Henri IV, comme convaincu d'avoir été vu au sabbat, vêtu en prêtre, et servant de diacre ou desous-diacre les nuits des trois jours qui précédèrent sa première messe dans l'église de Sibour (car ce malheureux était prétre); et, comme on lui demandait pourquoi il disait plutôt la messe au sabbat qu'à l'église, il répondit que c'était pour s'essayer et voir s'il ferait bien les cérémonies. Sur la déposition de vingt-quatre témoins, qui disaient l'avoir vu au sabbat, chantant la messe, il fut condamné à mort après avoir été dégradé. Lorsqu'il allait être exécuté, il était tellement tendu à rendre son âme au diable, auquel il l'avait promise, que jamais il ne sut dire ses prières au confesseur qui l'en pressait. Les témoins ont déclaré que la mère, les sœurs et toute la famille de Bocal étaient sorciers, et que quand il tenait le bassin des offrandes, au sabbat, il avait don. né l'argent desdites offrandes à sa mère, en récompense, sans doute, de ce qu'elle l'avait, dès sa naissance, voué au diable, comme font la plupart des autres mères sorcières (2). BODEAU (JEANNE), sorcière du pays de Labour qui, au rapport de Pierre Delancre, conta qu'à l'abominable cérémonie, appelée la messe du sabbat, on faisait l'élévation avec une hostie noire, de forme triangulaire (3). BODILIS. Cambry, dans son Voyage au Finistère, parle de la merveilleuse fontaine de Bodilis, à trois quarts de lieue de Landivisiau. Les habitants croient qu'elle a la propriété d'indiquer si une jeune fille n'a pas fait de faute. Il faut dérober à celle dont on veut apprécier ainsi la sagesse, l'épine qui attache sa collerette en guise d'épingle, et la poser sur la surface de l'eau : tout va bien si elle surnage; mais si elle s'enfonce, c'est qu'il y a blâme. BODIN (JEAN), savant jurisconsulte et démonographe angevin, mort de la peste en 1596. L'ouvrage qui fit sa réputation fut sa République, que La Harpe appelle le germe de l'Esprit des lois. Sa Démonomanie lui donne ici une place; mais il est difficile de (1) Discours sommaire des sortiléges et vénéfices tirés des procès criminels jugés au siége royal de Montmorillon, en Poitou, en l'année 1599, p. 50. juger Bodin. On lui attribue un livre intitulé: Colloquium heptaplomeron de abditis rerum sublimium arcanís, dialogues en six livres, où sept interlocuteurs de diverses religions disputent sur leurs croyances, de manière que les chrétiens cèdent souveut l'avantage aux musulmans, aux juifs, aux déistes. Aussi l'on a dit que Bodin était à la fois protestant, déiste, sorcier, juif et athée. Pourtant, ces dialogues sont-ils vraiment de lui? On ne les connaît que par des copies manuscrites; car ils n'ont jamais été imprimés. - Sa Démonomanie des sorciers parut in-4°, à Paris, en 1581; on en a fait des éditions sous le titre de Fléau des démons et des sorciers (Niort, 1616). Cet ouvrage est divisé en quatre livres; tout ce qu'ils contiennent de curieux est cité dans ce dictionnaire. L'auteur définit le sorcier, celui qui se pousse à quelque chose par des moyens diaboliques. Il démontre que les esprits peuvent s'associer et commercer avec les hommes. Il trace la différence d'humeurs et de formes qui distingue les bons esprits des mauvais. It parle des divinations que les démons opèrent, des prédictions licites ou illicites. Dans le livre II il recherche ce que c'est que la magie; il fait voir qu'on peut évoquer les malins esprits, faire pacte avec le diable, être porté en corps au sabbat, avoir, au moyen des démons, des révélations par extases, se changer en loup-garou; il termine par de longs récits, qui prouvent que les sorciers ont pouvoir d'envoyer les maladies, stérilités, grêles et tempêtes, et de tuer les bêtes et les hommes. Si le livre II traite des maux que peuvent faire les sorciers, on voit dans le livre III qu'il y a manière de les prévenir: qu'on peut obvier aux charmes et aux sorcelleries; que les magiciens guérissent les malades frappés par d'autres magiciens. Il indique les moyens illicites d'empêcher les maléfices. Rien ne lui est étranger. It assure que, par des tours de leur métier, les magiciens peuvent obtenir les faveurs des grands et de la fortune, les dignités, la beauté et les honneurs. Dans le livre IV il s'occupe de la manière de poursuivre les sorciers, de ce qui les fait reconnaître, des preuves qui établissent le crime de sorcellerie, des tortures, comme excellent moyen de faire avouer. Un long chapitre achève l'œuvre, sur les peines que méritent les sorciers. Il conclut à la mort cruelle; et il dit qu'il y en a tant, que les juges ne suffiraient pas à les juger ni les bourreaux à les exécuter. «Aussi, ajoute-t-il, n'advient-il pas que de dix crimes il y en ait un puni par les juges, et ordinairement on ne voit que des bélîtres condamnés. Ceux qui ont des amis ou de l'argent échappent. L'auteur consacre ensuite une dissertation à réfuter Jean Wierus, sur ce qu'il avait dit que les sorciers sont le plus souvent des ma (2) Delancre. Tableau de l'inconstance des démons, etc., liv. VI, page 420. (3) Ibid., liv. VI, disc. 3. Je lui répondrai, dit Bodin, pour la défense des juges, qu'il appelle bourreaux. L'auteur de la Démonomanie avoue que ces horreurs lui font dresser le poil en la tête, et il déclare qu'il faut exterminer les sorciers et ceux qui en ont pitié, et brûler les livres de Wierus (1). BODRY. Voy. REVENANTS, BOECE, L'un des plus illustres Romains du sixième siècle, auteur des Consolations de la philosophie. Il s'amusait, dans ses moments de loisir, à faire des instruments de mathématiques, dont il envoya plusieurs pièces au roi Clotaire. Il avait construit des cadrans pour tous les aspects du soleit, et des clepsydres qui, quoique sans roues, sans poids et sans ressorts, marquaient aussi le cours du soleil, de la lune et des astres, au moyen d'une certaine quantité d'eau renfermée dans une boule d'étain qui tournait sans cesse, entraînée, dit-on, par sa propre pesanteur. C'était donc le mouvement perpétuel. Théodoric avait fait présent d'une de ces clepsydres à Gondebaud, roi des Bourguignons. Ces peuples s'imaginèrent que quelque divinité, renfermée dans cette machine, luí imprimait le mouvement: c'est là sans doute l'origine de l'erreur où sont tombés ceux qui l'ont accusé de magie. Its en donnent pour preuves ses automates; car on assure qu'il avait fait des taureaux qui mugissaient, des oiseaux qui criaient et des serpents qui sifflaient. Mais Delrio dit (2) que ce n'est là que de la magie naturelle. BOEHM (JACOB), né en 1575, dans la Haute-Lusace. De cordonnier qu'il était il se fit alchimiste, homme à extases ct chef d'une secte qui prit le nom de boehmistes. H publia, en 1612, un livre de visions et de rêveries, intitulé l'Aurore naissante, que l'on poursuivit. Il expliquait le système du monde par la philosophie hermétique, et présentait Dieu comme un alchimiste occupé à tout produire par distillation. Les écrits de cet illuminé, qui forment plus de cinquante volumes inintelligibles, ne sont pas connus en France, excepté ce que Saint-Martin en a traduit: L'Aurore naissante, les Trois principes et la Triple vie. Ce songe-creux était anthropomorphite (3) et manichéen; il admettait pour deuxième principe du monde la colère divine ou le mal, qu'il faisait émaner du nez de Dieu. On recherche, parmi ses livres d'alchimie, son Miroir temporel de l'éternité, ou de la Signature des choses, traduit en français, in-8°; Francfort, 1669 (4). Ses doctrines philosophiques ont encore des partisans en Allemagne. BOEUF. Le bœuf de Moïse est un des dix animaux que Mahomet place dans son paradis. On attache à Marseille quelques idées su(1) Joannis Bodini universæ naturæ theatrum, in quo rerum omnium effectrices causæ et fines contemplantur. In-8°. Lugduni, Roussin, 1596. (2) Disquisition. magic., p. 40. (5) Les anthropomorphites étaient des hérétiques qui donnaient à Dieu la forme humaine. perstiticuses au bœuf gras qu'on promène, dans cette ville, au son des flûtes et des timbales, non pas comme partout le jour du carnaval, mais la veille et le jour de la FêteDieu. Des savants ont cru voir là une trace du paganisme; d'autres ont prétendu que c'était un usage qui remontait au bouc émissaire des Juifs. Mais Ruffi, dans son Histoire de Marseille, rapporte un acte du quatorzième siècle qui découvre l'origine réelle de cette coutume. Les confrères du SaintSacrement, voulant régaler les pauvres, achetèrent un bœuf et en avertirent le peuple en le promenant par la ville. Ce festin fit tant de plaisir qu'il se renouvela tous les ans; depuis il s'y joignit de petites croyances. Les vieilles femmes crurent préserver les enfants de maladie en leur faisant baiser ce bœuf; tout le monde s'empressa d'avoir de sa chair, et on regarde encore aujourd'hui comme très-heureuses les maisons à la porte desquelles il veut bien, dans sa marche, déposer ses excréments. Parmi les bêtes qui ont parlé, on peut compter les bœufs. Fulgose rapporte qu'un peu avant la mort de César un bœuf dit à son maître qui le pressait de labourer:Les hommes manqueront aux moissons, avant que la moisson manque aux hommes. On voit, dans Tite-Live et dans ValèreMaxime, que pendant la seconde guerre punique un bœuf cria en place publique : Rome, prends garde à toi ! - François de Torre - Blanca pense que ces deux bœufs étaient possédés de quelque démon (5). Le Père Engelgrave (Lux evangelica, pag. 286 des Dominicales) cite un autre bœuf qui a parlé. Voy. BÉHÉMOTH. BOGAHA. Arbre-Dieu de l'île de Ceylan. On conte que cet arbre traversa les airs afin de se rendre d'un pays très-éloigné dans cette île sainte, et qu'il enfonça ses racines dans le sol pour servir d'abri au dieu Budhou; qu'il couvrit de son 'ombrage tout le temps que ce dieu demeura sur la terre Quatre-vingt-dix-neuf rois ont eu l'honneur d'être ensevelis auprès du grand arbre-dieu. Ses feuilles sont un excellent préservatif contre tout maléfice et sortilége. Un nombre considérable de huttes l'environnent pour recevoir les pèlerins; et les habitants plantent partout de petits bogahas, sous lesquels ils placent des images et allument des lampes. Cet arbre, au reste, ne porte aucun fruit et n'a de recommandable que le culte qu'on lui rend. BOGARMILES, BOGOMILES et BONGOMILES. Sorte de manichéens qui parurent à Constantinople au douzième siècle. Ils disaient que ce n'est pas Dieu, mais un mauvais démon qui avait créé le monde. Its étaient iconoclastes. BOGUET (HENRI), grand juge de la terre de Saint-Claude au comté de Bourgogne, (4) On peut voir encore Jacobi Boehmi, alias dicti tentonici philosophi, clavis præcipuarum rerum quæ in reliquis suis scriptis occurrunt pro incipientibus ad ulteriorem considerationem revelationis divinæ conscripta, 1624, un vol. in-4°. (5) Epit. delictor. sive de magia, lib. II, cap. 25 } mort en 1619, auteur d'un livre pitoyable, plein d'une crédulité puérile et d'un zèle outré contre les sorciers. Ce livre, publié au commencement du dix-septième siècle, est intitulé : Discours des Sorciers, avec six avis en fait de sorcellerie et une instruction pour un juge en semblable matière (1). C'est une compilation des procédures auxquelles, comme juge, l'auteur a généralement présidé. On y trouve l'histoire de Louise Maillat, possédée de cinq démons à l'âge de huit ans; de Françoise Secretain, sorcière, qui avait envoyé lesdits démons; des sorciers Gros-Jacques et Willermoz, dit le Baillu; de Claude Gaillard, de Rolande Duvernois et de quelques autres. L'auteur détaille les abominations qui se font au sabbat; il dit que les sorciers peuvent faire tomber la gréle; qu'ils ont une poudre avec laquelle ils empoisonnent; qu'ils se graissent les jarrets avec un onguent pour s'envoler au sabbat; qu'une sorcière tue qui elle veut par son souffle seulement; qu'elles ont mille indices qui les feront reconnaître : par exemple, que la croix de leur chapelet est cassée, qu'elles ne pleurent pas en présence du juge, qu'elles crachent à terre quand on les force à renoncer au diable qu'elles ont des marques sous leur chevelure, lesquelles se découvrent, si on lesrase; que les sorciers et les magiciens ont tous le talent de se changer en loups; que sur le simple soupçon mal lavé d'avoir été au sabbat, même sans autre maléfice, on doit les condamner; que tous méritent d'être brûlés sans sacrement, et que ceux qui ne croient pas à la sorcellerie sont criminels. Il faut remarquer qu'en ces choses ce n'était pas le clergé qui était sévère, mais les juges laïques qui se montraient violents et féroces. A la suite de ces discours viennent les Six avis, dont voici le sommaire : 1. Les devins doivent être condamnés au feu, comme les sorciers et les hérétiques, et celui qui a été au sabbat est digne de mort. Il faut donc arrêter sur la plus légère accusation la personne soupçonnée de sorcellerie, quand même l'accusateur se rétracterait; et l'on peut admettre en témoignage contre les sorciers toutes sortes de personnes. On brûlera vif, dit-il, le sorcier opiniâtre, et, par grâce, on se contentera d'étrangler celui qui confesse. , 2o Dans le crime de sorcelleric, on peut condamner sur de simples indices, conjectures et présomptions; on n'a pas besoin pour de tels crimes de preuves très-exactes. 3o Le crime de sorcellerie est directement contre Dieu (ce qui est vrai dans ce crime, s'il existe réellement, puisque c'est une négation de Dieu et un reniement): aussi il faut le punir sans ménagement ni considération quelconque.... 4° Les biens d'un sorcier condamné doivent être confisqués comme ceux des hérétiques; car sorcellerie est pire encore qu'hé (1) Un vol. in-8°. Paris, 1603; Lyon, 1602, 1607, 1608, 1610; Rouen, 1606. Toutes ces éditions sont très-rares, résie, en ce que les sorciers renient Dieu. Aussi on remet quelquefois la peine à l'hérétique repenti; on ne doit jamais pardonner au sorcier... 5° On juge qu'il y a sorcellerie, quand la personne accusée fait métier de deviner, ce qui est l'œuvre du démon; les blasphèmes et imprécations sont encore des indices. On peut poursuivre enfin sur la clameur publique. 6° Les fascinations, au moyen desquelles les sorciers éblouissent les yeux, faisant paraître les choses ce qu'elles ne sont pas, donnant des monnaies de corne ou de carton pour argent de bon aloi, sont ouvrages du diable; et les fascinateurs, escamoteurs et autres magiciens doivent être punis de mort. Le volume de Boguet est terminé par l'instruction pour un juge en fait de sorcellerie. Cet autre morceau curieux est connu sous le nom de Code des sorciers. Voy. CODE. BOHÉMIENS. Il n'y a personne qui n'ait entendu parler des Bohémiennes et de ces bandes vagabondes qui, sous le nom de Bohémiens, de Biscaïens et d'Egyptiens ou Gitanos, se répandirent au quinzième siècle sur l'Europe, dans l'Allemagne surtout, la Hollande, la Belgique, la France et l'Espagne, avec la prétention de posséder l'art de dire la bonne aventure et d'autres secrets merveilleux. Les Flamands les nommaient heyden, c'est-à-dire païens, parce qu'ils les regardaient comme des gens sans religion. On leur donna divers autres sobriquets. Les historiens les ont fait venir sur de simples conjectures, de l'Assyrie, de la Cilicie, du Caucase, de la Nubie, de l'Abyssinie, de la Chaldée. Bellon, incertain de leur origine, soutient qu'au moins ils n'étaient pas Egyptiens; car il en rencontra au Caire, où ils étaient regardés comme étrangers aussi bien qu'en Europe. Il eût donc été plus naturel de croire les Bohémiens eux-mêmes sur leur parole, et de dire avec eux que c'était une race de Juifs, mêlés ensuite de chrétiens vagabonds. Voici ce que nous pensons être la vérité sur ces mystérieux nomades. Vers le milieu du quatorzième siècle, l'Europe et principalement les Pays-Bas, l'Allemagne et la France, étant ravagés par la peste, on accusa les Juifs, on ne sait pourquoi, d'avoir empoisonné les puits et les fontaines. Cette accusation soulevala fureur publique contre eux. Beaucoup de Juifs s'enfuirent et se jetèrent dans les forêts. Ils se réunirent pour être plus en sûreté et se ménagèrent des souterrains d'une grande étendue. On croit que ce sont eux qui ont creusé ces vastes cavernes qui se trouvent encore en Allemagne et que les indigènes n'ont jamais eu intérêt à fouiller. Cinquante ans après, ces proscrits ou leurs descendants ayant lieu de croire que ceux qui les avaient tant haïs étaient morts, quel ques-uns se hasardèrent à sortir de leurs tanières. Les chrétiens étaient alors occupés des guerres religieuses suscitées par l'hérésie de Jean Hus. C'était une diversion favorable. parce que la famille de Boguet s'efforça d'en supprimer les exemplaires. Sur le rapport de leurs espions, les Juifs cachés quittèrent leurs cavernes, sans aucune ressource, il est vrai, pour se garantir de la misère; mais pendant leur demi-siècle de solitude, ils avaient étudié les divinations et particulièrement l'art de dire la bonne aventure par l'inspection de la main; ce qui ne demande ni instrument, ni appareil, ni dépense aucune; et ils comptèrent bien que la chiromancie leur procurerait quelque argent. Ils se choisirent d'abord un capitaine, nommé Zundel. Puis comme il fallait déclarer ce qui les amenait en Allemagne, qui ils étaient, d'où ils venaient, et qu'on pouvait les questionner aussi sur leur religion; pour ne pas se découvrir trop clairement, ni pourtant se renier, ils convinrent de dire que leurs pères habitaient autrefois l'Egypte, ce qui est vrai des Juifs; et que leurs ancêtres avaient été chassés de leur pays pour n'avoir pas voulu recevoir la Vierge Marie et son fils Jésus. - Le peuple comprit ce refus, du temps où Joseph emmena le divin Enfant en Egypte pour le soustraire aux reherches d'Hérode; au lieu que les vagabonds juifs l'entendaient de la persécution qu'ils avaient soufferte cinquante ans auparavant. De là vient le nom d'Egyptiens qu'on leur donna et sous lequel l'empereur Sigismond leur accorda un passe-port. Ils s'étaient formé un argot ou un jargon déguisé, mêlé d'hébreu et de mauvais allemand, qu'ils prononçaient avec un accent étranger. Des savants qui ne voyaient pas plus loin, furent flattés de reconnaître certains termes de la langue allemande dans un patois qu'ils prenaient pour de l'égyptien. Ils dénaturaient aussi plusieurs appellations; ils appelaient un enfant un criard, un manteau un preneur de vent, un soulier un marcheur, un oiseau un volant. Toutefois, la multitude de mots hébreux qui est restée dans le langage des Bohémiens suffirait seule pour trahir leur origine juive. Ils avaient des mœurs particulières et s'étaient fait des lois qu'ils respectaient. Chaque bande se choisissait un roi, à qui tout le monde était tenu d'obéir. Quand parmieux une femme se mariait, elle se bornait, pour toute cérémonie, à briser un pot de terre devant l'homme dont elle voulait devenir la compagne; et elle le respectait comme son mari autant d'années que le vase avait produit de morceaux. Au bout de ce temps, les époux étaient libres de se quitter ou de rompre ensemble un nouveau pot de terre. On citerait beaucoup de bizarreries de ce genre. Dès que les nouveaux Egyptiens virent qu'ils n'étaient pas repoussés, ils implorèrent la pitié des Allemands. Pour ne pas paraître à charge, ils assuraient que, par une grâce particulière du ciel, qui les protégeait encore en les punissant, les maisons où ils étaient une fois reçus n'étaient plus sujet (1) Il y avait des Bohémiens dans les Ardennes, au commencement du dix-huitième siècle. Une légende populaire conte qu'un lansquenet, allant à la chasse de ces tes à l'incendie. Ils se mirent aussi à dire la bonne aventure, sur l'inspection du visage, des signes du corps, et principalement sur l'examen des lignes de la main et des doigts. Ils annonçaient desi belles choses, et leurs devineresses déployaient tant d'adresse, que les femmes et les jeunes filles les traitèrent dès lors avec bienveillance. Cependant la fureur contre les Juifs s'était apaisée; ils furent admis de nouveau dans les villages, puis dans les villes. Mais il resta toujours de ces bandes vagabondes qui continuèrent la vie nomade, découvrant partout l'avenir, et joignant à cette profession de nombreuses friponneries plus matérielles. Bientôt, quoique la nation juive fût le noyau de ces bandes, il s'y fit un tel mélange de divers peuples, qu'il n'y eut pas plus entre eux de religion dominante qu'il n'y avait de patrie. Ils parcoururent les Pay-Bas et passèrent en France, où on les appela Bohémiens, parce qu'ils venaient de la Bohême. Pasquier, dans ses Recherches, raconte à peu près ainsi leur apparition mystérieuse sur le sol français et leur arrivée aux portes de Paris en 1427; - Ils étaient au nombre de cent vingt; l'un de leurs chefs portait le titre de duc, un autre celui de comte; ils avaient dix cavaliers pour escorte. Ils disaient qu'ils venaient de la Basse-Egypte, chassés de leur pays par les Sarrasins, qu'ils étaient allés à Rome confesser leurs péchés au pape, qui leur avait enjoint pour pénitence d'errer sept ans par le monde, sans coucher sur aucun lit. (Les gens éclairés n'ajoutèrent sans doute pas foi à ce conte.) - On les logea au village de La Chapelle, près Paris; et une grande foule alla les voir. - Ils avaient les cheveux crépus, le teint basané, et portaient aux oreilles des anneaux d'argent. Comme leurs femmes disaient la bonne aventure et se livraient à des pratiques superstitieuses et mauvaises, l'évêque de Paris les excommunia, défendit qu'on les allât consulteret obtint leur éloignement. Le seizième siècle fut infecté de Bohémiens. Les Etats d'Orléans, en 1560, les condamnèrent au bannissement sous peine des galères, s'ils osaient reparaître. Soufferts dans quelques contrées que divisait l'hérésie, chassés en d'autres lieux comme descendants de Cham, inventeur de la magie, ils ne paraissaient nulle part que comme une plaie. On disait en Flandre qu'ils étaient si experts en sorcellerie, que dès qu'on leur avait donné une pièce de monnaie, toutes celles qu'on avait en poche s'envolaient aussitôt et allaient rejoindre la première, opinion populaire qui peut se traduire en d'autres termes et qui veut dire que les Bohémiens étaient des escrocs. Leurs bandes diminuèrentau dix-septième siècle (1). Pourtant on en voyait encore quelques rares détachements il y asoixante ans. Sous les nouvelles lois de police des Etats européens, les vagabonds, vit un Bohémien crépu avec deux femmes et un enfant. Le Bohémien l'ajustait de son espingole; lui, ajusta le Bohémien de son mousquet. Le Bohémien fut |