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lé plus grand malheur d'Angèle est arrivé bien à propos pour l'empêcher de se sentir tout-à-fait malheureuse. Entrer au couvent sous les auspices d'un jeune colonel, c'eût été une manière inusitée. Un autre asile s'ouvre donc pour la compagne de Juliette, et c'est avec plaisir qu'on lira cette circonstance racontée fort exactement sans doute, bien que nul n'ait jamais pu en rien apprendre.

Une scène de volupté dans le genre désespérant, c'est un rosier encore en fleurs au milieu des laves dévorantes. Ce n'est pas qu'Angèle ressente d'amers regrets, ou de longs remords, ou qu'elle perde la raison. Consultez l'épigraphe ; il n'y est pas dit : Maledicta, mais Maledictus eris. Néanmoins. . . . elles n'auront pas toujours les suites qu'on aime à s'en promettre, «ces délicieuses hostilités de deux cœurs, dont l'un attaque pour vaincre, et l'autre se défend pour être vaincu. » Mais l'auteur ajoute avec raison que cette lutte a souvent plus de charme encore lorsqu'elle est prolongée ou stimulée par une amie. Les femmes, poursuit-il, connaissent si bien le secret d'exciter l'amour, qu'elles réussissent admirablement, même dans l'intérêt d'une autre.

Ainsi la rapidité du récit n'exclue pas toujours les réflexions générales puisées dans la connaissance du cœur humain ; une plume ingénieuse sait les placer convenablement. Le personnage le plus mystérieux de ce drame vit dans la retraite, ou plutôt dans l'isolement, et il a ses raisons pour cela. Quelqu'un lui dit à ce sujet : « Un misantrope est un honnête homme qui n'a pas bien cherché; d'ailleurs vous oublierez les injustices de la société, quand vous connaîtrez les dou

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ceurs de la famille. Mais est-il bien vrai que les caractères énergiques soient ceux qu'un « incident léger, peut rendre au bonheur sous le poids de la douleur même?» Nous demanderons, en outre, n'est pas trop de quatre cadavres dans deux pages; s'il paraît fort naturel de monter péniblement pour aller là-bas, et si on n'est pas au moins distrait lorsqu'on se dit retenu par une affaire d'importance? Mais que signifient dans un ouvrage bien agréable et bien noir, des taches légères dont la liste serait sitôt épuisée?

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TABLETTES PARISIENNES.

No XI.

L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

En vain contre le Cid un ministre se ligue;
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue;
L'académie en corps a beau le censurer;

Le public tout entier s'obstine à l'admirer.

BOILEAU.

ACADÉMIE de musique, académie vétérinaire, académie française, etc.; toutes les académies possibles, faites et à faire, tirent leur origine de l'Académie d'Athènes, située dans le faubourg du Céramique; c'était une jolie maison, entourée de beaux jardins, qui appartenait à un Athénien appelé Académus. Là Platon donnait des leçons à ses disciples; on s'entretenait avec les poëtes et les prosateurs les plus célèbres sur les moyens de perfectionner la littérature, dont l'alliance est intime avec la philosophie, afin de rendre Athènes de plus en plus digne du beau titre de ville de Minerve. Aristote, attentif aux instructions d'un tel maître, médita, dans ces lieux inspirateurs, son immortelle Poétique, qui brille d'une jeunesse inaltérable, comme la jeunesse du dieu dont elle interprète les lois; tant la saine raison est indépendante du pouvoir du temps. Les Zoiles d'Athènes et la tourbe des écrivains, qui conspi

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raient contre les règles d'Aristote et du goût, ne passaient qu'en frémissant près de l'enceinte de l'Académie. Les barbouilleurs de tragédie, dont heureusement les próductions ne sont pas parvenues jusqu'à nous, n'auraient point osé se présenter dans un lieu décoré de bustes des Sophocle et des Euripide. L'Académie d'Athènes, enfin, était comme une Délos, où le savoir, la philosophie et les beaux-arts trouvaient un asile inviolable.

Sur cette noble institution athénienne, devait naturellement se calquer une académie jalouse du titre de Française. Rien de plus simple que le plan à suivre. Il s'agissait de former une agrégation d'hommes lettrés, quí servissent d'expression à la littérature, comme la littérature servait l'expression de la société; la trompette de la renommée suffisait presque à cette élection, et les écrivains qui avaient honoré et servi leur patrie de leurs ouvrages ingénieux et philosophiques en étaient honorés à leur tour par une distinction qui les constituait représentans des beaux-arts. La plus grande indépendance devenait l'ame de l'Académie, dont toutes les pensées, dirigées vers l'amélioration de l'idiome national, n'auraient jamais pu inspirer la moindre crainte au gouvernement le plus méticuleux.

Sans doute, ce plan se présenta dans sa belle simplicité à Richelieu. Mais ce ministre pouvait-il accueillir une pensée qui ne fût pas despotique? Au moyen des corporations, des jurandes, des maîtrises, tous les métiers " tous les arts industriels se trouvaient asservis à son autorité et ne palpitaient, pour ainsi dire, que de la quantité de vie qu'il leur permettait: il veut qu'il en soit ainsi des beaux-arts: il veut rabaisser le vol des muses

françaises au niveau de l'essor de ses talens littéraires ; il crée l'Académie; il a besoin pour son bureau d'esprit de commis souples et servilement dociles; il en nomme. quarante, qui prennent le nom d'Académiciens; ces genslà débutent bravement par un Gloria in excelsis en l'honneur de leur patron, et par une des iniquités littéraires les plus révoltantes, qui déshonorent les annales des corporations du bel-esprit. Corneille dit: Que lat tragédie soit, et le Cid paraît. Qu'aurait fait une académie française en pareille circonstance? Elle se serait empressée de ceindre de lauriers le front créateur d'où venait de sortir tout armée la Melpomène française: que fait l'académie Richelieu ? Elle excite tous les serpens de l'envie, qui répandent leur bave impure sur ce chef-d'œuvre nouveau.

Elle n'avait pas fait ce pas pour reculer; on la voit, à diverses époques, perfectionner l'art de ramper aux pieds des grands; on la voit proposer pour le concours de ses prix des textes de la plus basse adulation, comme celui-ci : Quelle est la plus grande de toutes les vertus du roi? Il s'agissait de Louis XIV. Elle en eût dit autant de Louis XI.

Les meilleures choses deviennent les pires alors qu'elles se corrompent: ainsi, quand l'homme de lettres consent à mettre des entraves à son indépendance, qui seule vivifie les créations de l'esprit, il ne s'arrête plus sur le chemin de la servitude. Historien, il ne trempera point, comme Tacite, sa plume dans le sang des victimes, pour traduire les tyraus devant le jury des siècles à venir; mais il se fera le complaisant historiographe de quelque mi

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