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blics, tels que les cafés, les restaurans et les maisons de jeu, il n'en faut pas conclure que les appartemens des gens riches, nobles ou bourgeois, soient moins éclairés. L'industrie y a multiplié les lustres entourés de bougies, et les lampes astrales; on ne voit plus de flambeaux sur les tables de jeu. La chandelle et les mouchettes ont été bannies des dîners ou des soupers de presque toute la bourgeoisie. Les yeux ne sont plus fatigués par une lumière vacillante, mais récréés par une lumière douce qui permet aux convives de distinguer tous les mets, et de se considérer les uns les autres. Sous ce rapport, sans parler de beaucoup d'autres, notre siècle est vraiment le siècle des lumières.

GENS DE LETTRES.

DEPUIS long-temps on parle des lettres comme d'une république indépendante, qui n'a pas d'autres limites que celles de l'Europe. Nous ignorons le motif qui leur a fait donner ce nom. S'il existe une république de cette espèce, il n'en est assurément aucune où l'inégalité des conditions soit aussi choquante, aucune dont les citoyens soient moins unis entre eux,

aucune où l'on trouve une aristocratie plus égoïste et plus insolente, et une démocratie plus turbulente; aucune où l'on remarque autant de penchans à la tyrannie dans les uns, autant de servilité dans les autres.

Ce n'est pas toujours le génie qui occupe les premières places dans cette oligarchie; l'intrigue y mène plus souvent que les talens; et tel se trouve au dernier rang, dédaigné et oublié, que sa modestie, compagne inséparable d'un grand mérite, a empêché de se montrer, et conséquemment d'avancer.

Parmi les gens de lettres, il en est beaucoup qui sont traités en raison inverse de leur mérite. Tel est bien accueilli des grands et des riches, et comblé de places lucratives, qui n'a jamais rien produit que de médiocre, et dont aucun ouvrage ne fera passer son nom à la postérité; tel autre plein de science, et que recommandent à l'estime publique plusieurs ouvrages utiles, végète dans l'obscurité et même dans le besoin. Lorsque Dorat dînait chez les grandes dames, Gilbert et Malfilâtre avaient à peine un morceau de pain à se mettre sous la dent.

Dans tous les temps, l'homme de lettres qui veut parvenir aux honneurs et à la fortune doit avoir une autre dégaîne que Coln***

Roqu**, Teys**, Bou** de Cr**, Bab**, Ch**, etc. Il faut qu'il soit vêtu à la nouvelle mode; qu'il ait une démarche assurée; qu'il porte la tête haute, qu'il parle avec facilité; qu'il paraisse ne douter de rien et ne rien ignorer; qu'il se présente dans un cercle avec grâce; qu'il y parle peu et sentencieusement; que, sans avoir l'air d'y penser, il jette dans la conversation le titre d'une romance ou d'un petit poëme de sa façon, et que ce ne soit qu'après de vives sollicitations qu'il consente enfin à en réciter quelques vers. Mais surtout que notre homme n'oublie pas de faire une cour assidue au chef de la division des belles-lettres du ministère de l'intérieur, s'il ne lui est pas encore donné d'être admis à l'audience du ministre. S'il négligeait ce devoir que son intérêt lui impose, il aurait beau être aussi savant que Newton, Locke ou Leibnitz, aussi éloquent que Bossuet, aussi grand poëte que Racine, Voltaire ou l'abbé Delille, il végéterait dans l'abandon, lorsque son nom serait prononcé par toutes les bouches de la renommée.

L'histoire littéraire ne rapporte que trop d'exemples du délaissement dans lequel se sont trouvés des gens de lettres du premier mérite, par leur négligence à se produire auprès des

grands, des ministres et des favoris de Plutus. Qui le croirait? Pendant ce gouvernement révolutionnaire qui a été si funeste à tant de gens de lettres, ceux-là seuls qui s'empressérent d'en adopter les principes et d'en courtiser les chefs, étaient assurés de conserver leur vie, d'obtenir des places et d'aller rapidement à la fortune. Que d'hommes médiocres ne seraient jamais sortis de l'obscurité ni de la misère, s'ils n'eussent point encensé successivement la Convention, le Directoire et Bonaparte. Il est des nôtres, disait un gouvernant, d'un mauvais poëte; il a de bonnes intentions, il faut le placer. La plupart de ces écrivains, que nous nous abstenons de nommer, se sont mis au nombre des girouettes, et ont chanté la palinodie de toutes leurs forces; aussi ontils conservé les places lucratives qu'ils avaient obtenues sous Napoléon, et même en ont-ils obtenu de nouvelles,

La conduite que nous avons indiquée aux gens de lettres qui veulent s'élever et s'enrichir, est si sage, que plusieurs d'entre eux se trouvent admirablement bien de s'y être conformés. Ce n'est point avec de gros et bons livres qu'ils sont parvenus au but de leur ambition; mais sur les ailes de quelques feuilles volantes, em

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preintes du cachet de l'adulation et du romantisme; mais à l'aide de leurs humbles courbettes auprès des agens du pouvoir, et de leurs phrases mielleuses auprès des femmes de la haute volée; à l'aide de petits contes bien vides, bien niais, bien frivoles, mais imprimés sur papier vélin satiné, et ornés de gravures, de vignettes et culs de lampe. Par de tels moyens, ces messieurs, pour nous servir d'une locution proverbiale, sont parvenus, en donnant un œuf, à se procurer un bœuf.

Ces ambitieux appartiennent au grand monde bien plus qu'à la modeste république des lettres. Ennemis de la vie retirée, ils ne se plaisent que dans la dissipation. S'ils sacrifient quelques heures de la matinée à compasser quelques phrases, à rimer quelques hémistiches, après les avoir laborieusement enfilés les uns aux autres, tout le reste du jour et une grande partie de la nuit se passent à la table des riches, dans les salons, au théâtre, aux thés, dans les coteries. Aussi ne s'aperçoit - on jamais que leurs ouvrages sentent l'huile de la lampe.

Et toi, savant et modeste littérateur, qui dédaignes de brûler ton encens devant les idoles du jour; qui, croyant n'en jamais savoir assez,

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