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différentes. L'une est question de bonne administration, l'autre de finance. Nous abandonnons celle-ci moyennant un subside gratuit, plus abondant, plus certain, plus régulier : quant à la question de prudence, il nous est toujours loisible de la traiter.

<< D'après ces considérations, messieurs, nous avons l'assurance que vous accepterez l'offre généreuse du clergé avec les conditions qui y sont attachées, et ce serait, de notre part, méconnaître la délicatesse de vos sentiments que de douter un seul instant que vous ne le considériez, ainsi que nous le faisons nous-mêmes, comme un noble exemple de dévouement à la patrie et d'amour fraternel envers la commune famille de l'État romain.

« Reste à considérer et à décider l'usage que nous devrons ou que nous pourrons faire de cette offre.

« Nous aurons, dans quelques jours, deux cent mille écus du clergé, cent mille au mois de décembre 1849, puis trois cent mille au mois de décembre de chacune des neuf années suivantes, et enfin deux cent mille dans le même mois de décembre des cinq autres années qui suivront; en d'autres termes, on peut dire que l'État est détenteur de quinze lettres de change tirées par le clergé et acceptées par une autorité chargée de le représenter

légalement à cet effet. Ces traites ou valeurs à échéances diverses peuvent être négociées séparément ou en bloc, et c'est se tenir dans les termes de la plus exacte vérité que de dire que soit que l'on considère la qualité du débiteur, ou la sanction donnée par le chef de l'Église auxdits engagements, ou la faculté que le créancier, qui est l'État, a de pouvoir, en tout cas, se payer de ses propres mains, il n'est point de créance moins suspecte et plus solide en sorte que le détenteur d'une de ces valeurs, subrogé aux droits et garanties de l'État lui-même, ne peut raisonnablement exiger qu'un intérêt honnête sur son capital jusqu'à l'échéance des valeurs dont cession nous est faite. »

:

Tel était le discours du comte Rossi, interprète de l'esprit de bienveillance et de sincérité dont le souverain Pontife était animé, empreint de l'esprit de sagesse éminemment pratique du ministre. Tous les deux brûlaient d'un vif désir de faire le bien, dans les limites de la prudence et de la raison. Nul doute que s'ils eussent eu entre leurs mains le sort d'un peuple réfléchi, ne voulant que les choses possibles, leurs efforts accueillis avec reconnaissance n'eussent été secondés et ultérieurement couronnés de succès.

A l'exception de quelques hommes aveuglément attachés aux traditions routinières d'un passé qui

que

demandait à se modifier, ou d'un très-petit nombre d'esprits sages qui avaient salué avec enthousiasme l'ère nouvelle inaugurée par la politique du ministre, le peuple romain, presque tout entier, se composait d'hommes égarés. Traînés à la remorde quelques chefs occupés froidement à résoudre les calculs de leur propre ambition, exaltés par de brûlantes paroles, les Romains croyaient follement redevenir le premier peuple du monde, par un embrasement général. Ne leur disait-on pas incessamment que le feu seul pouvait ranimer les cendres éteintes du phénix? et on ajoutait, en les jetant dans les chances d'une lutte inégale, que pour chasser l'étranger oppresseur il leur suffirait de prendre les armes, attendu que les aigles de l'Autriche n'oseraient jamais soutenir l'éclair de leurs regards.

Ces éloquentes fanfaronnades étaient moins ricules, sans doute, que le conseil donné aux faibles soldats de la Chine, insurgés' contre un détachement de troupes anglaises, au-devant duquel, pour le mettre en fuite, on avait résolu de porter des enseignes empreintes de l'image des lions et des tigres furieux, mais elles étaient aussi puériles. Car, encore une fois, sans armée disciplinée, sans approvisionnement, sans soldats aguerris, et sans généraux expérimentés, le résultat ne pouvait être douteux.

Quel nom donner aux hommes qui ont trompé ainsi le peuple romain, ce peuple si bon, si généreux quand il ne s'abandonne qu'à ses propres instincts! ce peuple grand dans les arts, les sciences, la littérature, susceptible même de faire de bons soldats! Ne pourrait-on pas les accuser de folie ou de trahison? En revanche saurait-on avoir trop de louanges pour le souverain et pour le ministre qui avaient songé sérieusement à fonder pour l'État romain des institutions conformes aux progrès de la civilisation et aux besoins des temps?

Le parti qui a refusé de pareilles concessions s'est montré indigne de prendre une part sérieuse au gouvernement des affaires de son pays. Le parti qui, sourd à la voix de la prudence et de la sagesse, a compromis par son ambition les destinées de l'Italie, n'est plus un parti, mais une faction qui mérite la malédiction des contemporains et la flétrissure de l'histoire.

Pellegrino Rossi, né à Carrare, dans le duché de Modène, venait d'accomplir ses soixante et un ans. D'un esprit pénétrant, net, judicieux et fécond, joignant à la connaissance des langues classiques celle des belles-lettres et de la philosophie, l'enfant devenant homme à quinze ans, avait terminé, par de brillants succès, les études les plus complètes. Engagé dès lors dans les luttes politiques sans cesse renaissantes sur le sol de sa patrie, il se vit tout à

coup, jeté par l'exil, sur la terre étrangère, et trouva dans Genève une seconde patrie. Là, après s'être emparé de la première place comme orateur, jurisconsulte, législateur et homme d'État, il rêve à Paris une scène plus vaste, proportionnée à sa taille. Il s'y fit bientôt remarquer parmi ceux qui répandaient sur le monde l'éclat de leurs lumières et de leurs talents. Alors, un pouvoir d'origine révolutionnaire, mais ami de l'ordre présidait aux destinées de la France; cherchant à étayer sa base équivoque par toutes les supériorités qu'il trouvait sur sa route, il combla d'honneurs et de fortune le savant exilé, qui bientôt après revit le sol de son pays, non pas en coupable, en gracié, mais en am⚫bassadeur d'une grande nation, revêtu de la majesté de la France. La gloire humaine est une étoile filante qui disparaît d'autant plus rapide qu'elle a plus de splendeur! les pavés sur lesquels reposait le pouvoir dont il était le représentant venant un jour à s'écrouler sous ses pieds chancelants, Rossi rentra dans la vie privée jusqu'au moment où la confiance du souverain Pontife le releva dans ses conseils, pour l'associer à ses efforts et lui procurer la gloire du martyre.

D'une taille élevée, digne plutôt qu'élégante, Pellegrino Rossi était au physique comme au moral sec, roide et bilieux. Spirituel, doué d'un sens exquis et d'une rare pénétration, connaissant toutes

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