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leur est contraire, et plus leur conduite s'épure. Ils reviendront à la vertu en revenant à la conscience de leur dignité. Créez en eux un besoin moral de respect et de considération publique; ne les abandonnez pas à la férocité de cette populace stupide qui s'imagine que les abaisser est de bon ton ; ouvrez-leur l'espérance de jouir des droits communs et de ne pas être exclus des priviléges de l'intelligence, dont ils sont quelquefois de si divins interprètes. En un mot, ne soyez pas Romains, soyez Français.

Avant la révolution de 89, une profession plus importante, aujourd'hui glorieuse et forte, la profession d'homme de lettres, était dans un discrédit, je ne dirai pas semblable, mais enfin assez général pour que ce fût à un homme bien né braver l'opinion publique que de mettre son nom sous un titre de livre. Il faut entendre le vieux marquis de Mirabeau, un esprit fort d'alors, s'écrier tristement dans un lettre au bailli, son frère : « Moi, j'ai rendu le nom célèbre, toi, tu l'as rendu illustre ! » Celui-là parce qu'il avait commandé les vaisseaux de Malte, celui-ci parce qu'il n'avait fait que résoudre des problèmes d'économie politique, et que dans une monarchie constituée sur le pied militaire, 3 lors même que l'épée jette moins d'éclat que la plume, la gloire relève toujours pourtant des batailles gagnées, et non pas des conquêtes de l'esprit. Mais à la science et aux études littéraires toutes les classes de la société fournissent des cerveaux, et les poètes, après tout, étaient salués à l'Académie par les plus nobles seigneurs; tandis que pour ce qui regarde le théâtre, on fut toujours d'une rigueur extrême, et que jamais cette maxime n'a varié chez nous, que monter sur des planches publiques, c'était abdiquer son honneur. Aussi comment les troupes des comédiens se recrutaient-elles? Dans les plus basses familles, parmi des êtres qui, ne sachant comment vivre, aimaient mieux se jeter dans ce métier que de se jeter à l'eau. De mœurs chrétiennes, imaginez quel devait être leur souci! Pour les hommes, le théâtre était un hôpital; pour les femmes, une exposition publique. De nos jours encore, les gens aisés du peuple ne consentent pas facilement à y monter, ni à y laisser monter leurs enfans. Qui fournit à la scène ses ma

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jestés royales et impériales? Comme autrefois, les familles abjectes, ou dépravées par la misère. Ceux dont on n'à pu tirer un bottier ou un coiffeur, on en tire des princes par douzaines, des généraux, des poètes, des orateurs, des ambassadeurs, un César ou un Cicéron, ce qu'on désire. N'étant propres à rien, on les juge propres à tout. Et que les acteurs de génie soient rares, étonnez-vous donc! Il arrive chaque jour que le représentant d'un Tasse ne sait pas un mot de l'histoire de son personnage, et moins encore la langue qu'il parle, et moins encore son orthographe. Il joue au petit bonheur, et Dieu protége le héros ! Il est des exceptions, je le sais; on rencontre dans les coulisses des naissances honnêtes, des éducations brillantes, des ma nières élevées. Mais si jamais l'exception a prouvé la règle, jele revendique pour le cas présent. Qu'est-ce, sinon d'estimables jeunes gens que leur goût pour cet art a perdus, disons le mot? Combien, pour s'appeler Agamemnon, Arcas ou Clytemnestre, ne sont pas obligés d'abord de dépouiller leur nom véritable, le nom de leur vieux père qui rougirait jusqu'aux larmes de le découvrir sur l'affiche ! Sil en existe d'autres qui, partis de bas, soient parvenus à comprendre les singulières difficultés de leur position, ç'a été à force d'études et d'expérience, et par un privilége particulier de l'intelligence qui était en eux. La première leçon de leur talent a été de leur apprendre qu'il fallait tendre sans relâche à devenir des Talma, ou se résoudre à demeu rer des saltimbanques chargés du mépris universel; perspective plus rude qu'encourageante !

Voilà pourtant ce qu'a fait la loi d'un peuple guerrier, transplantée et inflexiblement déduite jusqu'ici chez un peuple qui se pique de n'être pas moins grand dans les arts que dans les combats. De cette disposition première sont nés tous les dangers, tous les malheurs que déplorent Bossuet et Rousseau, que nous déplorons nous-mêmes, mais pas stérilement, ou pour en forger des armes contre d'innocens plaisirs. L'avenir, du reste, nous rassure. Il s'opérera pour les comédiens le même mouvement juste et salutaire qui s'est opéré pour les gens de lettres. Et il n'en saurait arriver autrement, si, comme nous en sommes convaincu, la nouvelle

société, qui est en fusion dans toutes les têtes, tend à s'organiser sur des bases plus larges et d'après des lois entièrement sympathiques à l'intelligence et au travail. Chaque jour notre code se dépouille de son enveloppe romaine; un esprit nouveau le pénètre. Le christianisme lui-même, arrivé à une époque difficile, après être sorti, comme toutes les grandes choses, plus grand de la lutte, entre dans les voies d'une transformation. Ces innombrables et ridicules essais de religion, dont nous sommes témoins depuis quelque temps, ont abouti à ramener à l'éternelle loi les esprits abusés, à tuer l'indifférence, à réveiller en faveur des doctrines catholiques le zèle et l'ardeur de l'étude égarée à de vaines recherches. La société peut se renouveler; le pivot qui la porte depuis dix-neuf siècles la portera pendant autant de milliers d'années. Dieu a fait sa loi assez souple pour rejeter et recevoir toutes les constitutions humaines. Qui bâtit en dehors de ce cercle bâtit pour les fantômes. Aussi la religion du Christ restera la religion de la nouvelle société. Il ne sera rien fait que par elle. Les réformes, elle les adoptera, les sanctionnera, et si l'on veut les rendre populaires, il faudra qu'on ait recours à sa parole, qui frappe à la fois aux deux bouts du monde. Elle achevera l'œuvre de son divin maître; toutes ces victimes du démon du préjugé, elle les rachetera; et comme elle réserve à tous une part dans le royaume des cieux, elle donnera à chacun ici-bas la dot que le Seigneur lui a préparée.

LOUIS DE MAYNARD,

ESSAIS DE POÉSIE ÉTRANGÈRE.

SUR UN TOMBEAU .

Dors bien, dors bien, ami, dans ta funèbre couche !
Dans un nuage d'or l'astre du jour se couche;
Sans doute sur le sable et sur les caillous nus
Tu reposes bien mal ton corps froid et livide;
Mais ton dos, étendu sur ce gazon humide,
Hélas! ami, ne le sent plus.

Dors doucement et bien! L'épaisse couverture
Est jetée en monceau, comme une lourde armure,
Pesante, sur ton cœur, et cependant tu dors
En repos, dans la nuit du tombeau solitaire ;
Et tu ne la sens pas peser sur ta poussière :
Dors, mon ami! Mon ami, dors !

(1) Cette pièce est traduite d'un recueil de poésies allémaniques de S.-P. Hébel, pasteur protestant à Larrach, village situé dans l'espèce de delta formé par le Rhin au-dessus de Bâle. Toutes ses poésies se font remarquer par la simplicité naïve des détails, et par la peinture la plus exquise de la nature.

Dors doucement et bien! Mais, hélas! dans ta tombe
Où du saule pleureur la feuille penche et tombe,
Tu dors, et d'un ami tu n'entends pas l'adieu !
Ami, tu n'entends pas ma plainte douloureuse,
Et tu ne pourras pas, dans la partie heureuse,
Redire ma prière à Dieu !

Mais dois-je désirer que tu puisses m'entendre?
Qu'écoutant mes soupirs tu puisses me les rendre?
Non!!! Dans ta froide couche, oh! tu te trouves bien;
Et si, dans ce tombeau, sous cette pierre sombre,
Mon ombre reposait à côté de ton ombre,

Oh! quel bonheur serait le mien !

Tu dors, et n'entends pas au clocher du village
Le sans-repos (1) qui veille et sans cesse voyage
Tout le long de la nuit, sous le dôme des cieux;
Ni le garde nocturne autour de nos demeures
Criant à haute voix la plus noire des heures
Dans le bameau silencieux.

Et quand, dans le ciel noir, du sein d'un lourd nuage
L'éclair brille, éclatant précurseur de l'orage;

Quand le tonnerre au loin mugit avec fracas,
Quand la foudre d'échos en échos roule et tombe,
Elle glisse hurlante au-dessus de ta tombe,
Et pourtant ne t'éveille pas.

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Nous, dès les premiers feux dont resplendit l'aurore,
Jusqu'au sein de la nuit, le chagrin nous dévore.
Mais pour toi, mon ami, sous ce gazon si beau,
Plus de tristes soucis, plus de larmes amères;
Car le Dieu tout-puissant a banni les misères
Du muet séjour du tombeau.

Oh! tu te trouves bien sous ta tombe fleurie!
Au chant du rossignol tu t'endors, et je prie ;

(1) L'horloge.

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