Images de page
PDF
ePub

Si je dis qu'il est mal, Dieu sait quelles fureurs ;
Si je dis qu'il est bien, parlez-en aux acteurs.
Je respire à ces mots; grace à certaines rimes
Les histrions et moi, ne sommes pas intimes;
La pièce est refusée. Outré de désespoir,

[ocr errors]
[ocr errors]

Morbleu, dit-il, je veux l'imprimer dès ce soir. Parlez-en à Lintot. - Lui! ce fat de libraire,

En l'imprimant gratis, croira déjà trop faire.

- Et bien, retouchez-la ; je suis bien importun: Mais, me dit-il tout bas, le gain sera commun. » A ces mots, je le chasse ; et lui rouvrant la porte: Vous et vos vers, monsieur, de grâce que l'on sorte.

Quand du plus pulent et du plus sot des rois L'oreille s'allongea pour la première fois,

Son ministre indiscret (d'autres disent sa femme), Plutôt que de se taire, eût cent fois rendu l'ame. Le secret fut trahi; le garderai-je mieux,

Moi qui vois tant de sots en porter à mes yeux?
Modérez-vous, craignez des accidens sinistres ;
Et ne nommez ni rois, ni reiues, ni ministres.
- Je méprise les sots et n'en parle jamais.

-

- Laissons l'âne montrer ses oreilles en paix. Quel mal peut-il vous faire, et quel sigrand désordre?... -Quel mal il peut me faire ! il peut ruer et mordre. Ces sots sont des méchans; lâchons-le, je le veux Ce secret qui n'est plus un secret que pour eux. La reine, pour dormir, sema cette nouvelle : Pour sommeiller en paix, publions-la comme elle. Je vous parois cruel; retenez bien ce mot: De tous les animaux, le plus dur c'est un sot,

Intrépide Codrus, les loges, le parterre,
Par d'affreux sifflemens, te déclarent la guerre :
Quel tumulte ! quels cris! inutile revers;
Codrus verroit en paix s'écrouler l'univers.
Vois filer dans un coin cet animal infame :
Que l'on brise sa toile, il renoûra sa trame.
Confondez les discours de ce vil rimailleur:
Il revient à l'ouvrage, avide écrivailleur ;
Et fier d'un vain tissu, qui d'un soufle s'envole,
L'insecte admire en paix son ouvrage frivole.
Mais quels sont donc mes torts? qu'ont perd■

tous ces fous?

Ce poëte a-t-il moins son sourire jaloux?
Milord, ce fier sourcil où son orgueil éclate?
Cibber, sa courtisanne et ce seigneur qu'il flatte?
Henley de sa canaille est-il moins l'orateur?
Moor de ses francs-maçons zélé sectateur?
Bavius n'est-il plus admis à cette table?
Ce prélat trouve-t-il Philips moins admirable?
Sapho... Bon Dieu ! paix donc ! de pareils ennemis...
Ah! je crains plus encor de semblables amis.
Alors qu'il vous outrage, un sot n'est pas à craindre i
C'est lorsqu'il se repent qu'on est le plus à plaindre.
L'un me dédie un tome, et son ton empesé,

[ocr errors]

-

Plus que cent ennemis, m'a ridiculisé.

L'autre, la plume en main, chevalier de ma gloire,
Pour moi, contre un journal dispute la victoire.
L'autre vend mes écrits lâchement enlevés ;
L'autre crie après moi souscrivez, souscrivez.
Plusieurs de mon corps même admirent la disgrace.

Ovide eut votre nez; vous toussez comme Horace;

<< Alexandre portoit l'épaule comme vous;

Vos yeux
Bon, mes amis ! cet éloge est bien doux;
Ainsi de ces mortels, fameux par leur mérite,
Ce sont précisément les défauts que j'hérite.
Quand je languis au lit, dites-moi poliment :
Virgile reposoit comme vous justement;

Et quand j'expirerai, contez-moi, pour me plaire,
Qu'a trefois, comme moi, mourut le grand Homère.
Ciel! quel fâcheux démon m'a mis la plume en main?
Que de papier perdu dans un métier si vain!
Dès le berceau, (combien la nature est puissante!)
Je begayois des vers d'une voix innocente.

Age heureux, où l'on sent des plaisirs sans douleurs,
Où, sans craindre d'épine, on recueille des fleurs!
Mais du moins, en rimant j'ai suivi mon.génie;
Je n'ai point de mon père empoisonné la vie;
Ma muse ne m'apprit qu'à chanter la vertu,
Qu'à surmonter les maux dont je suis combattu,
Qu'à bénir tes bienfaits, tendre ami que j'honore,
Qu'à supporter ces jours que tu soutiens encore.

Mais pourquoi, dira-t-on vous imprimer? Pourquoi?
Eh qui n'auroit été séduit ainsi que moi?
Walsh, ce fin connoisseur, le délicat Granville,
M'ont dit: vous charmerez et la cour et la ville;
Garth, le gènereux Garth, daignoit guider mes pas;
Congrève me louoit; Swift ne me blåmoit pas.
Sheffield Talbot, Somers, consentoient à me lire:
Le grave Atterbury m'accordoit un sourire;
Et Bolinbroke, ami de Dryden vieillissant,
Embrassoit avec joie un poëte naissant.

Heureux mes vers, de plaire à leur esprit sublime!
Mais plus heureux l'auteur, de gagner leur estime!
Par eux on jugera mon cœur et mon esprit;
Et que m'importe après ce qu'un Burnet écrit?
Rappelle-toi l'essor de ma muse novice.
Elle n'osoit encor livrer la guerre au vice;

Elle peignoit des fleurs, des vergers, des ruisseaux.
Qui pouvoit s'offenser de ces rians tableaux?
Gildon pourtant dès-lors outragea ma personne :
Il veut dîner, me dis-je, hélas ! je lui pardonne.
Qu'un censeur moins fougueux critique mes écrits,
S'il dit vrai, j'en profite; et s'il a tort, j'en ris.
Mais je connois trop bien nos graves Aristarques,
Stériles en génie et féconds en remarques.

Le zèle, le travail, la mémoire, ils ont tout,
Excepté du bon sens, de l'esprit et du goût.
Ils savent avec art placer une virgule;

Pas un accent n'échappe à leur docte scrupule,
Un mot, une syllabe épuisent leurs efforts;
Ils jugent les vivans, ils commentent les morts;
Et par l'éclat d'autrui, dissipant leurs ténèbres,
Joignent leurs noms obscurs aux noms les plus célèbres.
Tel le chêne soutient l'arbuste dans les ails;

Tel l'ambre offre à nos yeux de la paille et des vers.
Mais que d'auteurs choqués! j'approuve leur mui mure,
Je les appréciai, c'est sans doute une injure.

Damon, que j'ai loué, n'est pas content de moi.
Hélas! c'est que Damon est trop content de soi.
Pour louer un auteur, il nous faudroit connoître
Non pas tout ce qu'il est, mais tout ce qu'il croit ètre ;

Les beaux esprits, ainsi que les vieilles beautés,
Trouvent leurs portraits faux, s'ils ne sont pas flattés.
L'un en un faux sublime égare sa pensée,

Et nomme poésie une prose insensée ;
L'autre, faux bel-esprit, tient mon esprit tendu,
Veut être devinė, mais jamais entendu.
L'autre, des vers d'autrui s'est enrichi sans honte,
Traduit pour un écu quelque insipide conte,
De son étroit cerveau tire dix vers par an,
N'écrit que pour prouver qu'il écrit sans talent,
Revêt de cent lambeaux une Muse postiche,
Pille, dépense peu, mais n'en est pas plus riche.
Cependant si ma Muse, à ces minces auteurs,
Veut bien donner le nom d'heureux compilateurs,
Quels cris! Oui, disent-ils dans leur fureur extrême,
Il lancera ses traits contre Addisson lui-même.
Eh bien? qu'ils meurent donc dans leur obscurité.
Mais représentez-vous un écrivain vantė,
Plein de grâce et d'esprit, sachant penser et vivre;
Charmant dans ses discours, sublime dans un livre;
Partisan du bon goût, amoureux de l'honneur;
Fait pour un nom célèbre, et né pour le bonheur;
Mais qui, comme ces rois que l'Orient révère,
Pense ne bien régner qu'en étranglant son frère;
Concurrent dédaigneux et cependant jaloux,
Qui, devant tout aux arts, les persécute en vous;
Blâmant d'un air poli; louant d'un ton perfide;
Cherchant à vous blesser, mais d'une main timide;
Flatté par mille sots, et redoutant leurs traits;
Tellement obligeant qu'il n'oblige jamais;

« PrécédentContinuer »