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En général, voici la règle. Quand les La tins employent le NE, nous l'employons auffi. Il y a bien des remarques à faire fur ce peu de pároles. 1°Cette règle ne peut être utile qu'aux perfonnes qui fçavent le Latin, & la Langue Françoife doit être fondée fur des principes indépendans de la Langue Latine. 29 Quand les Latins employent le NE, nous L'employons auffi.Quoi, nous employons le ne Latin! Point du tour; nous employons le ne François qui y répond, mais qui n'eft pas le même mot & qui fe prononce fort différemment. Dans le ne Latin l'e eft fermé; dans le ne François il eft muer. Il est certain que la phrafe du Critique eft équivo que & incorrecte. Il falloit dire : quand les Latins employent le ne, nous nous fervons de la négation ne que nous joignons au que. 3. Mais cette règle mê me établie par M. de Voltaire n'eft pas toujours vraie. Par exemple, voici une phrafe Latine où il fe trouve un ne: Haud vereor ne preces meas repudiet Deus: cependant, il ne faut point en François de négation après le que; car voici la traduction, qui sûrement eft Françoife. Je ne crains point que Dieu rejette mes priè

res. Je pourrois ajoûter que cette même règle, en la fuppofant vraie, n'eft pas fuffifante; car dans ces phrafes, non du bito quin eum ames, non impedio quominus exeas, le Latin n'offre point de ne, & cependant le François exige la négation ne. Je ne doute point que vous ne l'aimiez, je n'empêche point que vous ne fortiez. Mais je veux bien supposer que par ne M. de Voltaire a voulu entendre tout ce qui a en Latin la même. fignification, & par conféquent quin & quominùs.

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Dans la même note le Critique pofe encore pour principe que quand les. Latins fe fervent d'ut on fuppri» me le ne en François. Cela n'eft pas généralement vrai. Dans cette phrase: vereor ut fatis citò venias il y a un ut; & bien loin de fupprimer en François le ne, il faut y ajoûter un pas, & traduire ainfi : je crains que vous n'arriviez pas af fez tót. Dans cette autre de Cicéron, Dii prohibeant ut hoc præfidium fectorum aftimetur, il le trouve encore un at, & cependant il faut une négation en François: Plaife aux Dieux d'empêcher que ce licu ne foit regardé comme un repaire

d'affaffins. Je fçais que le premier ut qui équivaut à ne non & le fecond qui eft employé pour ne, ont une fignifi. cation négative; & ce n'eft pas fans doute des ut de cette efpèce que le Critique veut parler. Mais cela n'empêche pas que la règle ne foit fauffe par fa trop grande généralité. Au refte, je ne fuis point furpris que M. de Voltaire n'ait pas eu ces minucies grammaticales préfentes à l'efprit en écrivant fes Commentaires; mais il n'auroit pas dû entrer dans ces difcuffions, fans être bien sûr de ce qu'il avançoit.

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Et vous offenferiez l'eftime qu'elle en fait. Voici la critique du Commentateur fur ce vers qui eft encore dans Nicomède. "On ne fait point l'estime; cela n'a

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jamais été François. On a de l'eftime, " on conçoit de l'eftime, on fent de » l'eftime; & c'eft précisément parce qu'on la fent, qu'on ne la fait pas, Par la même raifon, on fent de l'a»mour, de l'amitié; on ne fait de l'a» mour ni de l'amitié.» 1° On ne peut pas dire que faire eftime n'a jamais été

'François. On trouve fréquemment cette expreffion dans nos anciens auteurs les plus eftimés *. L'ufage l'autorifoit donc alors; donc elle étoit Françoife. 2° L'analogie ne prouve rien en fait de Langues; l'ufage feul décide. Ainfi,quoiqu'il paroiffe abfurde de dire qu'on fait l'eftime, au lieu de dire qu'on la fent, fi l'ufage permet cette première expreffion, elle eft Françoife. Il en eft de même du verbe faire joint avec amour & amitié. M. de Voltaire condamne cette jonction, parce qu'on fent l'amour & l'amitié, & qu'on ne les fait pas; cependant on dit tous les jours faire l'amour, faire amitié à quelqu'un. Je fçais que ces expreffions ne font pas du beau style; mais certainement elles font Françoises.

Car hors de l'Armenie enfin je ne fuis rien.

Il me femble que la critique de M. de Voltaire fur ce vers du même Nicomède & les fuivans, eft une mauvaise chicane. Puifque Laodice répète tant de fois qu'elle conferve toujours le titre

*Voyez le Dictionnaire de Trévoux.

& la dignité de Reine, qu'elle les porte par-tout & qu'on ne peut les lui ravir, n'eft- il pas clair que, quand elle dit hors de l'Armenie je ne fuis rien, elle entend quant à la puiffance & à l'exercice de la fouveraineté ? Au refte,on dit très-bien, je ne fuis rien, pour je ne puis rien ici. La première phrase est plus énergique & marque mieux la modeftie de celui qui parle.

Le Roi n'eft qu'une idée; c'est encore de Nicomède. Le Commentateur criti

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que ainfi cette expreffion. » On dit » bien n'eft qu'un phantôme, mais non •pas n'est qu'une idée. » Cela eft vrai ; mais la taifon qu'il en apporte ne me paroit pas fatisfaifante. C'eft, dit-il, que phantome exclur la réalité, & qu'idée » ne l'exclut pas. » Je crois qu'idée exclut autant la réalité que phantome, dans le fens dont il s'agit ici. Quand on dit une fortune en idée, un fuccès en idée, &c, cela ne fignifie til pas une fortune, un fuccès fans réalité? Flé*chier dans fa belle Oraifon Funèbre de M. de Turenne s'exprime ainfi : » Vous durez encore, Places que l'art & la » nature ont fortifiées & qu'ils avoient

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