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qui seront, après les princes du sang, les conseillers naturels et les ministres de la Régence. En un mot, il résulte de la suite des articles que le Parlement gouvernera durant la minorité; que, lorsqu'il demandera la destitution de quelque ministre ou conseiller, il n'y sera apporté aucune contradiction; qu'une réforme exemplaire sera introduite dans le maniement des finances, dans la distribution des bénéfices, dans la nomination aux charges, dans l'imposition et la levée des taxes; bref, « que le pauvre peuple sera soulagé réellement et effectivement, que l'ordre en toutes choses sera remis, et le règne de la Justice pleinement rétabli dans toutes les provinces du royaume. »

La conclusion et le but où il en fallait venir est que, le cardinal Mazarin étant incompatible avec cet âge d'or et ce règne de la Justice sur la terre, « il sera incessamment poursuivi jusques à ce qu'il soit mis entre les mains de la Justice pour être publiquement et exemplairement exécuté. »

La cause finale est selon la formule :

« Car ainsi l'ont promis et juré ledit seigneur Parlement et ladite dame Ville de Paris sur les saintes Évangiles, devant l'Église de Notre-Dame, au mois de janvier l'an mil six cent quarante-neuf, et ont signé. >>

C'est Retz en personne qui, en sa qualité de Coadjuteur, avait donné la bénédiction à ce fameux mariage qui se présentait sous de si magnifiques auspices; mais qu'en pensait-il lui-même ?

Dès les premières semaines, on peut voir l'idée qu'il se faisait de l'état réel du parti par les conversations très-belles et très-sérieuses qu'il tint avec le duc de Bouillon, le frère aîné de Turenne, et la meilleure tête entre tous ces grands qui s'étaient mis de la faction. Retz, qui sait mieux que personne son ménage de Pa

ris, étale à nu au duc de Bouillon toutes les divisions et les causes probables de ruine : « Le gros du peuple qui est ferme, dit-il, fait que l'on ne s'aperçoit pas encore de ce démanchement des parties. » Mais lui, il sent ce démanchement très-prochain si l'on n'y prend garde, et il le fait toucher au doigt dans ses paroles meilleures que ses actes. Moins de six semaines après l'entrée en jeu de la première Fronde, il le dit énergiquement: << Les peuples sont las quelque temps devant que de s'apercevoir qu'ils le sont. La haine contre le Mazarin soutient et couvre cette lassitude. Nous égayons les esprits par nos satires, par nos vers, par nos chansons; le bruit des trompettes, des tambours et des timbales, la vue des étendards et des drapeaux réjouit les boutiques; mais au fond paye-t-on les taxes avec là ponctualité avec laquelle on les a payées les premières semaines? » Les taxes, c'est là le point délicat et auquel il faut toujours revenir dès qu'on veut organiser un ordre quelconque au lendemain d'une révolte, et le premier cri de toute révolte est de se faire au nom d'un soulagement le plus souvent impossible.

Retz expose au duc de Bouillon toute sa politique sous la première Fronde, et il faut lui rendre cette justice que, s'il était séditieux, il ne l'était qu'à demi. Il s'est rendu maître du peuple, de concert avec M. de Beaufort, qu'il tient entre ses mains et qui n'est qu'un fantôme; il est l'idole des paroisses comme l'autre l'est des Halles. Mais il ne veut pas abuser « de cette manie du peuple, dit-il, pour M. de Beaufort et pour moi. » Il résiste absolument à l'idée de se passer du Parlement où de l'écraser par le peuple, de le purger violemment comme quelques-uns le conseillaient. Ces procédés du temps de la Ligue lui font horreur; il les laisse aux Seize et aux ambitieux sanguinaires. Il n'en a pas moins d'horreur que de Cromwell, dont il repoussera les

avances, de même qu'il répugne de tout temps à une trop étroite et entière union avec l'Espagne. Ce n'est pas qu'il se dissimule les dispositions secrètes du Parlement et les procédés de cette Compagnie malgré ces belles paroles qui se disent aux grands jours, « le fond de l'esprit du Parlement est la paix, et il ne s'en éloigne jamais que par saillies, » qui sont vite suivies de retours. Il sait que cette Compagnie, esclave des règles et formaliste, n'entend faire la guerre que par arrêts et par huissiers; que les plus grands tonnerres d'éloquence aboutissent à des conclusions d'enquête et à des décrets pour informer; que rien n'empêcherait le Parlement de lever séance quand l'heure de midi ou de cinq heures, l'heure sacramentelle du dîner ou du souper, a sonné. Retz a beau avoir pour lui les lanternes, qui étaient les tribunes de ce temps-là, il a beau avoir les jeunes têtes du Parlement, le banc des Enquêtes qui est tout à sa dévotion: cette sainte cohue, comme il l'appelle, qui sait si bien crier quand elle a le mot d'ordre, ne suffit pas, et le premier président Molé ne se laisse pas faire. Ce que Retz voudrait pour agir sur l'esprit de la Compagnie, pour l'exciter suffisamment sans l'opprimer, ce serait d'avoir, non à Paris, mais hors de Paris, une armée, une véritable armée au service de la Fronde; il s'écrierait volontiers comme l'abbé Sieyès: Il me faut une épée. Un moment il espéra avoir trouvé celle de M. de Turenne; on pouvait plus mal choisir; mais elle lui manqua. Selon lui, une armée à quelque distance et un général de renom agiraient à point sur le Parlement et lui rendraient l'énergie nécessaire sans le menacer, tandis que l'action du peuple à Paris est trop dangereuse, trop immédiate. Retz, qui en dispose, craint de l'employer, car ces sortes de forces aveugles frappent avant d'avertir: « Voilà le destin et le malheur, remarque-t-il, des pouvoirs populaires. Ils ne se

font croire que quand ils se font sentir, et il est très-souvent de l'intérêt et même de l'honneur de ceux entre les mains de qui ils sont, de les faire moins sentir que croire. »

Les autres inconvénients des guerres civiles qu'on a soi-même allumées, Retz nous les confesse sans réserve un des premiers articles du Contrat de mariage entre le Parlement et la Ville de Paris avait été, nous l'avons vu, que les athées et libertins fussent réprimés et punis; mais un des plus sûrs effets de la Fronde fut précisément de déchaîner ce libertinage, mortel à tout état de choses qui prétend s'établir et se consolider. Parlant des débauches des Fontrailles, des Matha et autres esprits forts : « Les chansons de table, dit-il, n'épargnaient pas toujours le bon Dieu; je ne puis vous exprimer la peine que toutes ces folies me donnèrent. Le premier président (Molé) les savait très-bien relever, le peuple ne les trouvait nullement bonnes, les ecclésiastiques s'en scandalisaient au dernier point. Je ne les pouvais couvrir, je ne les osais excuser, et elles retombaient nécessairement sur la Fronde. » Et plus loin: << Nous avions intérêt de ne pas étouffer les libelles ni les vaudevilles qui se faisaient contre le cardinal, mais nous n'en avions pas un moindre à supprimer ceux qui se faisaient contre la reine, et quelquefois même contre la religion et contre l'État. L'on ne peut imaginer la peine que la chaleur des esprits nous donna sur ce sujet. » C'est ainsi qu'on observait les premiers articles du Contrat de mariage. Enfin, chaque page des Mémoires de Retz nous confirme cette vérité, « que le plus grand malheur des guerres civiles est que l'on y est responsable même du mal que l'on n'y fait pas. >>

Et, une fois engagé, l'on est bien obligé d'en faire. En plus d'un cas, Retz se voit compromis et manque de se décréditer parmi le peuple et parmi les exaltés

du Parlement en s'opposant à des mesures absurdes ou à des actes de rapine et de vandalisme, tels que la vente de la bibliothèque du cardinal Mazarin. Il est vite obligé de réparer ces bons accès en faisant à son tour quelque proposition bien folle; c'est ce qui marque très-naturellement, dit-il, « l'extravagance de ces sortes de temps, où tous les sots deviennent fous, et où il n'est pas permis aux plus sensés de parler et d'agir en sages. »

Après que la première Fronde fut apaisée, et avant que la seconde éclatât, Retz semble avoir eu par moments des intentions sincères de se ranger, de redevenir honnête homme et fidèle sujet; mais sa réputation passée pesait sur lui autant que les habitudes prises, et le rengageait bientôt dans les voies de la sédition. On se méfiait de lui à la Cour, et ce soupçon par suite le provoquait à justifier derechef cette méfiance. Dans toutes ses relations avec la reine Anne d'Autriche, il arriva un peu à Retz ce qui arriva à Mirabeau dans ses relations avec la reine Marie-Antoinette. Il sentait qu'on ne faisait pas fond en lui, qu'on ne le prenait que par une nécessité d'occasion; il eût été homme à ressentir un procédé tout généreux de la reine et même de Mazarin, et un de ses plus vifs griefs contre ce dernier était qu'avec beaucoup d'esprit il manquait absolument de générosité et d'âme, et que, supposant les autres à son image, il ne croyait jamais qu'on pût lui donner un conseil à bonne intention.

Comme Mirabeau, Retz ne pouvait rendre des services à la reine qu'en maintenant son crédit auprès de la multitude; et, pour maintenir ce crédit, il lui fallait faire ostensiblement des actes et tenir des discours qui sentaient la sédition, et qui semblaient en sens inverse des engagements qu'il venait de prendre. Il était trop aisé d'en tirer parti contre lui à la Cour et de le présenter comme traître et relaps, au moment même où il

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