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s'intéresser. » Le P. Gerbillon répondit que, ne sachant pas si la demande qu'il prenait la liberté de faire serait agréable à l'empereur, il n'avait pas osé venir au palais d'une manière si éclatante; mais qu'après avoir obtenu cette grâce il n'aurait pas manqué d'inviter ses confrères à se joindre à lui pour remercier Sa Majesté; que, puisqu'elle le trouvait bon, il allait ce jour-là même les convoquer pour venir demander une faveur qui devait faire tant d'honneur à la religion chrétienne.

Les missionnaires des trois résidences de Péking se rendirent le lendemain au palais; l'empereur, ayant envoyé le premier eunuque avec deux mandarins pour recevoir leur requête, leur fit répondre que, bâtir une église étant une chose sainte, il voulait y contribuer pour faire honneur à leur religion et à leurs personnes. Il leur fit ensuite donner à chacun deux pièces de soie et un lingot d'argent de cinquante onces, afin qu'ils pussent eux-mêmes faire leur offrande à la nouvelle église. L'empereur fournit encore une partie des matériaux et nomma des mandarins pour présider aux ouvrages.

Quatre années entières furent employées à bâtir et à orner l'église française de Péking, une des plus belles et des plus régulières de tout l'Orient... On entrait d'abord dans une vaste cour, large de quarante pieds sur cinquante de long. Elle était entre deux corps de logis bien proportionnés, formant deux grandes salles à la chinoise : l'une servant aux congrégations et à l'instruction des catéchumènes, l'autre à recevoir les personnes qui rendaient visite aux missionnaires. On avait exposé dans cette dernière

les portraits de Louis XIV, des princes de la famille royale de France, du roi d'Espagne, du roi d'Angleterre et de plusieurs autres souverains, avec de beaux instruments de physique et de musique. On y faisait voir encore toutes ces belles gravures recueillies, à cette époque, dans des livres magnifiques, pour faire connaître à tout l'univers la pompe et la splendeur de la cour de France. Les Chinois considéraient tout cela avec une extrême curiosité.

Tout au bout de cette grande cour était bâtie l'église. Longue de soixante-quinze pieds, elle en avait trente-trois de largeur et trente de hauteur; l'intérieur de l'édifice était composé de deux ordres d'architecture, chaque ordre avait seize demi-colonnes recouvertes d'un vernis vert. Les piédestaux de l'ordre inférieur étaient en marbre; ceux de l'ordre supérieur étaient dorés aussi bien que les chapiteaux, les filets de la corniche, ceux de la frise et de l'architrave. La frise paraissait chargée d'ornements en relief qui cependant n'étaient que des peintures; les autres membres de tout le couronnement étaient vernissés avec des teintes en dégradation, selon leurs différentes saillies. L'ordre supérieur était percé de douze grandes fenêtres en forme d'arc, six de chaque côté, qui éclairaient parfaitement l'église.

La voûte, tout à fait peinte, était divisée en trois parties; le milieu représentait un dôme tout ouvert, d'une riche architecture; c'étaient des colonnes de marbre qui portaient un rang d'arcades surmonté d'une belle balustrade. Les colonnes étaient mêmes enchâssées dans une autre balustrade d'un beau dessin, entourée de vases à fleurs disposés avec

elles

une gracieuse symétrie : on voyait au-dessus le Père éternel, assis dans des nuages sur un groupe d'anges et tenant le monde en sa main.

On avait beau dire aux Chinois que le dôme tout entier était peint sur un plan uni, ils ne pouvaient se persuader que les colonnes ne fussent pas droites comme elles le paraissaient : il est vrai que les jours y étaient si bien ménagés, à travers les arcades et les balustres', qu'il était aisé de s'y tromper. Ce beau travail était de la main d'un habile peintre italien nommé Gherardini.

A droite et à gauche du dôme on voyait deux ovales dont les peintures étaient d'un aspect ravissant. Le rétable était peint de la même manière que la voûte; et les côtés du rétable présentaient une continuation de l'architecture de l'église en perspective. C'était un plaisir de voir les Chinois s'avancer pour visiter cette partie de l'église qu'ils disaient être derrière l'autel. Quand ils y étaient arrivés, ils s'arrêtaient, ils reculaient un peu, ils revenaient sur leurs pas, ils y appliquaient les mains pour découvrir si véritablement il n'y avait ni élévations ni enfoncements.

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L'autel avait une juste proportion. Lorsqu'il est orné, dit le P. Jartoux, des riches présents de la libéralité de Louis XIV, que nous avons apportés d'Europe et dont Sa Majesté a bien voulu enrichir l'église de Péking, il paraît alors un autel érigé par un grand roi au seul Maître des rois (1) >> ·

Lorsque l'église fut terminée, on en fit la bénédic

(1) Lettres édifiantes, t. III, p. 143.

tion avec toute la pompe qu'il fut possible de déployer. Cette brillante fête attira à Péking le concours d'un grand nombre de missionnaires appartenant à diverses nations et une affluence considérable des chrétiens de la capitale et des environs; il en vint même de toutes les parties de l'empire, car les missions des provinces avaient voulu se faire représenter à cette imposante cérémonie. Après que le P. Grimaldi, visiteur de la compagnie de Jésus dans cette partie de l'Orient, eut terminé la bénédiction, tout le monde se prosterna devant l'autel : les missionnaires, rangés dans le sanctuaire, et tous les chrétiens, dans la nef, frappèrent plusieurs fois la terre du front. La messe fut ensuite célébrée solennellement avec toute la pompe du culte catholique par le P. Gerbillon, qu'on pouvait regarder comme le fondateur de cette nouvelle église. Un grand nombre de néophytes chinois y communièrent; on pria pour le roi de France, protecteur et bienfaiteur de la mission. Le P. Grimaldi adressa au peuple fidèle un discours très-touchant, etla fête se termina enfin par le baptême d'un grand nombre de catéchumènes.

L'érection de l'église française de Péking eut un grand retentissement dans toute la Chine. On n'y avait rien épargné de ce qui pouvait piquer la curiosité chinoise et y attirer les mandarins et les personnes les plus considérables de l'empire, afin d'avoir occasion de leur parler de Dieu et de les instruire des mystères du christianisme. Le prince héritier, les deux frères de l'empereur, les princes, leurs enfants et les plus grands seigneurs de la cour s'empressèrent d'aller la visiter. Les magistrats des provinces et les

lettrés qui se rendent annuellement à Péking pour subir les examens du doctorat, attirés par la même curiosité, ne manquaient pas d'aller voir la belle église des chrétiens et d'y prendre des sentiments favorables à la religion.

Les inscriptions seules qu'on lisait sur la face de l'église étaient capables d'exercer la plus heureuse influence sur les mandarins et sur le peuple: elles étaient comme une prédication permanente de la foi chrétienne. Au haut du frontispice on avait gravé ces paroles : « Temple du Seigneur du ciel bâti par ordre de l'empereur. » Au-dessous de cette inscription il y en avait trois autres écrites et données par Khang-Hi lui-même. Celle qui était au frontispice, un peu audessous de la première, avait quatre caractères d'or de la hauteur de plus de dix pieds. Elle signifiait :

«< AU VRAI PRINCIPE DE TOUTES CHOSES. >>

Les deux autres inscriptions, en caractères d'un pied de haut, étaient placées sur les deux colonnes du péristyle; sur la colonne à droite on lisait :

«IL EST INFINIMENT BON ET INFINIMENT JUSTE; IL <«< ÉCLAIRE; IL SOUTIENT; IL RÈGLE TOUT AVEC UNE SUPRÊME « AUTORITÉ ET AVEC UNE SOUVERAINE JUSTICE. »

Sur la colonne à gauche il y avait les mots suivants :

« IL N'A POINT EU de commencement, il n'aura point « DE FIN IL A PRODUIT TOUTES CHOSES DÈS LE COMMEN<< CEMENT; C'EST LUI QUI LES GOUVERNE ET QUI EN EST <<< LE VÉRITABLE SEIGNEUR. >>

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