Images de page
PDF
ePub
[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Le premier Annuaire historique et archéologique de Bretagne, par M. de la Borderie, s'ouvre par les paroles suivantes :

« Je n'ai pas la prétention d'inaugurer un nouveau système ; je reviens simplement aux opinions des premiers Bénédictins bretons, de ceux qui ont véritablement tiré notre histoire de la poudre des chartes et des chroniques. Si j'abandonne dom Morice, c'est pour suivre dom Lobineau, dom Le Gallois, dom Brient, ses prédécesseurs, ses maîtres et de beaucoup ses supérieurs en science et en critique. Tout ce que je mettrai du mien sera de rapprocher et de présenter avec suite, de façon à former un ensemble, les traits qui se trouvent dispersés dans leurs ouvrages manuscrits ou imprimés 1. >

Il est incontestable, en effet, que, dans ses savantes dissertations manuscrites, conservées à la Bibliothèque impériale, dom Le Gallois a soulevé, a résolu tous les problèmes relatifs à l'histoire de

1 Annuaire historique et archéologique de Bretagne par M. de la Borderie, 1861, p. I.

2 Collection des Blancs-Manteaux, N° 44.

[ocr errors]

TOME IV. 2e SÉRIE.

17

1

nos origines, et que, après lui, il est absolument impossible d'inaugurer de nouvelles thèses. Mais s'il en est ainsi; s'il est vrai que M. de la Borderie se soit borné à répéter simplement les opinions des premiers Bénédictins bretons, à rassembler des traits dispersés dans leurs ouvrages, que parle-t-on de thèses reproduites? Est-ce donc que de nouveaux systèmes se seraient fait jour, dont l'inventeur n'aurait pas été nommé? Ce point devant être éclairci plus loin, je passe outre, et, sans autre préambule, j'aborde la grande question que M. de la Borderie « a toujours tenue, dit-il, pour fondamentale dans l'histoire des origines bretonnes et à laquelle il a voué ses premières et ses plus constantes études,» je veux parler de l'établissement des Bretons insulaires dans la péninsule armoricaine.

[blocks in formation]

Tout le monde sait que, sur ce point, deux opinions sont en présence dom Lobineau, pour lequel dom Le Gallois avait composé les mémoires dont il a été parlé, soutient, lui, que la péninsule armoricaine, nommée Bretagne plus d'un demi-siècle après les premières invasions des Anglo-Saxons dans l'île, n'a été colonisée, n'est devenue une république à part, que dans la dernière moitié du Ve siècle.

L'autre thèse qui se fit jour en 1750 dans la grande histoire de dom Morice auquel le cardinal de Rohan avait fait remettre les manuscrits de l'abbé Gallet, prêtre du diocèse de Saint-Brieuc,-- l'autre thèse a pour but de démontrer que, dès 383, c'est-à-dire lorsque les Romains étaient en pleine possession de la Gaule, Maxime avait fondé, à l'une des extrémités de l'Armorique, un petit royaume indépendant en faveur du chef des Bretons armés pour sa cause.

Cette opinion, lorsque je publiais, en 1840, mon premier ouvrage, régnait, on le peut dire, sans la moindre contestation : des hommes 1 Revue de Bretagne et de Vendée, août 1863, p. 127.

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors]

d'un mérite supérieur, MM. Augustin Thierry, Daunou, Daru, et bien d'autres ', n'hésitaient point à suivre Gallet qui, dans notre Bretagne, avait pour appui les deux patriarches de l'archéologie bretonne, M. de Blois de la Calande et le comte de Kergariou. Eh! bien, quoique mon premier ouvrage ait été pour ainsi dire inspiré par ces éminents compatriotes, et que, en ce temps là, je ne fusse pas encore revenu, tant s'en faut, de dom Morice à dom Lobineau et à dom Le Gallois, je n'hésitai pas à garder le silence le plus absolu sur le trop célèbre Conan Mériadec. Un ami m'avait fait lire, à cette époque, de longs extraits de Geoffroi de Montmouth 2; et l'histoire des 30,000 chevaliers de Conan suivis de cent mille guerriers de naissance plus commune; le massacre des 11,000 vierges; les prouesses gigantesques d'Arthur taillant en pièces 470 hommes dans un seul combat avec sa fameuse épée Caliburne; en un mot, une foule d'autres traits presqu'aussi extravagants, tels, par exemple, que les merveilleuses conquêtes de Conan en Poitou, en Saintonge, dans le Berry, etc., tout cela m'avait inspiré de vives répulsions, sans compter que je ne pouvais concilier la monarchie unitaire de Gallet, ni avec la constitution de l'Empire encore debout, ni avec les usages de l'île de Bretagne gouvernée, de Tacite à saint Gildas, par de nombreux brenin ou reguli. Cette monarchie unitaire de Gallet, sous un prince breton, était si peu entrée dans mon esprit, que j'admettais, dès lors, comme un fait certain que la confédération armoricaine occupait encore, au Ve siècle, tout le territoire compris entre la Seine et la Loire 3.

J'en étais là, ballotté entre des idées contradictoires, lorsque, peu de temps après mon Essai, parut le savant travail où M. Varin

1 V. Aug. Thierry, Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands; Daru, Histoire de Bretagne; Daunou, compte-rendu de cette histoire dans le Journal des Savants, etc. M. Augustin Thierry, aux travaux duquel j'étais alors attaché comme correspondant en Bretagne, me fit lire, pour m'édifier, l'édition du livre de Le Beau avec les notes de M. de Saint-Martin,

2 M. Baron du Taya, l'auteur de l'opuscule Brocéliande et ses chevaliers.

3 Essai sur l'histoire, la langue et les institutions de la Bretagne armoricaine, par M. Aurélien de Courson, Paris 1840, pp. 33-34.- Le nom de Conan n'y est même pas prononcé.

passait au crible le système de l'abbé Gallet. Ce système, je le déclare, je ne l'avais point approfondi 1, et je n'avais cure de le défendre contre qui que ce fût. Une seule chose m'importait, disais-je à M. Varin, c'est d'établir contre l'abbé de Vertot que les Bretons avaient passé sur le continent avant que Clovis n'eût hérité de la puissance des empereurs en Gaule. Toutefois, les airs conquérants de M. Varin, son langage blessant, sa prétention d'avoir découvert le sens d'un texte mal compris jusqu'à lui“, tout cela agit vivement sur moi, et, en dépit de mon indifférence pour Gallet, je fus entraîné à prendre parti pour lui. Voici, au surplus, comment M. de la Borderie a raconté lui-même, dans la Biographie bretonne (art. Conan), cette lutte d'un débutant contre un savant professeur de faculté:

«En 1840..., M. Varin..., dans un examen de l'opinion de Gallet

1 Je dis plus : je ne connaissais guère Gallet que par le résumé qu'en fait dom Morice dans les premières pages de son histoire. « Si depuis D. Morice, dit M. de la Borderie, beaucoup d'auteurs ont vanté et trop fidèlement suivi l'abbé Gallet, je ne pense pas que personne l'ait lu jusqu'au bout. Pour toutes sortes de raisons Gallet est d'une lecture très-pénible. Pour aller au-delà de la dizième page, il faut un courage rare.... On le croit, on le vante sur parole et sans y aller voir. » Or, c'était là précisément mon fait.

2 En effet, ce qui m'avait mis les armes à la main contre M. Varin, c'est la pensée qu'au fond il en voulait venir à la thèse de Vertot, savoir, que les terres occupées en Armorique par les Bretons sortis de l'île de Bretagne, leur avaient été concédées par les monarques français. Cela est écrit en toutes lettres à la p. 51-52 de ma lettre à M Varin. Après avoir cité le passage d'Ermold où ce poète-historien raconte que les Bretons se présentèrent pacifiquement en Armorique, lorsque les Gaulois en étaient encore les maîtres, et que les Francs, occupés à des guerres lointaines, ne prirent pied que bien plus tard chez les Armoricains, j'ajoute : « Qu'importe, je vous le demande, qu'un prince, qu'un Conan appelé Meriadog ait suivi Maxime dans les Gaules, en 383, lorsqu'il est certain que les Bretons étaient établis en Armorique avant le baptême de Clovis ? Pour mon compte, je n'eusse pas songé à discuter un autre fait, si M. Varin n'avait eu la tentation de venir guerroyer, etc. »

3 Il semblait, d'après les paroles de M. Varin, que la Bretagne était l'unique patrie des fables, comme si les origines des peuples n'avaient pas donné lieu, partout, à des inventions de toutes sortes! L'abbé Gallet s'abandonnait sans doute à de véritables hallucinations. Mais avait-il fait à ses préventions bretonnes le sacrifice de sa conscience? 4 Exin Britannia, omni armato milite, militaribusque copiis, rectoribus lin quitur immanibus, ingenti juventute spoliata (quæ, comitata vestigiis supradicti tyranni, domum nusquam rediit) et omnis belli usus ignara penitus, duabus primum gentibus transmarinis vehementer sævis, Scotorum à circione, Pictorum ab aquilone, calcabilis, multos stupet gemitque per annos.

[merged small][ocr errors]
[merged small][ocr errors]

touchant l'établissement des Bretons insulaires en Armorique', démontra de la manière la plus logique que tous les monuments écrits sur lesquels Gallet a prétendu appuyer l'établissement de 383 ou ne disent nullement ce que Gallet leur fait dire, ou sont dénués de toute autorité sérieuse en ce qui touche le fait contesté. Malheureusement M. Varin alla trop loin, et, non content de rejeter l'établissement des Bretons de Maxime en Armorique, il essaya de démontrer que Maxime, en passant sur le continent, n'avait emmené avec lui qu'un nombre de Bretons infiniment minime, perdu, pour ainsi dire, dans le reste de son armée et dont il n'y avait pas même lieu de s'occuper. Cette prétention excessive avait contre elle l'autorité d'un texte de Gildas.... M. Varin donna de ce texte une explication paradoxale, mais subtile et ingénieuse... Un jeune écrivain qui débutait alors dans la carrière historique... se chargea de la combattre, et l'on peut dire qu'il la refuta victorieusement; mais là se borna son succès et quant au reste, M. Varin conserva tous ses avantages. Les §§ II, III, IV, de sa discussion, qui ruinent de fond en comble l'autorité des manuscrits invoqués par Gallet, resteront comme un modèle de critique incisive et convaincante. Du reste M. de Courson semble avoir reconnu, dès lors, la solidité inébranlable de cette partie de la discussion de M. Varin, car il ne tenta même pas de défendre les monuments invoqués par Gallet : une telle réhabilitation était impossible, et, loin de l'entreprendre, M. de C. adhéra, du moins implicitement, aux conclusions de son antagoniste, puisqu'il reconnut qu'aucune preuve écrite, et d'une autorité certaine, n'atteste clairement que les Bretons insulaires se soient établis dans la péninsule armoricaine avant la fin du Ve siècle.

» Ainsi donc, malgré les apparences, M. de C. n'avait pas défendu, contre M. Varin, l'opinion de Gallet sur l'établissement de 383, mais seulement l'interprétation universellement reçue, avant ce dernier, du passage de Gildas, touchant l'expédition de Maxime.... M. de C. sacrifiait, sans beaucoup de regrets, et Conan Mériadec et les diverses circonstances de sa prétendue histoire, mais il maintenait

1 V. Dictionnaire géographique et historique de la province de Bretagne, par Ogée, nouvelle édition, Rennes, 1843, p. 231.

« PrécédentContinuer »