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je fais une faute, je saurai bien la réparer, et je me charge de tout le soin de notre honneur: je sais à quoi il nous oblige; et cette suspension d'un jour que ma reconnoissance lui demande ne fera qu'augmenter l'ardeur que j'ai de le satisfaire. Don Juan, vous voyez que j'ai soin de vous rendre le bien que j'ai recu de vous; et vous devez par-là juger du reste, croire que je n'acquitte avec même chaleur de ce que je dois, et que je ne serai pas moins exact à vous payer l'injure que le bienfait. Je ne veux point vous obliger ici à expliquer vos sentiments, et je vous donne la liberté de penser à loisir aux résolutions que vous avez à prendre. Vous connoissez assez la grandeur de l'offense que vous nous avez faite, et je vous fais juge vous-même des réparations qu'elle demande. Il est des moyens doux pour nous satisfaire; il en est de violents et de sanglants: mais enfin, quelque choix que vous fassiez, vous m'avez donné parole de me faire faire raison par don Juan; songez à me la faire, je vous prie, et vous ressouvenez que, hors d'ici, je ne dois plus qu'à mon honneur.

DON JUAN.

Je n'ai rien exigé de vous, et vous tiendrai ce que j'ai promis.

DON CARLOS.

Allons, mon frere; un moment de douceur ne fait aucune injure à la sévérité de notre devoir.

SCENE VII.

DON JUAN, SGANARELLE.

DON JUAN.

Hola! hé! Sganarelle.

SGANARELLE, sortant de l'endroit où il étoit caché.

Plait-il?

DON JUAN.

Comment! coquin, tu fuis quand on m'attaque!

SGANARELLE.

Pardonnez-moi, monsieur; je viens seulement d'ici près. Je crois que cet habit est purgatif, et que c'est prendre médecine que de le porter.

DON JUAN.

Peste soit l'insolent! Couvre au moins ta poltronnerie d'un voile plus honnête. Sais-tu bien qui est celui à qui j'ai sauvé la vie?

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Il est assez honnête homme ; il en a bien usé; et j'ai regret d'avoir démêlé avec lui.

SGANARELLE.

Il vous seroit aisé de pacifier toutes choses.

DON JUAN.

Oni; mais ma passion est usée pour done Elvire, et l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberté en amour, tu le sais; et je ne saurois me résoudre à renfermer mon cœur entre quatre murailles. Je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m'attire. Mon cœur est à toutes les belles; et c'est à elles à le prendre tour-à-tour, et à le garder tant qu'elles le pourrout. Mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres?

SGANARELLE.

Vous ne le savez pas ?

DON JUAN.

Non, vraiment.

SGANARELLE.

Bon! c'est le tombeau que le commandeur faisoit faire lorsque vous le tuâtes.

DON JUAN.

Ah! tu as raison. Je ne savois pas que c'étoit de ce côté-ci qu'il étoit. Tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi-bien que de la statue du commandeur; et j'ai envie de l'aller voir.

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Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu'il doit recevoir de bonne grace, s'il est galant homme. Allons, entrons dedans.

(Le tombeau s'ouvre, et l'on voit la statue du commandeur.)

SGANARELLE.

Ah! que cela est beau! Les belles statues! le bean marbre les beaux piliers! Ah! que cela est beau! Qu'en dites-vous, monsieur?

DON JUAN.

Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort; et ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passé durant sa vie d'une assez simple demeure en veuille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire.

SGANARELLE.

Voici la statue du commandeur.

DON JUAN.

Parbleu ! le voilà bon avec son habit d'empereur

romain!

SGANARELLE.

Ma foi, monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feroient peur si j'étois tout seul; et je pense qu'il ne prend pas plaisir de nous

voir.

DON JUAN.

Il auroit tort, et ce seroit mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande-lui s'il veut venir souper

avec moi.

SGANARELLE..

C'est une chose dont il n'a pas besoin, je crois.

DON JUAN.

Demande-lui, te dis-je.

SGANARELLE.

Vous moquez-vous? ce sercit être fou que d'aller parler à une statue.

DON JUAN.

Fais ce que je te dis.

SGANARELLE.

Quelle bizarrerie! Seigneur commandeur.... ( à part.) Je ris de ma sottise; mais c'est mon maître qui me la fait faire. (haut.) Seigneur commandeur, mon maître don Juan vous demande si vous voulez lui faire l'honneur de venir sonper avec lui. ( La sta, tue baisse la tête.) Ah!

DON JUAN.

Qu'est-ce? Qu'as-tu? Dis donc. Veux-tu parler? SGANARELLE, baissant la téte comme la statue. La statue...

DON JUAN.

Hé bien! que veux-tu dire, traître?

SGANARELLE.

Je vous dis que la statue...

DON JUAN.

Hé bien! la statue? Je t'assomme, si tu ne parles,

SGANARELLE.

La statue m'a fait signe.

DON JUAN.

La peste le coquin!

SGANARELLE.

Elle m'a fait signe, vous dis-je; il n'est rien de plus vrai. Allez-vous-en lui parler vous-même pour

voir. Peut-être...

DON JUA N.'

Viens, maraud, viens. Je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie : prends garde. Le seigneur commandeur voudroit-il venir souper avce

moi?

(La statue baisse encore la téte.)

SGANARELLE.

Je ne voudrois pas en tenir dix pistoles. Hé bien, monsieur ?

DON JUAN.

Allons, sortons d'ici.

SGANARELLE, seul.

Voilà de mes esprits forts qui ne veulent rien croire!

FIN DU TROISIEME ACTE.

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