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trompe pas lorsque je parle avec autant d'assurance, et il est probable que quelques années après la mise à exécution du projet que je soumets aujourd'hui à l'appréciation de mes lecteurs, j'aurai le plaisir de rendre à la société au moins la moitié des hommes qu'elle croyait tout à fait perdus.

La question de la peine de mort a été traitée par des hommes trop haut placés dans l'estime publique pour que j'ose, après eux, me permettre d'émettre une opinion nouvelle. Aussi, je devrais peut-être me borner à unir ma voix à celles de tous ceux qui réclament son abolilition. Je crois cependant devoir terminer cet article, peut-être déjà trop long, par quelques considérations du plus haut intérêt.

La peine de mort est une peine immorale, ou du moins inutile, parce qu'elle habitue le peuple au spectacle des supplices, et parce qu'elle ne répare rien; car malheureusement la mort du meurtrier ne rend point la vie à la victime.

Les exécutions qui, suivant l'intention du législateur, ne sont pas faites pour servir d'aliment aux passions de la société, mais seulement pour servir d'exemple, n'épouvantent pas les

criminels. Je crois plutôt qu'elles les aguérissent. Le fait suivant est la preuve de ce que j'avance. On avait, en 1811, ordonné la recherche de deux anciens bijoutiers qui étaient signalés comme rogneurs d'écus de six livres, mais la police, qui n'avait pu parvenir à les découvrir, les arrêta tous deux sur la place de Grève, au moment de l'exécution d'un individu nommé Varin, coupable du crime de fabrication de fausse monnaie, ayant chacun sur l'épaule une sacoche pleine d'écus rognés.

J'ai souvent remarqué, au pied de l'échafaud, de ces hommes qui sont porteurs de physionomies que l'on ne rencontre que dans les bouges de la Cité, et qui, semblables aux bêtes fauves, ne sortent de leurs tanières que la nuit. Si l'on croit que la guillotine est, pour ces hommes, un épouvantail salutaire, on se trompe grandement. Ils viennent sur la place publique se repaître d'un spectacle qu'ils aiment, et se familiariser avec la destinée qui les attend peut-être. Semblables aux papillons qui tournent long-temps autour de la chandelle avant de venir s'y brûler les ailes, ils tournent long-temps autour de l'échafaud avant d'y apporter leur tête.

Des faits récens ont du reste prouvé que la peine de mort n'était plus en harmonie avec nos mœurs; les jurés admettent presque toujours des circonstances atténuantes en faveur de l'accusé auquel elle pourrait être appliquée; une ordonnance, rendue récemment, a supprimé au moins la moitié des exécuteurs et des aides, et il n'y a pas long-temps que, dans une ville considérable, l'autorité ne trouvant pas un ouvrier qui voulût contribuer à l'érection de l'instrument du supplice, fut forcée d'ajourner une exécution. Ces faits, je le crois, parlent assez haut pour dispenser de commentaires plus étendus.

Si l'on veut bien admettre la possibilité de moraliser les hommes, il faut l'admettre pour tous, même pour les assassins. Deux individus, nommés Blanchet et Henri, condamnés au supplice de la roue par la cour de justice de Paris, étaient détenus à Bicêtre lorsqu'éclatèrent les événemens de notre première révolution. Grâce à ces événemens, ils furent oubliés, et bientôt après ils recouvrèrent leur liberté en s'évadant, lors du massacre des prisons en septembre 1793, et la conservèrent pendant plusieurs années. Ils ne furent remis

en prison que lorsque la justice eut repris un cours régulier. Mais il y avait trop de temps que la sentence avait été prononcée pour qu'on pût songer à l'exécuter. On se borna donc à les laisser en prison. Durant un laps de temps de près de trente années, ils ne donnèrent pas à l'autorité le moindre sujet de plainte; leur conduite, au contraire, aurait pu être citée à tous les autres détenus comme un exemple à suivre. Enfin, on se détermina à les mettre en liberté. Ils vivent tous deux encore; l'un est maître perruquier, et l'autre fabricant de cartes géographiques, et ils jouissent tous deux de l'estime et de la considération de ceux qui les connaissent. Qu'aurait gagné la société au supplice de ces deux hommes?

On trouvera peut-être que je suis trop indulgent. Que m'importe, j'ai l'intime conviction qu'il vaut mieux pêcher par excès d'indulgence que par excès de sévérité. Cette indulgence, au reste, n'est pas aveugle, elle est basée sur une connaissance parfaite du cœur humain, et son emploi bien entendu est, je le crois, le meilleur remède à opposer aux progrès du mal.

J'ai exposé mes vues avec une entière bonne

foi; si elles sont droites, elles n'ont pas besoin d'être justifiées par des raisonnemens à perte de vue. Que les hommes impartiaux et éclairés me jugent, et comme je l'ai dit en commençant cet article, qu'ils ne me tiennent compte que de mes intentions.

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