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amour infini, cet amour-propre s'est étendu et débordé dans le vide que l'amour de Dieu a quitté; et ainsi il s'est aimé seul et toutes choses pour soi, c'est-à-dire infiniment.

Voilà l'origine de l'amour-propre. Il était naturel à Adam, et juste en son innocence; mais il est devenu et criminel et immodéré, en suite de son péché.

Voilà la source de cet amour, et la cause de sa défectuosité et de son excès. Il en est de même du désir de dominer, de la paresse, et des autres. L'application en est aisée. Venons à notre seul sujet '. L'horreur de la mort était naturelle à Adam innocent parce que sa vie étant très-agréable à Dieu, elle devait être agréable à l'homme et la mort était horrible lorsqu'elle finissait une vie conforme à la volonté de Dieu. Depuis, l'homme ayant péché, sa vie est devenue corrompue, son corps et son âme ennemis l'un de l'autre, et tous deux de Dieu. Cet horrible changement ayant infecté une si sainte vie, l'amour de la vie est néanmoins demeuré ; 318 et l'horreur de la mort étant restée pareille, ce qui était juste en Adam est injuste et criminel en nous. Voilà l'origine de l'horreur de la mort, et la cause de sa défectuosité.

Éclairons donc l'erreur de la nature par la lumière de la foi. L'horreur de la mort est naturelle, mais c'est en l'état d'innocence; la mort à la vérité est horrible, mais c'est quand elle finit une vie toute pure.

Il était juste de la haïr, quand elle séparait une àme sainte d'un corps saint: mais il est juste de l'aimer,

Le MS. de l'Oratoire et les Mémoires de Marg. Perier: objet.

quand elle sépare une âme sainte d'un corps impur. Il était juste de la fuir, quand elle rompait la paix entre l'âme et le corps; mais non pas quand elle en caline la dissension irréconciliable. Enfin quand elle affligeait un corps innocent, quand elle ôtait au corps la liberté d'honorer Dieu, quand elle séparait de l'âme un corps soumis et coopérateur à ses volontés, quand elle finissait tous les biens dont l'homme est capable, il était juste de l'abhorrer: mais quand elle finit une vie impure, quand elle ôte au corps la liberté de pécher, quand elle délivre l'âme d'un rebelle très-puissant et contredisant tous les motifs de son salut, il est trèsinjuste d'en conserver les mêmes sentiments.

Ne quittons donc pas cet amour que la nature nous a donné pour la vie, puisque nous l'avons reçu de Dieu; mais que ce soit pour la même vie pour laquelle Dieu nous l'a donné, et non pas pour un objet contraire.

En consentant à l'amour qu'Adam avait pour sa vie innocente, et que Jésus-Christ même a eu pour la sienne, portons-nous à haïr une vie contraire à celle que Jésus-Christ a aimée, et à n'appréhender que la mort que Jésus-Christ a appréhendée, qui arrive à un corps agréable à Dieu; mais non pas à craindre une 519 mort qui punissant un corps coupable et purgeant un corps vicieux, doit nous donner des sentiments tout contraires, si nous avons un peu de foi, d'espérance et de charité.

C'est un des grands principes du christianisme, que tout ce qui est arrivé à Jésus-Christ doit se passer dans l'âme et dans le corps de chaque chrétien que comme Jésus-Christ a souffert durant sa vie mortelle, est mort

à cette vie mortelle, est ressuscité d'une nouvelle vie, est monté au ciel, et sied à la droite du Père; ainsi le corps et l'âme doivent souffrir, mourir, ressusciter, monter au ciel et seoir à la droite '.

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Toutes ces choses s'accomplissent en l'âme durant cette vie, mais non pas dans le corps.

L'âme souffre et meurt au péché dans la pénitence et dans le baptême; l'âme ressuscite à une nouvelle vie dans le même baptême; l'âme quitte la terre et monte au ciel à l'heure de la mort, et sied à la droite au temps ou Dieu l'ordonne.

Aucune de ces choses n'arrive dans le corps durant cette vie; mais les mêmes choses s'y passent ensuite.

Car, à la mort, le corps meurt à sa vie mortelle au jugement, il ressuscitera à une nouvelle vie après le jugement, il montera au ciel, et sera 2 à la droite.

Ainsi les mêmes choses arrivent au corps et à l'âme, mais en différents temps; et les changements du corps n'arrivent que quand ceux de l'âme sont accomplis, c'est-à-dire à l'heure de la mort de sorte que la mort est le couronnement de la béatitude de l'âme, et le commencement de la béatitude du corps.

Voilà les admirables conduites de la sagesse de Dieu sur le salut des saints; et saint Augustin nous apprend sur ce sujet que Dieu en a disposé de la sorte, de peur 'que si le corps de l'homme fût mort et ressuscité pour jamais dans le baptême, on ne fût entré dans l'obéissance de l'Évangile que par l'amour de la vie; au lieu

'Les Mém. de Marg. Perier et le MS. de l'Oratoire disent à la dextre.

'Les mêmes MSS. disent: seoira.

que la grandeur de la foi éclate bien davantage lorsque l'on tend à l'immortalité par les ombres de la mort.

Voilà certainement qu'elle est notre créance et la foi que nous professons; et je crois qu'en voilà plus qu'il n'en faut pour aider vos consolations par mes petits efforts. Je n'entreprendrais pas de vous porter ce secours de mon propre, mais comme ce ne sont que des répétitions de ce que j'ai appris, je le fais avec assurance en priant Dieu de bénir ces semences et de leur donner de l'accroissement, car sans lui nous ne pouvons rien faire et ses plus saintes paroles ne prennent point en nous, comme il l'a dit lui-même.

Ce n'est pas que je souhaite que vous soyez sans ressentiment le coup est trop sensible; il serait même insupportable sans un secours surnaturel. Il n'est donc pas juste que nous soyons sans douleur comme des anges qui n'ont aucun sentiment de la nature; mais il n'est pas juste aussi que nous soyons sans consolation comme des païens qui n'ont aucun sentiment de la grâce mais il est juste que nous soyons affligés et consolés comme chrétiens et que la consolation de la grâce l'emporte par-dessus les sentiments de la nature; que nous disions comme les apôtres : « Nous sommes persécutés et nous bénissons, » afin que la grâce soit non-seulement en nous, mais victoriense en nous; qu'ainsi en sanctifiant le nom de notre Père sa volonté soit faite la nôtre; que sa grâce règne et domine sur la nature, et que nos afflictions soient comme la matière d'un sacrifice que sa gràce consume1 et anéantisse pour

1 Les Mém. de Marg. Perier et le MS. de l'Oratoire disent: con

somme.

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la gloire de Dieu; et que ces sacrifices particuliers honorent et préviennent le sacrifice universel où la nature entière doit être consommée par la puissance de Jésus-Christ.

Ainsi nous tirerons avantage de nos propres imperfections, puisqu'elles serviront de matière à cet holocauste car c'est le but des vrais chrétiens de profiter de leurs propres imperfections, parce que tout coopère en bien pour les élus.

Et si nous y prenons garde de près, nous trouverons de grands avantages pour notre édification, en considérant la chose dans la vérité comme nous avons dit tantôt.

Car, puisqu'il est véritable que la mort du corps n'est que l'image de celle de l'âme, et que nous bâtissons sur ce principe qu'en cette rencontre nous avons tous les sujets possibles de bien espérer de son salut, il est certain que si nous ne pouvons arrêter le cours du déplaisir, nous en devons tirer ce profit que puisque la mort du corps est si terrible qu'elle nous cause de tels mouvements, celle de l'âme nous en devrait bien causer de plus inconsolables. Dieu nous a envoyé la première; Dieu a détourné la seconde. Considérons donc la grandeur de nos biens dans la grandeur de nos maux, et que l'excès de notre douleur soit la mesure de celui de notre joie.

Il n'y a rien qui la puisse modérer, sinon la crainte qu'il ne languisse pour quelque temps dans les peines qui sont destinées à purger le reste des péchés de cette

Les mêmes MSS. disent celle de notre joie.

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