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l'industrie par une éloquence royale. Mais, en dépit de l'apologue du nouveau Ménénius, les déserteurs sont demeurés sur le MontAventin. Si le Café de Paris, assimilé à l'estomac, tombe en défaillance par leur absence, les membres insurgés contre lui ne s'en porteront pas plus mal, assurent-ils.

De fait, le directoire de la mode, afin de n'être point réduit long-temps à aller diner chez Véry, aux Provençaux où au Rocher de Cancale, excursions qui l'éloignent trop du centre de son gouvernement fashionable, ne songe à rien moins qu'à élever, sur le boulevart même, autel contre autel et cuisine contre cuisine. Où est maintenant la librairie de Bohaire, an coin de la rue Laffitte, le restaurant de Silves va être restauré. Ce sera dans ses salles que la représentation nationale du monde élégant reviendra s'installer et tenir ses séances sur la frontière des deux Opéras.-« Le Café de Paris, ont dit M. Véron et se collègues, lè Café de Paris ne sera plus au Café de Paris, i sera tout où nous serons. >>

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La retraite du maréchal Soult, bien loin de décider sans retour, comme chacun s'y attendait, la question d'Alger contre les adversaires d'un gouvernement civil de la colonie, paraît au contraire avoir assuré plus rapidement leur triomphe.

Dès son avènement au ministère, sollicité par un nombre infini d'ambitions militaires qui prétendent qu'Alger étant une conquête de l'armée, ne peut et ne doit appartenir qu'à l'armée, le maréchal Gérard s'était irrévocablement engagé à ne point souffrir qu'elle fût dépossédée de son droit hypothécaire à cette possession. Les effets ont suivi de près cette promesse.

C'est le lieutenant-général Drouet d'Erlon qui est désigné comme gouverneur de la colonie.

Ainsi se trouve écartée la double candidature du duc de Bassan et du duc Decazes.

Au reste, M. le duc Decazes, assure-t-on, ne se fût pas si volontiers qu'on le pense, chargé de cette, mission lointaine et hérissée de difficultés; il ne l'eût même acceptée qu'autant qu'on lui eût laissé toute l'indépendance nécessaire au succès.

-La porte Saint-Martin nous a donné encore jeudi dernier un de ses drames de large dimension. On avait fait grand bruit d'avance de celui-là ! L'IMPÉRATRICE et la Juive serait, disait-on, la pierre

sur laquelle M. Harel rebâtirait la fortune écroulée de son théâtre. Il aurait joué son va-tout dans cet ouvrage. Mais M. Harel fait son va-tout depuis si long-temps, qu'il n'est plus vraiment permis de le prendre au mot de ses doléances. Le destin de ce directeur semble être de rester penché à perpétuité comme la tour de Pise, sans jamais se relever ni tomber tout-à-fait.

Tel a été aussi le sort de L'Impératrice et LA JUIVE durant les cinq mortelles heures qu'a duré sa représentation. Parfois le drame se nouait et semblait s'apprêter à étreindre le spectateur, qui n'eût pas mieux demandé; mais soudain l'intérêt, un moment excité, allait s'alanguissant, et l'attention, fatiguée par les innombrables incidens de l'action, succombait sous le poids excessif de leur développement.

C'était pourtant un sujet neuf et capable d'inspirer, que celui de L'IMPERATRICE ET LA JUIVE. C'était une belle époque à fouiller que celle où les auteurs avaient placé la scène de ce drame. Il y avait là toute une vaste mine vierge à exploiter; et, n'en eussentils suivi qu'un seul filon, que de riches trésors ils en pouvaient extraire !

Le Bas-Empire! le Bas-Empire, ils l'avaient à eux tout entier, avec l'énormité de ses désordres, avec l'immensité de sa corruption! Nulle main n'avait encore touché à ce monstrueux entassement de débauches, de lâchetés, de vices et de crimes. Mais quelles couleurs demandait aussi le tableau ! quel pinceau vigoureux il eût exigé du peintre ! Toute la mâle et puissante poésie de M. Victor Hugo n'eût pas été de trop pour cette œuvre.

Mais au lieu de la peinture énergique que nous avions le droit d'espérer, qu'est-ce que nous ont montré MM. Lockroi et Anicet Bourgeois? De tristes lambeaux d'histoire, mal déchirés et plus mal rapiécés. Ils ont fait agir et parler sans mesure les bleus et les verts. Eh bien ! dix lignes de Montesquieu nous en disent davantage sur ces deux factions stupides et féroces qui divisèrent ce Bas-Empire tout entier et l'ensanglantèrent des siècles durant pour des querelles de cirque et de cochers.

Chercherons-nous le drame sous cette luxuriance de scènes populaires, soi-disant historiques? Mais la diffusion de sa trame échappe à toute analyse. Pour analyser d'ailleurs, il importe de comprendre, et nous avouons n'avoir rien compris à L'IMPERATRICE ET LA JUIVE que çà et là et à de bien rares intervalles.

Il semble d'ailleurs qu'il y ait maintenant un procédé invariable appliqué à la fabrication de cette machine grossière qui s'appelle le drame à la Porte-Saint-Martin.

Dix ou douze situations, empruntées la plupart à la LUCRÈCE BORGIA, de M. Victor Hugo, et à LA TOUR DE NESLE, de M. Alexandre Dumas, sont jetées au hasard, et mêlées ensemble sur la scène de ce théâtre, comme dans un vaste kaleidoscope. Qu'en résultet-il? Un nombre infini de combinaisons qui, bien qu'elles ne soient jamais identiquement les mêmes, offrent cependant toujours le même aspect. On a beau vous tourner le kaleidoscope, vous avez beau regarder par le trou de votre loge, c'est toujours la même chose que vous voyez. C'est toujours Mlle Georges, la grande reine, pâle, échevelée, ruisselante de diamans, sauvant ou perdant ses amans ou ses fils. Mlle Georges est la grosse pièce de ce kaléidoscope dramatique, comme quelque large pierre à facettes qui se dresse sans cesse au milieu des dessins fantasques d'un kaléidoscope ordinaire.

Il n'est pas non plus d'acteur de la troupe qui n'ait l'air de jouer constamment la même pièce et le même rôle. Je vous le demande, lorsqu'il vous arrivait de voir clair un instant dans l'obscur imbroglio de L'IMPERATRICE ET LA JUIVE, et d'être remué par quelque mouvement passionné de Jean, de Strozzas ou de Zoé, je vous le demande, si vous n'étiez point involontairement et nécessairement ramené dans les drames de M. Victor Hugo.

En vérité, la Porte-Saint-Martin abuse bien de quelques beaux ouvrages qu'elle nous a donnés, en les parodiant elle-même de cette sorte interminablement.

M. Harel a fait pour L'IMPÉRATRICE ET LA JUIVE d'énormes frais de décorations et de costumes; mais je tremble pour lui que cette folle dépense ne le mène à de bien pauvres résultats. Il se pourra, malgré tout, qu'il décerne lui-même à cette pièce le succès immense dont il dotait LES MALCONTENS dans ses lettres aux journaux. Si ce sont là les profits qui lui suffisent, à la bonne heure!

— L'Opéra-Comique est bien comme ces malades indociles qui, ne voulant ni garder le lit ni suivre de traitement, comptent pour se guérir sur leurs seules forces et leur seul courage.

Ce théâtre aura beau cependant, pour donner signe de vie, produire un à un et coup sur coup de petits actes comme UN CAPRICE DE FEMME, si tolérable que soit ce léger poème imité du JALOUX

MALGRÉ LUI de M. Delrieu, convenablement revêtu de la musique simple et pleine de bonhomie de M. Paër, ce n'en sera pas assez de beaucoup de pareils pour assurer de longs jours au Feydeau ressuscité !

Il s'était agi de fortifier la santé chancelante de l'Opéra-Comique en lui administrant de raisonnables doses de musique italienne, lorsque son état pourrait le requérir, sans lui interdire d'ailleurs aucunement la musique nationale, pourvu qu'elle fût saine et tonique comme celle de LESToco, par exemple. Mais les vieux docteurs, qui prétendent avoir seuls droit et qualité pour soigner l'OpéraComique, lui ont strictement interdit les bénéfices de toute médecine étrangère. « L'Opéra-Comique, ont-ils dit, vivra ou mourra entre nos mains; s'il meurt, il mourra au moins selon les règles. Grand bien lui fasse!

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Sérieusement, les répétitions du Barbier de Séville, qui avaient commencé à l'Opéra-Comique, ont été soudain interrompues par ordre. Le genre national, susceptible à l'excès, n'a pas souffert pour sa musique le voisinage de celle de Rossini. Le genre national triomphe donc seul à la salle de la place de la Bourse. Nous ne demandons pas mieux que de l'y voir triompher long-temps.

-Tandis que le Théâtre-Nautique, dédaigneux de sa spécialité, fait de la pantomime et des ronds de jambe dans le désert, les pièces maritimes se produisent à l'envi sur nos théâtres de vaudeville.

Qui n'a pas lu La Salamandre, ce joli roman de M. Eugène Sue? Assurément, quelque profit qu'il y eût pour eux à s'en emparer, ce n'était pas chose facile à nos arrangeurs que de mettre sur la scène cette vive et brillante frégate, et de l'y faire naviguer à son aise; mais ils ont éludé l'obstacle en mettant toute leur scène sur la frégate elle-même. Ainsi avaient procédé les auteurs de LA SALAMANDRE, représentée récemment sur le théâtre du Palais-Royal; ainsi ont procédé encore MM. Mélesville et Comberousse, les auteurs du CAPITAINE DE VAISSEAU, joué vendredi dernier au Gymnase; et, il faut être juste, ils n'ont point, ni les uns ni les autres, trop mal habilement dépecé le livre de M. Eugène Sue. Les vaudevilles qu'ils en ont tirés sont encore des morceaux assez présentables.

Toutefois, la meilleure part du succès du CAPITAINE DE VAISSEAU revient bien légitimement à Bouffé, qui a si spirituellement compris et restitué, telle que l'avait conçue le romancier, l'excellente

figure de ce bon marquis de Longetour, de marchand de tabac, fait marin malgré lui.

LA SALAMANDRE du Palais-Royal, plus fidèle au roman de M. Eugène Sue, et plus sobre de banalités patriotiques, était d'ailleurs un vaudeville mieux fait et mieux ordonné que LE CAPITAINE DE VAISSEAU du Gymnase.

Et, puisque son nom se trouve sous notre plume, acquittons toute notre dette envers ce petit théâtre du Palais-Royal qui dépense tant de zèle et d'activité pour conserver la vogue qu'il s'est fondée. Certes, nous ne vous citerons ni ses deux dernières pièces, LE COMMIS ET LA GRIsette et le Ménage de Garçon, ni le jeu vif et leste de M. Achard et de Mlie Dejazet, comme d'irréprochables modèles de décence, de bon ton et de bon esprit; mais nous devons constater qu'à tort ou à raison tout cela fait les délices d'un public nombreux et assidu, et que cette petite salle, toujours pleine de vrais amis, a réalisé vraiment à son profit le vœu modeste de Socrate. L、 L

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