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cène, des lacs envahirent une partie de la surface du Massif. On retrouve aujourd'hui ces vestiges lacustres; mais découpés, morcelés, portés à des hauteurs très inégales; car c'est après leur dépôt seulement qu'un réveil des forces orogéniques, contemporain des convulsions alpines, vint rajeunir le relief d'une partie du Massif. Alors, dans la charpente de nouveau disloquée, des pans entiers furent surélevés; quelques-uns, comme le Mont Lozère, jusqu'à 1 700 mètres. Des soupiraux volcaniques ne tardèrent pas à s'ouvrir; et l'activité souterraine, avec des intermittences mais pendant une immense période, superposa sur le socle déjà remanié de véritables montagnes, piqua la surface d'une multitude de buttes ou pitons de couleur rousse, coiffa de noires coulées les versants des collines. La physionomie du Massif fut dès lors fixée, car les éruptions volcaniques nous conduisent jusqu'au seuil de la période actuelle; elles duraient encore, quand on commence à constater la présence de l'homme.

Il y eut ainsi plus de variété de sol et de relief; des principes de vie nouvelle s'introduisirent. Cependant la rénovation ne fut que partielle. Ce qui domine sur de grandes étendues, c'est le sol incomplet, dépourvu de calcaire, pauvre et froid, qu'engendre la décomposition des roches primitives: arène à gros grains, argile rouge feldspathique; ou ce terreau acide, humus incomplètement formé, qu'on appelle terre de bruyère, si légère et si friable que les plantes ont peine à y prendre racine. Ce qui caractérise l'hydrographie, sauf dans la partie volcanique ou dans les Causses, c'est la diffusion morcelée, le ruissellement en minces filets, la multiplicité de petites sources presque à tous les niveaux.

CLIMAT

Le climat, avec ses rudesses et ses caprices, présente, suivant l'altitude et la position, des types assez différents. Dans les parties ET VEGETATION. élevées du Sud et de l'Est, la persistance de la couche de neige jusqu'en mai, le retard du printemps et ses températures relativement basses tiennent du climat de montagnes. Souvent les couches froides de l'air s'amoncellent et par les temps calmes d'hiver restent stagnantes au-dessus des plaines qu'encadrent presque entièrement les hauteurs. En vertu de ce phénomène d'inversion des températures, bien connu dans les Alpes, il peut arriver que Clermont, à 388 mètres d'altitude seulement, soit soumis à un froid plus vif que le sommet du Puy de Dôme. En tout cas, même dans la plaine, le printemps est tardif, la feuillaison de la vigne ne se montre guère que le 11 avril, à peu près comme en Lorraine. Mais, en revanche, de beaux automnes achèvent l'œuvre d'étés très chauds, mûrissent la vigne et les fruits. Dans l'Ouest, la rigueur hivernale est moindre, le printemps se

montre au moins sept jours plus tôt à Limoges qu'à Clermont. On a moins à craindre les gelées tardives; aussi le sarrasin, plante de climat océanique autant que de sol siliceux, occupe-t-il une grande place. Mais, dès octobre, les pluies et les brouillards prennent possession de la contrée. Les hautes croupes limousines, solitudes sans arbres qu'assombrit un revêtement de bruyères courtes, se voilent de tristesse sous les épais brouillards qui les envahissent.

Il n'y a plus place, sur ces parties élevées, ni déjà même audessus de 700 mètres, pour la gaie châtaigneraie, compagne de la vigne et des plantes méridionales. Jadis cette culture nourricière des montagnards du Sud de l'Europe entourait comme d'une ceinture continue le noyau du Massif. Elle tend aujourd'hui à se morceler, à se restreindre. Cependant elle garnit encore les terrasses du Vivarais et des Cévennes; elle donne aux pentes limousines un aspect de parc; ailleurs, c'est par bouquets épars, par petits groupes qu'elle se conserve sur les flancs des ravins trop abrupts pour admettre d'autre culture. Mais il est significatif, malgré les changements d'habitude qui ont dépossédé cet arbre d'une partie de son importance humaine, de le trouver si souvent, en troncs séculaires, aux abords des maisons de paysans. Aussi fidèle à s'y montrer que le petit potager ou que le « pré de derrière la grange », il fait partie comme eux des éléments essentiels de la vie rurale, telle qu'elle est pratiquée par le petit propriétaire ou pagès. Certainement l'occupation du sol trouva en lui un puissant auxiliaire; et comme les anciens rapports laissent une empreinte durable, on peut constater même aujourd'hui que la zone de la châtaigneraie qui, dans le Vivarais et les Cévennes, s'étend environ de 400 à plus de 700 mètres, correspond à une densité de population très nettement supérieure.

Il semblerait d'après les analogies avec les montagnes de même hauteur dans l'Europe occidentale, que la forêt dût se superposer à cette zone moyenne. Le hêtre, le sorbier, le bouleau, le sapin. argenté seraient les successeurs qu'on s'attendrait à trouver au châtaignier dans le sens de l'altitude. Sans doute il en fut ainsi jadis; mais la forêt n'est plus aujourd'hui qu'un accessoire dans la physionomie du Massif central. Les cultures de forte endurance, qui ont le privilège d'accomplir vite leur cycle, l'orge et le seigle, ont empiété bien au-dessus de la limite de 700 mètres. La pâture, plus encore, a contribué à détruire les forêts des régions supérieures. Quand les qualités du sol, servies par l'humidité du climat, augmentées par l'irrigation ont pu transformer les pâturages en tapis herbeux comme il y en a dans le Velay, l'Aubrac, le Cantal, on n'est plus tenté de regretter la forêt. Mais le plus souvent celle-ci n'a eu pour héritier

que

la lande cette lande du Massif central, qui n'est pas la garigue méditerranéenne, mais un épais fourré de fougères, bruyères, genêts, ajoncs. Les touffes de ces plantes tenaces embroussaillent le sol; elles s'accrochent aux levées de terre, et montrent à nu leurs racines dans les tranchées des chemins creux.

Nous sommes ainsi amenés à constater dans la nature du Massif central la trace d'une longue occupation de l'homme, ce grand destructeur de forêts. A sa manière, cette région présente les stigmates des vieilles contrées historiques du pourtour de la Méditerranée. Les ravages, certes, n'ont pas atteint le même degré que dans certaines contrées de ce littoral, et même de nos Pyrénées ou de nos Alpes; la douceur des pentes et l'humidité du climat ont conjuré une partie, mais une partie seulement des effets dus aux abus de la culture et du pâturage.

Ce serait se mettre en désaccord avec les résultats les mieux acquis de la science anthropologique, que de considérer ces populations du Massif central comme formant un tout homogène. Elles se composent de couches différentes, successivement introduites, dont quelques-unes semblent se rattacher aux plus anciennes races préhistoriques. Des brachycéphales occupant les régions les plus élevées, des dolichocéphales bruns dans le Sud-Ouest, des populations petites et brunes au Sud du Cantal, tandis qu'au Nord du Lioran, dans la partie septentrionale du Limousin, dans les montagnes du Forez et du Velay les blonds se montrent en proportions assez fortes: tel est l'ensemble composite dont nous pouvons aujourd'hui nous former l'idée. La force des cadres locaux, dans ces pays de communications difficiles, a maintenu ces différences. Il est à remarquer que chacune de ces variétés humaines est en rapport de type avec des populations limitrophes les unes avec les races brachycéphales qui se succèdent de la Savoie à la vallée de la Garonne, les autres avec les races dolichocéphales brunes dont le Périgord semble être chez nous le principal foyer. Il n'y a pas de races propres au Massif central.

Mais elles y sont assez anciennement établies pour que l'adaptation soit devenue intime entre leur genre de vie et le sol. C'est elle qui marque les habitants d'une effigie originale. Les moyens de communications et de transport rencontrent de grands obstacles dans le Massif. De toutes les rivières qu'il distribue autour de lui, aucune, à l'exception, pour le temps jadis, de l'Allier, — n'est navigable dans les limites qu'il circonscrit. Beaucoup de prétendues vallées ne sont que la ligne d'intersection de deux versants abrupts, entre lesquelles il n'y a place que pour un torrent écumant. Le charroi est difficile sur les sentiers raboteux. Réduit aux ressources locales, et obligé de

POPULATIONS.

compter sur ses bras, l'homme a fondé son existence sur un mode d'exploitation qu'expliquent à la fois la nature du terrain et le morcellement de la contrée. Si l'on met à part des régions favorisées sur lesquelles nous reviendrons, une agriculture mi-pastorale s'est emparée de vastes espaces. La jachère y fait succéder la lande aux cultures; l'écobuage substitue temporairement quelque récolte aux pâtis. La grande étendue de biens communaux, l'espace considérable (1 200 000 hectares environ) occupé par des landes, sont le témoignage encore actuel de ces pratiques invétérées. Si maigres qu'elles fussent, des cultures étendues, grâce à la position méridionale du Massif, ont pu s'élever très haut; et avec elles des bourgs, des lieux habités. La forêt a pâti de ce voisinage; pourchassée des croupes, elle s'est réfugiée sur les flancs.

Les bourgs sont surtout des marchés pour les transactions que nécessite une agriculture pastorale. Les causes de formation de villes agissent faiblement. Il faut pour les concentrations humaines l'assistance de grandes rivières navigables, ou en tout cas d'une large circulation terrestre. C'est ce qui manque; mais en revanche la présence multiple de l'eau a favorisé la dissémination en hameaux, mas, petites fermes, répandus dans certaines parties jusqu'à un point extraordinaire. Ces petites unités sont la forme ancienne, fondamentale de groupement. Le mas représente l'unité familiale, qui tombe à la charge de l'aîné, pagel ou pagès, et dont l'existence reste attachée à la conservation du bien héréditaire : les cadets vont chercher fortune au dehors. De cet effort traditionnel et opiniâtre, dont les bras de la famille font surtout les frais, est résulté l'aménagement patient des cultures en terrasses sur les flancs des Cévennes et du Vivarais, l'appropriation ingénieuse des petites sources dans les innombrables réservoirs et rigoles du Limousin, et tant d'autres indices de travail minutieux, individuel, âprement poursuivi de génération en génération. Mais parmi ces habitudes enracinées, le sens de l'association végète. La vie générale, à laquelle les organes font défaut, n'a pas pénétré assez fortement pour entamer le fond d'idées et de coutumes inspirées par les conditions locales.

La vie extérieure pénètre pourtant, mais comme tout le reste, individuellement; elle filtre par petits courants. De tout temps le Massif central a subi l'influence des attractions périphériques qui surgissent des plaines adjacentes. Il a vers le Bas-Languedoc, le Poitou ou la vallée du Rhône, échangé son bétail pour le grain, le vin, les denrées qui lui manquaient. Ces relations élémentaires lui ont appris le chemin de l'émigration périodique, devenue peu à peu source régulière de gain. Dès le Moyen âge les rapports sont suivis

entre les montagnes d'Auvergne et les foires de Champagne ou les pèlerinages fameux de Saint-Jacques de Compostelle. C'est à la terre finalement, à l'arrondissement de l'héritage ou à sa conservation que revenait le gain..

Le Massif s'est partagé ainsi entre des influences divergentes. Historiquement il a été disputé entre la France et l'Aragon, le roi de France et le roi d'Angleterre. Au point de vue ecclésiastique il s'est divisé entre Bourges, Lyon et Albi. Jamais, même à l'époque où César nous montre le Quercy, le Velay et le Gévaudan groupés sous l'hégémonie arverne, il n'a réussi à se constituer en un tout. La force centrifuge l'emporte décidément, et le partage entre les régions centralisées qui l'environnent. Son action, pourtant, n'a pas été indifférente, nous l'avons dit, sur l'histoire générale. Mais ce n'est pas par grande masse, à la façon du Bassin parisien, pesant de tout son poids sur nos destinées; c'est par voie d'impulsions individuelles, partielles, d'ailleurs infiniment répétées, qu'il a agi autour de lui. Il subit l'attraction parisienne; mais il entre aussi comme élément important dans la vie économique de Bordeaux et de Marseille.

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