maniere de les cultiver ? Qui eft-ce qui, ayant un peu de goût pour l'hiftoire naturelle, peut fe réfoudre à paffer un terrein fans l'examiner, un rocher fans l'écorner, des montagnes fans herborifer, des cailloux fans chercher des foffiles? Vos Philofophes de ruelles étudient l'hiftoire naturelle dans des cabinets; ils ont des colifichets, ils fçavent des noms, & n'ont aucune idée de la Nature. Mais le cabinet d'un vrai Philofophe eft plus riche que ceux des Rois: ce cabinet est la terre entiere. Chaque chofe y est à fa place; le Naturalifte qui en prend foin, a rangé le tout dans un fort bel ordre d'Aubanton ne feroit : pas mieux. COMBIEN de plaifirs differens on raffemble par cette agréable maniere de voyager! Sans compter la fanté qui s'affermit, l'humeur qui s'égaye. J'ai toujours vû ceux qui voyageoient dans de bonnes voitures bien douces, rêveurs, tristes, grondant ou fouffrant, & les piétons toujours gais, légers & contens de tout. Quand on ne veut qu'arriver, ou peut courir en chaife de pofte; mais quand on veut voyager, il faut aller à pied. CHAPITRE III. POLITIQUE. L DES GOUVERNEMENS. Es diverfes formes des gouvernemens tirent leur origine des differences plus ou moins grandes qui fe trouverent entre les particuliers au moment de leur inftitution. Un homme étoit-il éminent en pouvoir, en vertu, en richeffes, ou en crédit : il fut feul élû Magiftrat ; & l'État devint Monarchique. Si plufieurs, à-peu-près égaux entr'eux, l'emportoient fur tous les autres, ils furent élus conjointement, & l'on eut une Ariftocratie. Ceux dont la fortune ou les talens étoient moins disproportionnés, & qui s'étoient le moins éloignés de l'état de Nature, garderent en commun l'administration fuprême, & formerent une Démocratie. Le tems vérifia laquelle de ces formes étoit la plus avantageufe aux hommes. Les uns refterent uniquement foumis aux loix, les autres obéirent bien-tôt à des maîtres. Les citoyens voulurent garder leur liberté, les Sujets ne fongerent qu'à l'ôter à leurs voifins, ne pouvant fouffrir que d'autres jouiffent d'un bien dont ils ne jouiffoient plus eux-mêmes: en un mot, d'un côté furent les richeffes & les conquêtes, & de l'autre le bonheur & la vertu. QUOIQUE les fonctions du Pere de famille, du premier Magiftrat doivent tendre au même but, c'eft par des voies fi differentes, leurs devoirs & leurs droits font tellement diftingués, qu'on ne peut les confondre fans fe former de fauffes idées des loix fondamentales de la fociété, & fans tomber dans des erreurs fatales au genre humain. En effet, fi la voix de la Nature eft le meilleur confeil que doive écouter un bon Pere pour bien remplir fes devoirs, elle n'eft, pour le Magiftrat, qu'un faux guide qui travaille fans ceffe à l'écarter des fiens, & qui l'entraîne tôt ou tard à fa perte ou à celle de l'Etat, s'il n'eft retenu par la plus fublime vertu. La feule précaution néceffaire au Pere de famille eft de fe fe garantir de la dépravation, & d'empêcher que les inclinations naturelles ne fe corrompent en lui; mais ce font elles qui corrompent le Magiftrat. Pour bien faire, le premier n'a qu'à confulter fon cœur : l'autre devient un traître, au moment qu'il écoute le fien; sa raison même lui doit-être suspecte, & il ne doit fuivre d'autre regle que la raifon publique, qui eft la loi. Auffi la Nature a-t-elle fait une multitude de bons peres de famille mais il eft douteux que, depuis l'existence du Monde, la fageffe humaine ait jamais fait dix hommes capables de gouverner leurs femblables. Le corps politique, pris individuellement peut être confidéré comme un corps organifé, vivant & semblable à celui de l'homme. Le pouvoir fouve rain repréfente la tête; les loix & les coûtumes font le cerveau, principe des nerfs & fiége de l'entendement, de la volonté & des fens, dont les Juges & les Magiftrats font les organes:le commerce, l'induftrie & l'agriculture font la bouche & l'eftomac qui préparent la fubfiftance commune: les finances publiques font le fang, qu'une fage aconomie, en faisant les fonctions du cœur, N la renvoye diftribuer par tout le corps nourriture & la vie: les citoyens font le corps & les membres, qui font mouvoir, vivre & travailler la machine, & qu'on ne fçauroit bleffer en aucune partie, qu'auffi-tôt l'impreffion douloureufe ne s'en porte au cerveau, fi l'animal est dans un état de fanté: la vie de l'un & de l'autre eft le Moi commun au tout, la fenfibilité réciproque & la correfpondance interne de toutes les parties. Cette communication vient-elle à ceffer, l'u nité formelle à s'évanouir, & les parties Contigues à n'appartenir plus l'une à l'autre que par juxta-pofition: l'homme eft mort, ou l'Etat eft diffous. LE Corps Politique eft donc auffi un être moral, qui a une volonté; & cette volonté générale, qui tend toujours à la confervation & au bien-être du tout & de chaque partie, & qui eft la fource des loix, eft pour tous les membres de l'Etat, par rapport à eux & à lui, la regle du jufte & de l'injufte. IL eft pour les Nations, comme pour les hommes, un tems de maturité qu'il faut attendre avant de les foumettre à des loix; mais la maturité d'un peuple n'eft pas toujours facile à connoître, & |