Images de page
PDF
ePub

que nous avions de cultiver la vertu en nous, & de conformer nôtre vie à l'ef pérance du Ciel; travaillant tous deux comme une feule & même perfonne à fortir de cette terre périffable, avant que d'y mourir. Saint Auguftin témoigne que faint Ambroise aimoit uniquement fainte Monique, pour les rares vertus qu'il voyoit en elle; & qu'elle même chériffoit le faint Prélat comme un Ange de Dieu.

:

Mais j'ay tort de vous arrêter à une chofe qui ne fouffre aucun doute. Saint Hiérôme, faint Auguftin, faint Grégoire, faint Bernard, & tous les plus grands Serviteurs de Dieu ont eu des amitiez particulières, fans qu'elles ayent donné aucune atteinte à leur perfection Saint Paul reprochant aux Payens toute la corruption de leur vie, les accufe d'être des gens fans affé ction, c'est-à-dire de n'avoir aucune amitié: Saint Thomas reconnoît avec tous les bons Philofophes, que l'amitié eft une vertu Et il ne parle que de l'amitié particuliére; puis qu'il dit, que la parfaite amitié ne peut s'éten dre à beaucoup de perfonnes.

La perfection donc ne confifte pas à n'avoir point d'amitié, mais à n'en avoir qu'une bonne & fainte.

CHAPITRE

XX.

De la différence des vrayes & des vaines Amitiez

V

[ocr errors]

Oicy Phi'othée, l'important avertiffement & la grande regle. Le miel d'Héraclée, dont je vous ay parlé, & qui eft un vray poifon, est tout femblable au miel ordinaire dont l'ufage eft fi fain: Et il eft fort dange reux de prendre l'un pour l'autre, ou de les prendre mêlez enfemble; parceque la bonté de l'un ne corrigeroit pas la malignité de l'autre. Je dis auffi, qu'il faut être fur fes gardes, pour n'être point trompé en amitié; principalement quand il s'agit d'une perfonne de différent féxe, quelque bon principe que puiffeavoit cette liaison: Car fouvent Satan donne le change à ceux qui aiment. On commence par l'amour vertueux: Mais à moins que de prendre de fages précautions, l'amour fri vole s'y mêlera, & puis l'amour fenfuel, & enfin l'amour charnel. Ouy,if ya même du danger dans l'amour fpirituel, fi l'on ne fçait pas bien s'armer

de défiance & de vigilance: Bien qu'il foit plus difficile d'y prendre le change, parce que la parfaite innocence du cœur luy découvre plus évidemment, tout ce qui peut s'y gliffer d'impur; en la maniére que des taches paroiffent plus fur un fond bien blanc. C'eft pourquoy quand le démon entreprend de corrompre-cet amour tout fpirituel, il le fait plus finement, en effayant de faire couler infenfiblement dans le cœur, quelques difpofitions peu favorables à la pureté.

Le difcernement de l'amitié fainte & de l'amitié mondaine, dépend donc des regles fuivantes.

Le miel d'Héraclée eft plus doux à la langue que le miel commun; parce que les Abeilles le cueillent fur l'Aconit, qui luy donne cette douceur extraordinaire: Et l'amitié mondaine à un certain flux de paroles douces, molles, paffionnées & pleines de flateries fur la beauté, fur la bonne grace, fur de vains avantages naturels. Mais l'amitié fainte a un langage fimple, uni, & fincére : Et elle ne peut jamais louer que la vertu, & les dons de Dieu, l'unique fondement fur lequel elle fubfifte.

&

Ceux qui ont mangé de ce méchant miel, font auffi-tôt frappez d'un tournoyement de tête, & de beaucoup de vertiges: Et la fauffe amitié caufe un dangereux étourdiffement d'efprit, qui fait chanceller à tous momens une perfonne dans la voye du falut; car c'eft de là que procédent la tendreffe & la molleffe des regards, les démonstra tions fenfuelles, les foupirs déreglez, les plaintes affectées fur le défaut de correfpondance, les contenances étudiées, les maniéres enjoüées & infinuantes, les demandes de plufieurs mauvaises marques d'amitié; Préfages certains de la ruine prochaine de tou te l'honnêteté. Mais l'amitié fainte n'a des yeux que pour la pudeur, ni des démonftrations que pour la pureté & la fincérité, ni des foupirs que pour le Ciel, ni de la liberté que pour l'efprit, ni des plaintes que pour l'intérest de Dieu, qui n'eft pas aimé; Marques infaillibles d'une honnêteté parfaite.

Le miel d'Heraclée trouble la vûë: Et l'amitié mondaine trouble fi fort le jugement; que l'on ne diftingue plus le bien & le mal; que l'on prend pour de vrayes raifons, les prétextes les plus mal fondez; que l'on craint la lumière;

& que l'on aime les ténébres. Mais l'amitié fainte a les yeux clair-voyans ne fe cache point, & fe montre même volontiers aux gens de bien.

Enfin ce miel empoisonné laiffe une grande amertume à la bouche, quelque doux qu'il ait paru d'abord: Et la fauf fe amitié fe termine à des demandes honteufes; & en cas de refus,à des dégoûts & des ennuis; à des défiances & des jaloufies; a des reproches & des injures; à des impoftures & des calomnies, qui vont fouvent jufqu'à la rage la plus emportée, & jufqu'à la trahifon la plus noire: Mais la chaste amitié femblable en tout temps à elle-même, eft toûjours également honnête, civile & douce ; & elle ne reconnoît point d'autre changement, que celuy d'une nouvelle perfection, qu'elle donne de jour en jour à l'union des efprits & des cœurs; Image fort vive de la bien-heureuse amitié, qui regne dans le Ciel

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »