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L'ANNE'E LITTÉRAIRE.

La Pièce finit par une Fête en l'honneur de Plutus. Il y avoit un peu trop de Chants & de Danfes dans cette Comédie, & peut-être trop d'uniformité dans le fujet. Je n'aurois pas voulu qu'on fît paroître toutes les Muses; je n'aurois choifi que les plus célèbres.

Je fuis, &c.

A Paris ce 18 Mars 1754.

P.S. Je me fuis trompé dans le dernier Ordinaire, à l'article de la Grammaire générale & raisonnée, en difant que M. Duclos n'avoit pas relevé le fentiment de Mrs. de Port-Royal, qui prétendoient que des étoit le plurier d'un. M. Duclos les a très-bien réfutés. Mais les uns, les unes, dont il n'a rien dit, ne pourroient-ils pas être appellés les pluriers d'un & d'une ?

'L'ANNE'E LITTERAIRE, qui eft la fuite immédiate du dernier Cahier 62 des LETTRES SUR QUELQUES ECRITS DE CE TEMPS, fe trouve à Paris chez LAMBERT, Libraire, Rue & à côté de la Comédie Françoife, au Par naffe, & fe diftribuera-régulièrement tous les dix jours.

L'ANNÉE

LITTERAIRE.

LETTRE XIII.

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L'Hiftoire des imaginations extravagantes

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de M. OUFLE.

N vient de réimprimer, MonNeur, un Livre ancien, mais peu connu, dont le titre feul vous expliquera le fujet, le plan, la divifion & le but. C'est l'Hiftoire des imaginations extravagantes de M. OUFLE, fervant de préfervatif contre la lecture des Livres qui traitent de la Magie, du Grimoire, des Démoniaques, Sorciers, Loups-garoux, Incubes, Succubes & du Sabat; des Efprits-follets, Génies, Phantômes & autres Revenans; des Songes, de la Pierre Philofophale, de l'Aftrologie Judiciaire, des Horofcopes, Talismans, Jours heureux & malheureux, Eclipfes, Comètes, & enfin de toutes fortes d'Apparitions, de Divinations, de Sortilèges, d'Enchantemens, Tome I.

N

& d'autres fuperftitieufes Pratiques, avec un très-grand nombre de Notes curieufes, qui rapportent fidèlement les endroits des Livres qui ont caufé ces imaginations, & qui les combattent; le tout enrichi de figures, & notamment de celles qui repréfentent le Sabat.

L'Auteur introduit fur la Scène un perfonnage imaginaire, qu'il appelle Monfieur Oufle. Il fuppofe que la lecture du Grimoire lui a dérangé le cerveau, comme à Dom-Quichotte celle des Romans. Il lui fait faire toutes les extravagances rapportées dans les livres de Magie. Voici le premier trait de folie de M. Oufle. Un jour de carnaval il entra dans la chambre de fon fils, & il trouva une peau d'Ours, dont il fe couvrit. Comme il avoit bû, & que fon imagination étoit échauffée par fes lectures, il fe crut changé en Loup-garou. Il courut les rues avec des hurlemens épouvantables il fit peur à des Muficiens qui donnoient une férénade à une Grifette; à de jeunes gens qui arrachoient les marteaux des portes; à des Abbés qui chantoient des chanfons immodeftes; à un vieux Seigneur qui alloit en Fiacre voir fa Maîtreffe; à un Chimifte qui ve

noie de chercher la Pierre Philofophale; à un Marchand de toiles pourfuivi par des Voleurs. Il rencontra une troupe de Mafques, parmi lefquels étoit fon fils. Celui-ci le reconnut, le ramena chez lui, le fit deshabiller. M. Oufle fe coucha, & dormit.

Une autre fois notre Vifionnaire fe mit dans l'efprit que Madame Oufle lui étoit infidèle:& voici comment il crut tirer de la bouche même de fa femme l'aveu de fon infidélité. Il prit la tête d'une Grenouille & le cœur d'un Pigeon; il fit fécher l'un & l'autre & les réduifit en poudre. Il mit cette poudre fur l'eftomach de fa femme pendant fon fommeil, prétendant, felon la promeffe de fes livres fuperftitieux, qu'elle ne manqueroit pas de dire en dormant tout ce qu'elle avoit fait étant éveillée. Cet expédient ne lui ayant pas réuffi, il lui mit le lendemain le cœur d'un Crapaud fur la mammelle gauche. Il fit la troisième nuit l'épreuve du Diamant, qui, placé fur la tête d'une femme endormie, la réveille en furfaut fi elle a violé la foi conjugale; fi au contraire elle eft fage elle fe tourne en dormant du côté de fon mari, & l'embraffe avec transport. Ma

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dame Oufle ne s'éveilla pas; mais comme elle étoit laffe d'être fur un côté, elle changea de fituation, & tourna le dos à fon mari: ce fut tout le fruit de cette troisième expérience. Il eût bien voulu en faire une quatrième avec la pierre Galeriate; mais quelques recherches qu'il fit, il ne put jamais la trouver. Cette pierre a la vertu fingulière de faire piffer fur le champ les femmes qui ne font pas chaftes. M. Oufle eut recours aux chardons. Il en prit trois têtes, fur une defquelles il écrivit le nom de fa femme, & fur les deux autres les noms de deux femmes à qui il fçavoit qu'il étoit très-indifférent. Il coupa les pointes de ces chardons, & les mit fous le chevet de fon lit, perfuadé que celui des trois qui poufleroit de nouvelles pointes, marqueroit la perfonne dont il étoit le plus aimé. Madame Oufle qui s'étoit enfin apperçue des fortilèges de fon mari, remplaça ces trois chardons par trois autres, où étoient écrits les noms de Michel, Gabriel & Belzebut, Elle avoit coupé les pointes des deux premiers, & M. Oufle trouva à fon réveil qu'il n'avoit d'ami que le Diable.

Il avoit lû dans un de fes Livres, que

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