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AN. 1244.

Matth. Parif.p. 561,

faint Jean, & vint à Citta di Castello, qui n'en eft qu'à dix-huit mille ou fix lieuës, & la veille de la faint Pierre vingt-huitiéme du même mois il vint à Sutri s'approchant toûjours de l'empereur. Mais ce prince lui manda qu'il n'executeroit rien de ce dont on étoit convenu, s'il ne recevoit auparavant les lettres de son absolution. Le pape répondit,que cette propofition n'étoit pas raisonable: ainfi ils rompirent enfemble. Alors le pape refolut de fe retirer fecretement, mais il ne communiqua fon deffein à persone, de peur que l'empereur n'y mît des obftacles. Le jour même mardi vingt-huitiéme de Juin 1244. il apprit que trois cens chevaliers Tofcans devoient venir la nuit fuivante pour le prendre : de quoi étant fort allarmé comme il paroiffoit à fon vilage, à l'heure du premier fomme il quitta les marques de fa dignité,& armé legerement il monta fur un excellent coureur, prit fur lui de l'argent, & partit fans que perfone le fçût finon fes valets de chambre. Il pouffa fi vivement fon cheval qu'avant l'heure de prime il avoit fait trente-quatre mille, c'est-à-dire onze lieuës, fans que perfone le pût fuivre.

Au milieu de la nuit on s'apperçut de la retraite du pape; & tous en furent extrêmement furpris, hors quelque peu de cardinaux qui étoient du fecret. Pierre de Capoue le fuivit avec un feul homme, & après avoir effuïé quelques perils, le trouva le même jour mercredi vingt-neuviéme de Juin à Civita-vecchia. Là étoient venuës de Genes au-devant du pape vingttrois galeres montées chacune de foixante hommes bien armez & de cent quatre rameurs, outre l'équipage; & de plus de feize barques. Ce qui faifoit juger

12.45.

que le avoit formé de loin ce deffein. Ces ga- AN.1244. pape leres étoient commandées par l'amiral de Genes & les premiers de la ville, qui tous fe vantoient d'être parens ou alliez du pape: Le pape s'embarqua le foir avec fept cardinaux & peu de fuite : mais à peine étoient-ils en haute mer qu'ils furent accueillis d'une Sup. liv, 1x-x1 très-violente tempête dans la même route où les prélats avoient été pris trois ans auparavant : ce qui les obligea le vendredi premier de Juillet de prendre terre à une isle appartenante aux Pifans & y passer la nuit. Le lendemain famedi après avoir reçû l'absolution de leurs pechez & oui une meffe de la Vierge, la crainte des Pifans leur fit faire force de rames, pour gagner une Ifle des Genois, & aïant fait ce jour-là cent vingtquatre milles ils arriverent malgré la tempête à Porto-Venere, où ils féjournerent le dimanche & le lundi. Enfin le mardi cinquiéme de Juillet ils arriverent à Genes pleins de joye, & y furent reçûs au son des cloches & des inftrumens de mufique avec de grandes acclamations. Le pape fe trouvoit ainfi à quinze journées de Rome, dans la ville de fa naiffance au milieu de fes parens & de fes amis.

gar

XIII.
Le pape deman-

aux Anglois.

L'empereur Frideric aïant appris fa fuite en fut extrêmement irrité, contre ceux qu'il avoit mis à la gar- de de l'argent de des ports & des villes de fon obéïffance, & fit der étroitement les avenuës de Genes, principalement vers la France, de peur qu'on apportât de l'argent au pape. En effet le pape avoit envoïé en Angleterre un

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de ses clercs de chambre nommé Martin,chargé d'une Matth. Parif. p. bulle en datte du feptiéme de Janvier adreffée aux abez du diocese de Cantorberie, où il disoit: Le fecours que le pape Gregoire d'heureuse memoire a tiré de l'An

AN. 1244.

P. 563.

P. 565.

1.566.

gleterre & des autres roïaumes Chrétiens n'a pas été
fuffifant pour acquitter les dettes que le S. fiege avoit
contractées pour
la défenfe de la liberté ecclefiafti-
que & de fon patrimoine : c'eft pourquoi nous vous
mandons de nous aider de telle fomme d'argent que
le docteur Martin vous declarera de nôtre part, &
la lui remettre dans le terme qu'il vous affignera. Ce
nonce étoit chargé de plufieurs autres bulles pour don-
ner des provisions ou des revenus de benefices aux
parens du pape felon qu'il jugeoit à propos : ce qui fai-
foit juger que ces bulles étoient fcellées en blanc, pour
les remplir comme il lui plaifoit & les montrer felon
l'occasion. Ensuite le pape étant à Genes écrivit aux
évêques & à tout le clergé d'Angleterre, leur ordon-
nant de donner liberalement à leur roi de quoi four-
nir aux dépenfes de l'état, à la confervation duquel
l'églife étoit intereffée. La lettre eft du vingt-neu-
vieme de Juillet. Ainfi ce clergé fe trouvoit en même
tems preflé des deux côtez, par le pape & par le roi.

Alors arriverent à Londres des ambaffadeurs de

l'empereur Frideric apportant une
une lettre, qut fut lûë
devant le roi & le clergé affemblé malgré la refiftance
du nonce Martin.En cette lettre l'empereur s'efforçoit
de se justifier au sujet du traité de paix avec le pape,
affûrant qu'il vouloit rendre justice à l'églife & obéir
à fes ordres. Mais, ajoûtoit-il, le pape exige avec
hauteur d'être mis en poffeffion de quelques villes,
châteaux & terres, dont on n'eft pas encore éclairci
fi elles appartiennent à l'empire ou à l'église : il veut
que je délivre quelques prifonniers, que je regarde
comme des feducteurs; & il exige de moi ces condi-
tions,avant que je fois abfous des cenfures. Craignant

VO.

donc d'être furpris & de tomber dans les pieges du pape, je me fuis foûmis à l'avis des deux rois de France & d'Angleterre, & de leurs barons, mais le pape a refufé d'accepter même une telle foûmiffion. L'empereur fe plaignoit fortement de ce refus : & à la fin de la lettre il prioit inftamment le clergé d'Angleterre, de ne donner aucun fubfide au pape à son préjudice. Il ajoûtoit : Si vôtre roi veut fuivre mes confeils je délivrerai l'Angleterre du tribut dont le pape Innocent III. l'a chargée, & de toutes les autres vexations de la cour de Rome: mais fi vôtre roi ne veut pas me croire, je m'en vengerai rigouresement fur tous les fujets que je trouverai dans mes états. Cette lettre de l'empereur lui gagna les cœurs de beaucoup d'Anglois; étant accompagnée de celles de Baudouin empereur de C.P. & de Raimond comte de Toulouse, qui rendoient témoignage de sa bonne difpofition pour la paix.

pape

Le Innocent étant à Genes y convoqua le chapitre general des freres Mineurs, qu'il étoit neceffaire de tenir tant pour élire un miniftre general, que pour réunir l'ordre divifé en deux partis. Haimon leur cinquiéme general étoit mort, après avoir rempli cette place près de cinq ans ; & frere Elie prétendoit y rentrer comme ayant été depofé injuftement. Or il avoit un grand parti, qui favorifoit le relâchement & la mitigation de la regle: au lieu que les autres la vouloient fuivre à la rigueur. On nommoit ces derniers Zelateurs, Spirituels, ou Cesariens; à caufe de Cefaire leur chef, qu'Elie avoit tant perfecuté. De ce nombre étoient plufieurs difciples de faint François ou de fes premiers compagnons,qui vivoient

AN.1244.

XIV.
Frete Elie con-

damné par le
pare.

Vading.1244 *.

1.1.3.

AN. 1244.

7. 6.

* 7.

encore, comme Gilles d'Affife, & Leon Rufin. Les
Zelateurs fe gouvernoient par
le confeil de ces an-
ciens ; & choisirent foixante & douze freres des plus
vertueux & des plus favans, pour inftruire le pape,
le protecteur & toute la cour de Rome de la verité de
leur état. L'autre parti traitoit ces Zelateurs de vifio-
naires & de querelleurs ; & relevoit l'autorité d'Elie,
qui ayant été un des premiers compagnons de S. Fran-
çois & établi par lui-même fon vicaire, conoifloit
mieux qu'un autre fes intentions : qui avoit une lon-
gue experience du gouvernement de l'ordre dès fon
inftitution: enfin qui avoit utilement fervi l'églife, en
travaillant à la paix entre le pape & l'empereur

Frideric.

On tint donc à Genes le chapitre general, qui fut le huitiéme depuis la mort de Š. François; & malgré la faction d'Elie prefent en perfonne, on élût pour miniftre general frere Crefcentio d'Iefi dans la marche d'Ancone, dont il étoit alors provincial : homme venerable par fa doctrine & fon grand âge, qui étoit entré tard dans l'ordre, ayant auparavant profeffé pendant plusieurs années le droit & la medecine. Il fut élû le jour de S. François quatrième d'Octobre 1244. & fut le fixiéme general des freres Mineurs.Elie & fes partifans furent appellez devant le pape, qui ayant découvert fes artifices le dépouilla de tout privilege & de toute grace, & le declara fimple frere: avec défense à aucun de lui obéïr ni le tenir pour fu-perieur, & à lui de demeurer vagabond : mais il lui fut enjoint de se ranger fous l'obéïffance du general. Elie ne put s'y réfoudre, il quitta l'ordre & s'enfuit auprès de l'empereur Frideric: c'eft pourquoi le pape

Innocent

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