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mort. Néanmoins la tradition et l'Iliade elle-même ont pu autoriser M. de Juinne à prêter un si noble dessein au trop faible Pâris; mais pourquoi le berger phrygien a-t-il si peu le caractère, de beauté qui le rendit célèbre dans toute l'Asie, et que David a si bien conservé? J'aime assez que son air efféminé contraste avec son action du moment; mais je lui voudrais au moins quelque enthousiasme mêlé au sentiment d'un regret véritable. Dans l'Iliade, Pâris admire et chérit Hector. Hélas! comment le peintre aurait-il pu répondre à ce souhait, puisqu'il a bien pu faire ressembler la grave et sévère Andromaque à l'Angélique de Médor, telle que nous l'avons vue dans un tableau moderne qui ne manquait pas de charme. La comparaison m'est venue d'abord dans l'esprit ; je m'étonne qu'elle n'ait point frappé les amis de l'auteur. Non loin de ce personnage qui forme un si étrange contresens avec ses mœurs connues, on remarque une jeune sœur d'Hector qui rappelle l'air boudeur de telle figure de Greuze; on dirait d'une copie faite d'après lui. Parmi les autres sœurs du héros, deux sont exactement semblables en tout, et frappées de la même insensibilité. On ne surprend des larmes que dans les yeux d'une seule des femmes présentes. Regardez celle qui, les bras étendus vers lui, a l'air d'adresser de si vives paroles à Hector, ne croyezvous pas la voir pleurer et entendre ses plaintes ? Si le peintre a voulu représenter ici Hélène, il a complètement oublié qu'elle tenait le sceptre de la beauté; mais ne pouvant la faire belle, il a su du moins lui prêter l'air d'une véritable tristesse. En revanche, je ne connais rien de plus glacé, de plus froid, de plus

étranger à la situation que la fameuse Cassandre. Sans sa couronne de laurier, il serait impossible de soupçonner en elle la prêtresse d'Apollon, la tendre sœur d'Hector, l'accusatrice du criminel Pâris, la pieuse fille de Priam et la furie de la maison des Atrides. M. de Juinne a travaillé à froid; il n'y avait point de Dieu en lui quand il a conçu son tableau : il a exécuté comme il avait conçu, sans trouble et sans effort.

Voici un tableau bien inférieur à celui que l'intérêt même du peintre m'a ordonné de traiter avec sévérité; je suis d'autant plus fâché d'avoir tant de reproches à faire au nouvel auteur, qu'il est à Rome, dans la ville des hautes inspirations, qu'il foule la cendre des héros, et peut voir chaque jour les chefs-d'œuvre de Raphaël et de Michel-Ange. M. Dupré a voulu représenter Camille chassant les Gaulois de Rome (1); mais a-t-il pu un moment se flatter que nous serions satisfaits de ses efforts? Le fier et sauvage Brennus est, dans la composition nouvelle, un soldat à profil grec, qui ferme les poings, et prend un air mutin en s'efforçant de faire le mauvais garçon, quoiqu'il paraisse au fond assez débonnaire. Derrière lui se trouvent des personnages sans aucun caractère, et tellement collés sur la toile, qu'on les prendrait pour des images sur papier; entre eux, rien de plus risible qu'un certain prêtre mêlé, on ne sait pourquoi, parmi les barbares; tout est confus, sans aucun effet dans cette partie du tableau. En face de Brennus, Camille, dans l'attitude d'un spa

(1) No 598.

dassin de profession, retrace un matamore, et non pas un grave Romain, un héros libérateur de sa patrie. Soyez-en bien sûrs, le peintre vous trompe; jamais une grande pensée n'entra dans l'ame de ce prétendu Camille. Pour le consul que l'on voit auprès du dictateur, et plus avancé vers Brennus, une telle frayeur s'est emparée de lui, qu'il en est pâle et défiguré; tout atteste ici l'absence de ce courage moral, de cette exaltation de vertu et d'orgueil national, sources des plus grandes choses de l'histoire romaine. Que fait donc le directeur de l'Académie à Rome, s'il n'avertit pas les élèves d'une erreur aussi complète que celle de M. Dupré ? Manque-t-il du zèle et de l'autorité nécessaires pour dire à un jeune peintre : « Mon ami, vous allez vous perdre au nom de votre avenir dans les arts, n'envoyons pas cette production à Paris. >>

Peut-être des circonstances que j'ignore rendentelles ma supposition injuste envers M. Guérin ; mais comment excuser la faiblesse du jury qui a permis l'admission d'une production aussi déplorable que cette réunion de caricatures que l'on nous offre sous le titre de mariage par procuration de madame la duchesse de Berri (1). Dans tous ces grands de la cour de Naples, je ne vois que des arlequins et des pantalons que le peintre a posés, comme l'un de ses modèles, en habits de cérémonie : c'est pis que du Rabelais en peinture.

La clémence de Louis XII a mieux inspiré M. Gassies (2). L'attitude du prince, qui ne manque pas de

(1) No 1124.

(2) No 711.

noblesse, n'a rien des manières théâtrales et de la roideur académique. Nulle ostentation dans sa clémence; il est humble en exerçant une vertu sublime. Sou air respire la candeur et la bonté ; il pardonne du cœur et non des lèvres. Les deux officiers qui l'avaient fort desservi sous Charles VIII, paraissent vraiment touchés. A leur ressemblance, on les prendrait pour deux frères; mais celui des deux qui joint les mains en signe d'actions de grâces, a une expression remarquable d'attendrissement et de reconnaissance. Si c'est le chancelier qui se trouve au milieu du tableau, en robe d'une pourpre effacée, j'approuve l'idée de sa présence à une pareille scène. Pourquoi faut-il que ce personnage soit mesquin de forme, gauche de position, et que le pinceau ait à la fois sali ses vêtemens et sa figure? Un mot ridicule que j'épargne à l'auteur pourrait seul caractériser l'expression de la tête. Ce personnage, qui a porté malheur à l'artiste, n'a guère de saillie, et non loin de lui on voit un garde absolument collé sur la toile. Les deux princesses placées derrière le roi, sont froides et plates. On remarque de la vigueur de pinceau dans les officiers de la couronne qui servent de repoussoirs sur le devant du tableau ; mais ils ont une expression étrange et paraissent prendre bien peu d'intérêt à ce qui se passe. Cependant, quelle action plus propre à émouvoir les spectateurs que la bonté d'un prince qui veut inaugurer son règne par l'oubli des injures et le pardon des offenses? La couleur n'est pas sans harmonie, elle a même quelque charme dans le principal personnage. Ce tableau retouché pourrait acquérir beaucoup plus de prix qu'il n'en a dans son état actuel.

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Comme j'arrivais au Salon, des amateurs ont recommandé à mon attention le massacre des Juifs, envoyé de Rome par M. Heim (1). Ainsi que M. Coigniez, le peintre a choisi une scène principale dans un horrible drame; ainsi que lui, il a négligé les moyens de nous faire comprendre à quel peuple appartiennent les victimes; je reconnais bien l'armure des soldats romains; à quels signes puis-je deviner que ce sont des Juifs qu'ils immolent? En peinture, surtout, il ne faut omettre aucun moyen de parler à l'esprit et à la mémoire en parlant aux yeux par des images.

Ce tableau frappe l'attention par une certaine vigueur de dessin et d'expression. Le soldat romain respire la brutalité d'un vainqueur altéré de carnage; c'est un furieux qui ne connaît plus rien; il va casser la tête de l'imprudent qui veut arrêter son cheval, dont les pieds foulent déjà une femme et son enfant à la mamelle. Ce second personnage, qu'on peut supposer le mari et le père des deux victimes, est plein d'effroi, de colère et de pitié; l'impétuosité de son action, la violence de ses efforts, annoncent un de ces mouvemens de la nature qu'aucun péril ne saurait arrêter; le malheureux ne regarde pas la hache suspendue sur sa tête; il n'a vu, il ne voit que les deux innocentes créatures exposées à une mort af freuse. Si l'expression de l'épouvante était assez déchirante dans la mère, cette figure si bien jetée, si naturellement étendue sur la terre, ce bras, cette main qui supplient en même temps que les paroles; ces formes grandes et simples, cette beauté noble

(1) No 885.

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