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pés se sont plu à représenter comnie inaccessible aux sentiments doux et tendres, était aussi bon mari que bon père; les innocentes fantaisies de l'Impératrice étaient loin de trouver en lui un censeur. L'anecdote suivante montre quelle était, à cet égard, sa bonhomie; je la connaissais; elle m'a été rappelée dernièrement par M. Méchin, ancien préfet du département du Calvados. L'Impératrice, qui s'était rendue à Cherbourg pour assister à l'inauguration du bassin de ce port, la raconta devant lui, à une table de whist où il avait l'honneur de faire sa partie. La réminiscence d'un goût puisé dans la familiarité de la vie domestique qu'elle avait menée dans sa jeunesse, lui inspira un jour l'envie de faire une omelette; elle fait apporter dans son appartement tout ce qui lui est nécessaire. Pendant qu'elle est occupée de cette importante opération culinaire, l'Empereur entre sans être annoncé, soit que le hasard l'amenât, soit que, prévenu par quelque avis officieux, il voulût se donner le plaisir de surprendre l'Impératrice. Celle-ci, un peu troublée de cette visite inattendue, cherchait à lui dérober la vue de ses préparatifs : « Que fait-on donc ici? dit l'Empe

reur; je sens une singulière odeur, comme de ‹ friture. › Puis, passant derrière l'Impératrice, il découvre le réchaud, la casserole d'argent dans laquelle le beurre commençait à fondre, le saladier et les œufs. Quoi! dit-il, vous faites une omelette?

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‹ Bah! vous n'y entendez rien; je veux vous mon⚫trer comment on s'y prend. Il se fait apporter un tablier de cuisine, et se met à l'œuvre avec l'Impératrice, qui lui servait d'aide. L'omelette faite, restait le plus difficile, c'était de la retourner; mais Napoléon s'était donné plus de talent qu'il n'en avait; car, quand il s'agit de faire sauter l'omelette, il fit comme le grand Condé, qui, au rapport de Gourville, voulant faire une omelette dans une auberge où il s'était arrêté, au lieu de la retourner dans la poêle, la jeta dans le feu. Napoléon cependant fit mieux, il ne la jeta que par terre; obligé d'avouer son inexpérience, il remit à l'Impératrice les insignes du métier, et la laissa recommencer sa cuisine. Il s'entendait mieux à livrer une bataille.

Après les voyages en Belgique, en Normandie et en Hollande, l'Empereur avait repris ses courses à cheval et ses chasses pendant la belle saison des années 1811 et 1812, à Saint-Cloud et à Rambouillet, où il était plus à l'aise, et pour ainsi dire plus en famille. Quelquefois, à l'aube du jour, il éveillait I'Impératrice pour faire des promenades avant le déjeuner; ces cavalcades le conduisaient, mais rarement de Saint-Cloud à Paris. Il visitait alors les divers travaux qu'il avait ordonnés pour l'embellissement ou pour l'utilité de la capitale, et dont il expliquait l'objet à l'Impératrice. Ces visites, toujours inattendues, surprenaient dans leur sommeil les gardiens

de ces travaux, qui regardaient avec étonnement ces ordonnateurs nouveaux pour eux, et se croyaient sous le charme d'une vision. Comme ces promenades n'étaient point annoncées d'avance, l'aidede-camp et l'écuyer de service et quelques piqueurs suivaient seuls Leurs Majestés. L'Impératrice n'était accompagnée par aucune de ses dames, seulement elles venaient au-devant d'elle à son retour; elle montait en voiture si elle était fatiguée, ce qui arrivait rarement.

Comme toutes les fois que l'Empereur se déplaçait, c'était dans un but utile, et que ni prince ni fonctionnaire public n'ont donné moins de temps à leurs plaisirs, il s'arrangeait pour que ses délassements même ne fussent pas stériles; ses promenades avaient toujours pour objet la visite de quelque point qui avait attiré son attention. Il prenait, à la première vue, un aperçu du terrain et des travaux commencés, et se formait une idée nette de la meilleure direction à leur donner, de leur durée probable et des dépenses qu'ils occasionneraient. A son retour, il chargeait ses ministres de convoquer les chefs de division, les ingénieurs et les hommes de l'art, et de les amener à un conseil qu'il présidait. En entendant la lecture de leurs rapports, il y appliquait les premières notions qu'il avait recueillies sur les ouvrages projetés ou commencés, et il avait déjà arrêté dans sa tète les perfectionnements dont ils

étaient susceptibles. Malgré la rapidité du coup d'œil qu'il y avait jeté, il avait pris une connaissance des détails aussi juste qu'auraient pu le faire les hommes spéciaux qui en avaient fait leur étude assidue.

La nature avait été prodigue envers Napoléon des facultés qu'elle réserve aux êtres privilégiés créés par elle pour commander aux hommes et pour les éclairer. Elle l'avait doué d'une imagination vive et ardente unie à une froide raison, d'un génie fortifié par l'étude, que les travaux les plus arides et les plus prolongés ne pouvaient lasser et qui puisait au contraire une nouvelle vigueur dans leur diversité, d'un esprit vaste qui embrassait l'ensemble des questions les plus étendues et qui descendait dans les détails les plus minutieux, d'une conception vraiment extraordinaire à laquelle des illuminations soudaines découvraient les profondeurs des connaissances humaines, enfin d'une mémoire imperturbable. A ces dons de l'intelligence Napoléon joignait une âme élevée et sensible, en même temps que fortement trempée et supérieure aux coups comme aux faveurs de la fortune. Son sang-froid était inaltérable au milieu des dangers, comme s'il se fût senti invulnérable. Il portait en lui une volonté persévérante et inflexible, un instinct de puissance et de supériorité qui brisaient tous les obstacles et devant lesquels disparaissait l'impossible. L'étude du cœur humain

lui avait enseigné l'art de s'attacher les hommes et de les subjuguer. Sa présence et ses paroles excitaient l'enthousiasme. Son éloquence était vive et rapide; ses mots énergiques, profonds et souvent sublimes. Son extérieur simple, mais relevé par un air de grandeur et par l'habitude du commandement, la fascination de son regard, dont l'expression douce ou sévère pénétrait au fond des cœurs, inspiraient un respect mêlé de crainte et d'affection. Il ne se rapetissait pas pour obtenir la popularité, et cependant jamais chef ne fut plus populaire. Sa vigilance était continuellement éveillée sur la réforme des abus et sur les moyens d'élever la France à la hauteur de son génie; mais son infatigable activité le portait à pratiquer, d'une manière trop absolue peut-être, ce principe, qu'il ne faut point laisser faire à d'autres ce qu'on peut faire soi-même. Un vif sentiment du juste et de l'injuste dominait en lui. Comme il était élevé au-dessus des autres hommes, il était supérieur aussi aux petites passions, et savait compatir aux misères du cœur humain; mais, quoique indulgent pour les fautes et pour les erreurs, il jugeait quelquefois nécessaire de les gourmander en public, moins pour la punition de ceux auxquels ses reproches étaient adressés que pour l'instruction de ceux qu'il rendait témoins de ces scènes; et à cela se bornaient ses rigueurs. Il fut clément envers ses ennemis; il eut une répugnance invincible

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