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impénétrable, et l'esprit a peine à s'y soumettre. Divin Législateur, vous nous commandez, et tous vos préceptes sont justes; mais cette voie est rude. et contraire aux sens, et il est malaisé de s'y ranger. Enfin vous nous promettez des biens éternels, et il n'y a rien de plus ferme que vos promesses; mais que l'exécution en est éloignée! vous nous remettez à la vie future, et notre ame est fatiguée par cette attente. Voilà, mes Frères, trois grands obstacles qui nous empêchent d'écouter le sauveur Jésus, et de nous soumettre à sa parole: sa doctrine est certaine, mais elle est obscure; ses préceptes sont justes, mais difficiles; ses promesses infaillibles, mais fort éloignées. Chrétiens, allons au Thabor pour y voir Jésus-Christ transfiguré; considérons qui l'y accompagne, de quoi il y parle, comme il y paroît. Moïse et Elie sont à ses côtés; c'est-à-dire, si nous l'entendons, que la loi et les prophètes lui rendent hommage. Un maître en qui il paroît tant d'autorité, quoique sa doctrine soit obscure, mérite bien qu'on l'en croie sur sa parole: Ipsum audite. Mais de quoi s'entretient ce divin Sauveur avec ces deux hommes que Dieu lui envoie? « De sa mort, dit » l'Evangéliste, et du supplice cruel qu'il devoit » souffrir en Jérusalem » : Dicebant excessum ejus, quem completurus erat in Jerusalem (1). Chrétiens, ne parlons plus des difficultés des choses qu'il nous a commandées, après que nous voyons les travaux pénibles de celles qu'il a lui-même accomplies. Enfin il paroît, nous dit l'Ecriture, plein de gloire et de majesté, et il nous donne comme un avant-goût de

(1) Luc. IX. 31.

la félicité qu'il nous prépare. Par conséquent ne nous plaignons pas que la gloire qu'il nous promet soit si éloignée, puisqu'il nous la rend déjà en quelque sorte présente. Que reste-t-il donc maintenant? sinon que nous entendions le Père éternel qui nous avertit d'écouter son Fils: Ipsum audite. Ecoutons humblement ce divin Maître; écoutons sa doctrine céleste, sans que l'obscurité nous arrête; écoutons ses commandemens, sans que leur difficulté nous étonne; enfin écoutons ses promesses, sans que leur éloignement nous impatiente. C'est ce que je me propose de vous faire entendre avec le secours de la grâce.

PREMIER POINT.

La première chose, mes Frères, que le Père éternel exige de nous, lorsqu'il nous ordonne d'écouter son Fils, c'est que nous soyons convaincus que, sur toutes les vérités qu'il est nécessaire que nous connoissions, il s'en faut rapporter à ce qu'il en dit, et l'en croire sur sa parole sans examiner davantage. C'est ce qu'il nous faut établir comme le fondement immuable de toute la vie chrétienne; et pour cela supposons, Messieurs, une chose connue de tous, qui nous donnera de grandes lumières, si nous en savons comprendre les suites; que les hommes peuvent parvenir à la vérité en deux manières différentes; ou bien par leurs lumières, lorsqu'ils la connoissent eux-mêmes; ou par la conduite des autres, lorsqu'ils en croient un rapport fidèle. C'est une chose connue, et qui n'a pas besoin d'explication; mais les suites en sont admirables, et je vous prie de les bien entendre.

Et pour commencer, chrétiens, à développer ce mystère, je dis qu'il n'appartient qu'à Dieu seul de nous conduire à la vérité par l'une et par l'autre de ces deux voies. Non, les hommes ne le peuvent pas; c'est folie de l'attendre d'eux. Celui qui entreprend de nous enseigner, doit, ou nous faire entendre la vérité, ou du moins nous la faire croire. Pour nous la faire entendre, il faut nécessairement beaucoup de sagesse; pour nous la faire croire, il faut beaucoup d'autorité; et c'est ce qui ne se trouve point parmi les hommes. C'est pourquoi Tertullien disoit dans cet admirable Apologétique: Quanta est prudentia hominis ad demonstrandum quid verè bonum? quanta auctoritas ad exigendum (1)? « La >> prudence des hommes est trop imparfaite pour » découvrir le vrai bien à notre raison; et leur >> autorité est trop foible pour pouvoir rien exiger » de notre créance ». La première, c'est la prudence, est peu assurée; et la seconde, c'est l'autorité, peu considérable : Tam illa falli facilis, quàm ista contemni. Par conséquent nous devons conclure qu'il ne faut pas attendre des hommes la connoissance certaine de la vérité; parce que leur autorité n'est pas assez grande pour nous la faire croire sur ce qu'ils en disent, et que leur sagesse est trop courte pour nous en donner l'intelligence.

Mais ce qui ne se trouve point parmi les hommes, il nous est aisé, chrétiens, de le rencontrer en notre Dieu; et vous le comprendrez aisément, si vous considérez avec attention comme il parle différemment dans son Ecriture. Il pratique, ce grand Dieu, (1) Apolog. n. 45.

l'un et l'autre. Quelquefois il se fait connoître manifestement; et alors il dit à son peuple : « Vous »saurez que je suis le Seigneur » Et scietis quia ego sum Dominus (1). 'Quelquefois, sans se découvrir, il fait valoir son autorité, et il veut qu'on le croie sur sa parole; comme lorsqu'il prononce avec tant d'emphase, pour obliger tout le monde à se soumettre : Hæc dicit Dominus : « Voici ce que dit » le Seigneur » et ailleurs : « Il sera ainsi, parce » que j'ai parlé, dit le Seigneur » : Quia verbum ego locutus sum, dicit Dominus (2). D'où vient, Messieurs, cette différence? C'est sans doute qu'il veut que nous comprenions qu'il a le moyen de se faire entendre, mais qu'il a le droit de se faire croire. Il peut par sa lumière infinie nous montrer, quand il lui plaira, sa vérité à découvert ; et il peut par son autorité souveraine nous obliger à la révérer sans que nous en ayons l'intelligence. L'un et l'autre est digne de lui il est digne de sa grandeur de régner sur les esprits, ou en les captivant par la foi, ou en les contentant par la claire vue. L'un et l'autre est digne de lui : il fera aussi l'un et l'autre ; mais chaque chose doit avoir son temps. Tous deux néanmoins sont incompatibles; je veux dire l'obscurité de la foi et la netteté de la vue. Qu'a-t-il fait? écoutez, mes Frères; voici le mystère du christianisme. Il a partagé ces deux choses entre la vie présente et la vie future : l'évidence dans la patrie, la foi et la soumission durant le voyage. Un jour la vérité sera découverte; en attendant pour s'y préil faut que l'autorité soit révérée : le dernier

parer,
(1) Ezech. v1.7. (2) Jer. XXXIV. 5.

fera

fera le mérite, et l'autre est réservé pour la récompense. « Là nous avons vu les mêmes choses que >> nous avons entendues » Sicut audivimus, sic vidimus (1): ici il ne se parle point de voir, et on nous ordonne seulement de prêter l'oreille, et d'être attentifs à sa parole: Ipsum audite.

Venez donc au Thabor, mes Frères, et accourez tous ensemble à ce divin Maître que vous montre le Père céleste. Vous pouvez reconnoître son autorité en considérant les respects que lui rendent Moïse et Elie, c'est-à-dire la loi et les prophètes, comme je l'ai déjà expliqué. Mais j'ajouterai maintenant une remarque sur notre Evangile, que peutêtre vous n'avez pas faite, et qui néanmoins est très-importante pour connoître l'autorité du sauveur Jésus. C'est, Messieurs, qu'il est remarqué qu'en même temps que fut entendue cette voix du Père éternel qui nous commande d'écouter son Fils, Moïse et Elie disparurent, et que Jésus se trouva tout seul Et dum fieret vox, inventus est Jesus solus (2). Dites-moi, quel est ce mystère? d'où vient. que Moïse et Elie se retirent à cette parole? Chrétiens, voici le secret développé par le grand apôtre. « Autrefois, dit-il, Dieu ayant parlé en différentes » manières par la bouche de ses prophètes (3) »; écoutez et comprenez ce discours: Vous avez parlé, ô prophètes, mais vous avez parlé autrefois : «< main» tenant en ces derniers temps il nous a parlé par » son propre Fils » : Novissimè locutus est nobis in Filio (4). C'est pourquoi, dans le même temps que Jésus-Christ paroît comme maître, Moïse et Elie se (1) Ps. XLVII. 9. - (2) Luc. 1x. 36. (3) Hebr. 1. 1.- -(4) Ibid. 2.

BOSSUET. XII.

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