pour avoir des nouvelles. Parfois Louis XV en donnait lui-même. Dans Paris et dans les provinces, les églises étaient remplies de la foule qui priait pour la bonne reine. Voyez comme elle est aimée, disait avec émotion l'époux qui reconnaissait trop tard tous ses torts envers elle. Le moment suprême approchait. Les quatre filles de Marie Leczinska passèrent les dernières nuits au chevet de leur mère avec un dévouement qui les faisait ressembler aux sœurs de charité. A l'instant où l'agonie allait commencer, Louis XV s'agenouilla devant le lit de sa femme et lui dit en pleurant : « Voici nos filles que je vous présente. » La mère, chrétienne, comprit ce que voulaient dire ces mots, et, levant les yeux au ciel, elle donna sa dernière bénédiction à ses enfants. C'est une heure de supplice et d'angoisses, une heure douloureuse, une heure déchirante entre toutes, que celle où l'on perd une mère chérie. Le chagrin est de la stupeur. On se croit le jouet d'un mauvais rêve. On ne peut s'habituer à une idée si horrible. Ces mains saintes, ces mains vénérables, elles ne s'étendront plus sur votre tête pour vous bénir ! Ces lèvres, d'où sortaient tant de bons conseils, tant d'affectueuses paroles, les voilà fermées pour toujours ! Ce cœur si chaud, si aimant, il est glacé, il ne bat plus. Vous appelez encore votre mère, vous l'appelez, et pour la première fois hélas ! elle ne vous répond pas ! Alors, tout ce qu'elle a fait pour vous, votre enfance, votre jeunesse, votre vie entière vous apparaît. De longues années de dévouement, de sacrifices et de tendresse se concentrent en une seule minute. Le cœur, envahi par les souvenirs comme par une marée montante, déborde, et vous éclatez en sanglots! Oh! malheur à celui qui, dans ce moment fatal, croit que tout finit ici-bas! Malheur à qui n'a pas la conviction que la morte est au ciel, qu'elle veille sur ses enfants; qu'ils peuvent encore l'aimer et l'implorer, qu'elle sera toujours leur force, leur consolatrice, leur bon ange ! Mais heureux au milieu des larmes, heureux au sein des plus cruelles épreuves, les chrétiens qui se rappellent alors la prière de saint Louis, pleurant sa mère Blanche de Castille : « Je vous rends grâces, ô mon Dieu! vous m'aviez prêté une bonne, une incomparable mère, mais je sais bien qu'elle n'était pas à moi ! Maintenant, Seigneur, vous l'avez retirée à vous... Votre Providence en a décidé ainsi. Il est vrai que je la chérissais plus que toutes les créatures du monde... Néanmoins, puisque vous l'avez ordonné de la sorte! que votre adorable volonté soit faite ! Mon Dieu ! que votre saint nom soit à jamais béni ! » Marie Leczinska mourut dans une tranquillité angélique. Elle essayait encore de dire son chapelet, quand la mort interrompit sur terre la prière que la sainte allait reprendre au ciel. Ces belles paroles de Massillon s'étaient réalisées pour la pieuse reine : « L'âme du juste, durant les jours de sa vie mortelle, n'osait regarder d'un œil fixe la profondeur des jugements de Dieu; elle opérait son salut avec crainte et tremblement ; elle frémissait à la seule pensée de cet avenir terrible, où les justes mêmes seront à peine sauvés, s'ils sont jugés sans miséricorde; mais au lit de mort, ah! le Dieu de paix qui se montre à elle calme ses agitations; ses frayeurs cessent tout d'un coup et se changent en une douce espérance, elle perce déjà avec des yeux mourants le nuage de la mortalité qui l'environne encore, et voit cette patrie immortelle après laquelle elle avait tant soupiré, et où elle avait toujours habité en esprit. » O vous qui avez vu mourir une sainte mère, vous qui avez dans le cœur un regret et une espérance, souvenez-vous ! Ce fut le 24 juin 1768 que Marie Leczinska rendit le dernier soupir. Elle était entrée la veille même dans sa 68° année. Son règne avait duré quarante-trois ans, et, pendant cette longue période, elle n'avait fait couler que des larmes de joie ou de reconnaissance. Ses femmes, ses serviteurs, ses pauvres, recueillirent, comme des reliques, jusqu'aux moindres lambeaux de ses vêtements. Sa dépouille mortelle, exposée pendant huit jours sur un lit de parade, fut de la part du peuple l'objet d'un véritable culte. L'archevêque de Troyes prononça l'oraison funèbre. << Pontife du Dieu vivant, dit-il, en s'adressant à l'archevêque de Paris, ne craignez pas d'offrir sur son tombeau un encens qu'on offrira peut-être un jour sur ses autels. » Comparez cette vie et cette mort à la vie et à la mort de la marquise de Pompadour, si vous voulez savoir ce que c'est que le vice et ce que c'est que la vertu. Marie Leczinska est la dernière souveraine qui ait fini ses jours sur le trône de France. Les femmes qui, depuis un siècle, ont porté la couronne royale ou impériale, dans notre malheureux et inconstant pays, ont toutes été les victimes innocentes de la révolution et des caprices du sort. L'une a péri, martyre auguste, sur l'échafaud; l'autre est morte au moment de l'invasion, l'âme brisée par les douleurs de la patrie vaincue. Une troisième s'est éteinte, à peu près oubliée, dans le petit duché qu'on lui avait donné en échange du plus bel empire du monde. Une quatrième est morte saintement sur la terre étrangère, regrettant peut-être d'avoir été reine, et il en est une qui, en ce moment même est tristement récompensée, de sa charité et de son courage, de sa vertu et de son patriotisme. C'est aujourd'hui surtout qu'un Bossuet pourrait dire, devant Versailles abandonné ou devant les Tuileries en ruines: Et nunc, reges, intelligite! Erudimini, qui judicatis terram ! Et maintenant, rois, comprenez ! Instruisez-vous, vous qui jugez la terre! |