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qui fut, en 481, proclamé marzban d'Arménie par ses compatriotes révoltés contre les Persans, et qui mourut en 483, après avoir combattu dix-neuf mois contre eux. L'histoire de Moyse de Khoren fut certainement composée avant cette époque ; et il est fort douteux même que cet écrivain ait prolongé son existence jusque là. Dans sa dédicace, il ne donne pas à Sahag le titre de marzban, et l'on n'y trouve rien qui indique que ce personnage eût alors l'autorité suprême sur sa nation. Comme cette histoire ne s'étend que jusqu'à la mort de Sahag et de Mesrob, c'est-à-dire, en l'an 441, il est bien probable qu'elle a été composée peu après; et si elle l'avoit été plus tard, il est bien difficile de croire que l'auteur n'eût pas fait mention des guerres sanglantes que les Arméniens eurent à soutenir postérieurement contre les Persans. En admettant même que le récit de ces événemens n'entrât pas dans son plan, il seroit étonnant, s'il avoit écrit long-temps après, qu'il n'eût pas au moins parlé indirectement du généralat de Vartan Mamigonéan, gendre du patriarche Sahag, et célèbre chez les Armé niens par ses exploits et sa mort héroïque; sur-tout après avoir parlé plusieurs fois de lui dans le cours de son histoire. Toutes ces considérations réunies me portent à croire que cet ouvrage fut composé avant l'an 450; et il étoit déjà fort vieux à cette époque, ainsi qu'il le dit lui-même. Cependant il prolongea encore son existence pendant quelques années. En 450, un certain Eznig, qui avoit été son condisciple, étoit évêque de Pakrevant, et Moyse fut son successeur, nous igno rons en quelle année; malgré cela, il n'est guère probable que Moyse de Khoren ait encore vécu long-temps après l'an 460, et, par conséquent, qu'aucun de ses ouvrages puisse être d'une date postérieure.

L'ouvrage géographique, écrit en arménien, que nous avons

sous le nom de cet historien, est rédigé en grande partie, comme l'auteur l'avoue lui-même, d'après un autre traité de géographie composé par Pappus d'Alexandrie, qui vivoit sous le règne de Théodose le Grand, à la fin du IV. siècle. C'est sans doute le livre que Suidas (1) attribue à cet auteur et qu'il intitule Χωρογραφία οἰκουμενική. Comme il ne nous est connu que par ce lexicographe, il nous est impossible de savoir si l'ouvrage de Pappus a été traduit en son entier ou s'il a été seulement abrégé par le translateur Arménien. Nous sommes assez portés à admettre cette dernière opinion; car le titre de Chorographie universelle que Suidas donne à l'original Grec, promet un ouvrage bien plus considérable que celui que nous avons. Nous croyons que le traducteur n'aura conservé que les grandes divisions, et qu'il aura supprimé tous les détails pour les pays éloignés de l'Arménie. Quant à ce qui concerne ce pays et les contrées limitrophes, il est évident qu'il a supprimé tout ce qui se trouvoit dans la Géographie de Pappus, et qu'il l'a remplacé par des renseignemens plus exacts, tirés sans doute d'écrivains Arméniens, ou résultant de ses connoissances personnelles. Comme cette partie l'intéressoit plus particulièrement, il est entré dans de plus grands détails, et il a donné la nomenclature générale de toutes les provinces de la grande Arménie, de la Géorgie et de l'Albanie. Nous pensons que c'est à-peu-près de cette façon qu'étoient traitées les autres régions. Pour tous les pays soumis à l'empire romain, ou étrangers à l'Arménie, il se contente de transcrire les noms Grecs de son original, sans altérer même leurs terminaisons. Il n'en est pas ainsi pour les trois pays que nous venons d'indiquer; ce qui nous fait

(1) Sub voce Пáжπжоs, tom. III, pag. 23, ed. Kuster,

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croire, avec assez de vraisemblance, que c'est une addition de l'auteur Arménien. Il n'en est pas tout-à-fait de même pour ce qui concerne la Perse: quoique ce traducteur ait cherché à faire usage de ses connoissances particulières, on voit qu'il n'en avoit pas d'assez positives, ou qu'il n'en possédoit pas assez, et qu'il a cherché à les combiner avec celles que lui fournissoit Pappus. Ce mélange de renseignemens venus de sources si différentes, lui a fait commettre de doubles emplois, qui ont jeté une assez grande confusion dans cette partie de son travail.

Dans le commencement de son ouvrage, l'auteur Arménien fait souvent mention de la Géographie de Ptolémée, de manière à faire croire que cette partie de son travail ne seroit qu'un résumé de ce qu'il avoit trouvé dans cet auteur et dans Pappus. Il est évident qu'il a inséré dans son ouvrage des morceaux un peu abrégés de Ptolémée; mais quelques différences que nous avons remarquées nous ont fait penser qu'il ne le citoit que sur l'autorité d'autrui, et sans doute d'après Pappus, qui auroit aussi vraisemblablement inséré dans son ouvrage ces mêmes passages. Nous allons en donner une preuve palpable. L'auteur Arménien dit, comme Ptolémée (1), d'après le témoignage de Diodore de Samos, que ceux qui naviguent de l'Inde vers la Limyrique ont l'aspect du Taureau au milieu du ciel, tandis que les Pléiades sont au milieu de leurs antennes, et que ceux qui se dirigent du côté de l'Azanie vont vers le midi et vers l'étoile de Canope, qu'on

(1) Φησὶ τὸ ὅτι καὶ οἱ μὲν ἀπὸ τῆς Ἰνδικῆς εἰς τὴν λιμυρικὴν πλέοντες, ὡς φησὶ Διόδωρος ὁ Σάμιος ἐν τῷ τρίτῳ, ἔχουσι τ Ταῦρον μεσορανόντα, κ την Πλειάδα και μέσην τὴν κεραίαν· οἱ δ' εἰς τὴν ̓Αζανίου ἀπὸ τῆς Αραβίας αναγόμενοι, ευθύνεσι τὸν πλοῦν πρὸς μεσημβρίαν, Ε τὸν Κάκωβον αςέρα, ὃς τις ἐκει λέγεται ἵππος, καὶ ἔπι νοπωτατς. Ptol. Geogr. lib. I, cap. 7.

appelle

νοτιωτατος,

305 appelle là le Cheval. Quoique l'arménien soit plus court que le texte Grec, les deux ouvrages s'accordent jusqu'ici; mais au lieu d'ajouter, comme Ptolémée, que Canope est une étoile très-méridionale, voпTTO, l'auteur Arménien dit que ces navigateurs l'appellent Apricicus. Non-seulement cette dénomination n'est pas dans le grec, mais elle ne peut même être dérivée de la langue Grecque; elle vient, à n'en pas douter, du mot latin apricus, exposé au soleil, qui a fourni l'expression apricus flatus, vent du midi, et dont on a bien pu faire Apricicus. Ce nom n'auroit été donné à l'étoile de Canope qu'à cause de sa position très-méridionale, ce qui reviendroit toujours au sens de Ptolémée. Mais d'où le géographe Arménien aura-t-il pu tirer cette singulière variante! Je pense que c'est une addition de Pappus, et que cet auteur aura emprunté cette expression aux marchands Romains qui trafiquoient dans le golfe Arabique et dans l'océan Indien.

Il résulte assez évidemment de ce fait que l'auteur Armé. nien ne s'est servi, pour composer son ouvrage, que de celui de Pappus d'Alexandrie, qu'il s'est borné à traduire et à abréger. Nous allons examiner maintenant les diverses additions qu'il y a faites; et elles nous prouveront que ce traducteur ne peut être le célèbre Moyse de Khoren.

En

I. Le traducteur Arménien place les Francs dans les Gaules. supposant que ce traducteur soit Moyse de Khoren, il se pourroit à la rigueur qu'il eût parlé des Francs comme habitans de la Gaule, quoiqu'ils n'y fussent pas encore bien puissans en l'an 460; ce qui rend difficile de croire qu'on ait pu les connoître alors en Arménie. Si l'on admet cette possibilité, il n'en résultera pas moins que c'est une interpolation; car il est impossible que Pappus, qui écrivoit dans un pays très-éloigné de la Gaule et avant l'an 400, ait pu placer parmi Tome II.

V

ses habitans les Francs, qui résidoient encore au delà du Rhin, et qui n'étoient connus en deçà que par leurs invasions et leurs ravages.

دو

כל

II. Le prétendu Moyse de Khoren dit que le Danube étoit appelé lozon ou Hozou par les Russes. « La Germanie..... » s'étend, dit-il, jusqu'aux montagnes de la Sarmatie et jusqu'au Danube, qui est le Iozou des Russes. » Il est certain que si ces paroles appartenoient à Pappus d'Alexandrie, ou à son traducteur Moyse de Khoren, elles seroient d'une grande importance pour prouver l'antique existence de la nation Russe sous son nom actuel. Je crois bien que ce nom est effectivement plus ancien que Pappus, mais c'est par d'autres raisons; et s'il en avoit parlé, est-ce de cette façon qu'il l'auroit fait! Il est clair que l'endroit où il est question du Iozou des Russes, n'est qu'une note que le traducteur a intercalée pour instruire son lecteur, et qu'il n'a pu le faire que parce que les Russes étoient fort connus de son temps dans son pays. S'il en eût été autrement, de quelle utilité auroit été cette note; car il est fort probable que si le nom des Russes existoit déjà au v.° siècle, un géographe de cette époque n'auroit pu en faire mention que dans une longue nomenclature des peuplades qui habitoient au nord de la mer Noire ou du Danube; parce que les Russes n'étoient pas assez puissans pour être distingués plus particulièrement. Il nons paroît ensuite fort douteux qu'on pût les trouver dès-lors du côté du Danube. Cette note ne peut donc avoir été faite que dans un temps où les Russes avoient déjà acquis une grande célébrité, ce qui n'arriva que long-temps après; et cette note seule suffit pour prouver que cette géographie a été composée ou traduite en arménien, à une époque de beaucoup postérieure à Moyse de Khoren, et dans un temps où les Russes étoient assez puissans

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