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CHAPITRE II

Ce que l'Eglise apprend de nouveau sur la doctrine': passage de Vincent de Lerins: mauvais artifice de M. Simon et de ceux qui, à son exemple, en appellent aux anciens, au préjudice de ceux qui ont expressément traité les matières contre les hérétiques.

CETTE doctrine de saint Augustin et de tous les saints docteurs, est une règle dans la théologie, et comme j'ai dit, un dénouement dans toutes les difficultés sur la tradition. La face de l'Eglise est une, et sa doctrine est toujours la même; mais elle n'est pas toujours également claire, également exprimée. Elle reçoit avec le temps, dit très-bien Vincent de Lerins (1), non point plus de vérité, mais plus d'évidence, plus de lumières, plus de précision; et c'est principalement à l'occasion des nouvelles hérésies. Alors selon les termes du même auteur, on enseigne plus clairement ce qu'on croyoit plus obscurément auparavant les expressions sont plus claires, les explications plus distinctes: on lime, on déméle, on polit les dogmes: on y ajoute la justesse, la forme, la distinction, sans toucher à leur plénitude et à leur intégrité. Ainsi, quand après les résolutions des Pères qui ont combattu les hérésies, on en détourne les hommes en leur proposant les anciens; quand, à l'exemple de M. Simon, on loue sur la matière de la grâce les docteurs qui ont précédé Pélage, pour décréditer saint Augustin, qui à

(1) Comm. 1. p. 361.

BOSSUET. V.

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été si évidemment appelé à le combattre, c'est un piége qu'on tend aux simples, pour leur faire préférer ce qui est plus obscur et moins démêlé, à ce qui est plus clair et plus distinct, et ce qu'on a dit en passant, à ce qu'on a médité et limé avec plus de soin. C'est de même que si l'on disoit, qu'après les explications de saint Athanase, il vaut mieux encore en revenir aux expressions plus embrouillées de saint Justin ou d'Origène, de saint Denis d'Alexandrie et des autres Pères, dont les ariens abusoient; et que saint Athanase étoit un novateur, parce qu'il réduisoit la théologie à des expressions plus distinctes, plus justes et plus suivies.

CHAPITRE III.

Que la manière dont M. Simon allègue l'antiquité est un piége pour les simples; que c'en est un autre d'opposer les Grecs aux Latins. Preuves par M. Simon lui-méme, les traités des Pères contre les hérésies sont ce que l'Eglise a de plus exact. Passage du P. Petau.

que

CE piége qu'on tend aux simples est d'autant plus dangereux, qu'on le couvre de la spécieuse apparence de l'antiquité. Qu'y a-t-il de plus plausible, et dans le fond de plus vrai, que de dire, avec Vincent de Lerins, qu'il faut suivre les anciens; et qui croiroit qu'on trompât le monde avec ce principe? C'est néanmoins la vérité, et un effet manifeste de la captieuse critique de M. Simon. Il faut préférer l'antiquité : c'est la règle de Vincent de Lerins. Il falloit donc ajouter, que, selon le même

docteur, souvent la postérité parle plus clairement. On ne peut nier que les anciens Pères, qui ont précédé les pélagiens, n'aient parlé quelquefois moins exactement, moins précisément, moins conséquemment qu'on n'a fait depuis sur le péché originel et sur la grâce. En cet état de la cause, proposer toujours les anciens au préjudice de saint Augustin, c'est pour embrasser ce qui embrouille, abandonner ce qui éclaircit. Ne parlons point en l'air. On trouve très-réellement dans plusieurs endroits des anciens, avant saint Augustin, que les enfans n'ont point de péché, et que Dieu ne nous prévient pas; mais que c'est nous qui le prévenons. A la rigueur, ces expressions sont contre la foi: on les explique très-solidement, comme la suite le fera paroître mais avec ces explications, quelque solides qu'elles soient, il sera toujours véritable qu'elles fournissent aux hérétiques la matière d'un mauvais procès. Après que saint Augustin les a réduites au sens légitime que nous verrons en son lieu, dire qu'il innove, ou sur ces articles que j'allègue ici pour exemple, ou sur d'autres que je pourrois alléguer, c'est visiblement tout perdre et donner lieu aux hérétiques de renouveler toutes leurs chicanes.

Au lieu donc de se servir du nom des anciens, comme fait perpétuellement M. Simon, pour décréditer saint Augustin et les autres saints défenseurs de la grâce qui l'ont suivi, il falloit les autoriser par cette raison, qu'y ayant dans toutes les matières, et même dans les dogmes de la foi, ce qui en fait la difficulté et ce qui en fait le dénouement, comme l'expérience le fait voir, il arrive, principalement

avant les disputes, qu'un auteur, selon les vues différentes qu'il peut avoir, appuyant sur un endroit plus que sur l'autre, tombe dans de certaines ambiguités qu'on ne trouve plus guère dans les saints docteurs, depuis que les matières sont bien éclaircies.

C'est ce qui règne, non- seulement dans la matière de la grâce, mais encore généralement dans toutes les matières de la foi. Le Fils de Dieu est Dieu comme le Père, et il y a des passages clairs pour cette vérité dans tous les temps. Mais lorsqu'on vient à considérer que c'est un Dieu sorti d'un Dieu, Deus de Deo, un Dieu qui reçoit du Père sa divinité et toute son action, un Dieu qui par conséquent, sans dégénérer de sa nature, est nécessairement le second en origine et en ordre, le langage se brouille quelquefois; on parle de la primauté d'origine comme si elle avoit en soi quelque chose de plus excellent, quant à la manière de parler, et cet embarras ne se débrouille parfaitement que lorsque quelque dispute réduit les esprits à un langage précis. La même chose a dû arriver dans la matière de la grâce en un mot, dans tous les dogmes, on marche toujours entre deux écueils, et on semble tomber dans l'un lorsqu'on s'efforce d'éviter l'autre, jusqu'à ce que les disputes et les jugemens de l'Eglise, intervenus sur les questions, fixent le langage, déterminent l'attention, et assurent la marche des docteurs.

Par la suite du même principe, il doit arriver que la partie de l'Eglise catholique qui demeurera la plus éclairée sur une matière, sera celle où cette

matière sera le plus cultivée; c'est-à-dire, celle où les hérésies rendront les esprits plus attentifs. Il a donc dû arriver que l'Eglise grecque, que rien n'obligeoit à veiller contre les pélagiens, est demeurée peu éclairée sur les matières qu'ils agitoient, en comparaison de la latine, qui a été aux mains avec eux durant tant de siècles. Aussi est-il bien certain, que sur ce sujet, on a toujours préféré les Latins aux Grecs, à cause, dit savamment le P. Petau (1), que l'hérésie de Pélage a plus exercé l'Eglise latine que l'Eglise grecque; en sorte qu'on ne trouve chez les Grecs qu'une intelligence et une réfutation imparfaite des sentimens de Pélage. Ce fait est si constant, que M. Simon n'a pu s'empêcher d'en convenir, lorsqu'en remarquant le silence de Théodoret et de quelques Grecs sur le péché originel, encore qu'ils aient vécu après Pélage, il en rend lui-même cette raison (2): Que le pélagianisme a fait plus de bruit dans les Eglises où l'on parloit la langue latine qu'en Orient; d'où il conclut, qu'il n'est pas surprenant que Théodoret s'explique moins que les Latins sur le péché originel. Pour peu qu'il ait de bonne foi, il en doit dire autant de toutes les matières de la grâce, puisque les erreurs sur cette matière faisoient une des parties de cette hérésie, qui, comme on sait, s'étoit répandue en Afrique, dans les Gaules, en Angleterre, en Italie, de l'aveu de M. Simon. Il étoit donc naturel qu'on y pensât plus en Occident qu'en Orient, où l'on n'en parloit presque point. Ainsi, quand M. Simon en appelle sans cesse des Latins aux (1) Dogm. L. 1x. C. VI. n. I.— (2) P. 321.

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