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par l'esprit, mais encore et surtout des lettres, galantes qui lui étaient adressées. Il y en avait de quelques femmes de la Cour, de celles même qu'on n'aurait pas soupçonnées: une seule, dit-on, mademoiselle de Meneville, se trouva entièrement compromise; mais c'était l'être déjà que de se trouver dans cette cassette intime. Madame de Sévigné eut cet honneur et ce désagrément; elle avait beaucoup écrit au surintendant au sujet de son cousin La Trousse; ses lettres, qui ressemblaient si peu aux autres, avaient assez charmé l'homme d'esprit dans Fouquet pour qu'il les réunît à son mystérieux trésor. La plus grande justification de madame de Sévigné, ce fut la franchise et la netteté avec laquelle elle prit bientôt après la défense de celui dont elle aurait eu à se plaindre. On ne marche pas ainsi la tête levée et à front découvert, quand on se sent, si peu que ce soit, coupable.

Ici la scène change. L'extrême rigueur dont on usa envers Fouquet désormais abattu et sans ressource, la justice exceptionnelle à laquelle on le livra, la partialité de quelques-uns des commissaires et de ceux qui étaient chargés de l'examen des papiers et du rapport, les pensées cruelles dont ses ennemis ne se cachaient point à son sujet, l'âpreté des vengeances politiques qui n'allaient pas à moins qu'à demander sa tête, les lenteurs et les péripéties du procès qui dura plus de trois ans à instruire, tout concourut à retourner l'opinion et à gagner à l'accusé la pitié universelle. Les gens de lettres surtout y aidèrent puissamment: Fouquet les avait toujours recherchés, distingués et favorisés ; ils se montrèrent reconnaissants, et aujourd'hui le nom de cet illustre malheureux ne se présente à la postérité qu'environné et comme protégé de ces trois noms de madame de Sévigné, de Pellisson et de La Fontaine.

On a la gazette et le compte rendu du procès par madame de Sévigné pendant les cinq semaines que dura l'interrogatoire et que l'accusé fut sur la sellette (14 novembre 20 décembre 1664); elle rend compte jour par jour des moindres incidents et des diverses émotions à M. de Pomponne, cet ami de Fouquet, et enveloppé alors dans sa disgrâce :

« Aujourd'hui (18 novembre), notre cher ami est encore allé sur la sellette, L'abbé d'Effiat l'a salué en passant; il lui a dit en lui rendant le salut : « Monsieur, je suis votre très-humble serviteur, » avec cette mine riante et fixe que nous connaissons. L'abbé d'Effiat a été si saisi de tendresse qu'il n'en pouvait plus. »

Nous savons presque par cœur ces lettres charmantes qui ouvrent le recueil de toutes celles de madame de Sévigné, et où elle nous montre si vivement son enjouement d'esprit jusque dans les plus grandes angoisses de son cœur. Ne demandez pas à madame de Sévigné, une fois engagée dans ce récit, de l'impartialité, ní un jugement sur le fond; elle est amie, elle est dévouée, elle est déterminée à trouver tout bien et admirable de la part de l'accusé. Elle et les partisans de Fouquet ne craignent rien tant qu'une chose, c'est la peine de mort, cette peine que le roi désire, et qu'il n'aurait point commuée. Elle en est au soulagement et à la joie quand l'avis de M. d'Ormesson passe, lequel concluait au bannissement perpétuel.

Le ministre Le Tellier, qui n'aurait pas été fâché que Fouquet eût été condamné à mort, laissa échapper un mot énergique et cruel à propos de ce procès où l'on demanda trop, et où, en exagérant certaines charges, on alla contre le but : « Pour avoir voulu faire la corde trop grosse, disait-il, on ne pourra la serrer assez pour l'étrangler. » C'est ainsi, en effet, que Fouquet échappa à tant de haines conjurées.

Pellisson, qui avait été premier commis de Fouquet, et qu'on avait arrêté en même temps que lui, composa à la Bastille et fit paraître, durant le cours du procès, des Mémoires et Discours au roi, dans lesquels il alléguait en faveur du surintendant tout ce qui se pouvait dire de plus ingénieux, de plus élégant, de plus éloquent même, sous la forme académique alors en usage. Il y faisait valoir les belles qualités de Fouquet, les importants services qu'il avait rendus sous Mazarin, sa fidélité au sein du Parlement sur la fin de la Fronde, ses ressources de financier dans les temps de guerre, cette vigueur, cette adresse, ce courage, ce génie naturel qu'il compare à un cheval trop emporté, mais généreux : Domptez-le, Sire, mais ne le tuez pas. C'est là le sens et le résumé de ce que dit en style plus périodique le très-habile Pellisson..

Louis XIV, pour perdre plus sûrement Fouquet, avait employé un artifice dont nous avons peine à supporter l'idée. Fouquet, bien que surintendant, avait gardé sa place de procureur général au Parlement de Paris, ce qui rendait impossible de le faire juger par commissaires en violation des droits et priviléges de sa Compagnie. Il fallut donc, avant de songer à l'arrêter, l'amener à se démettre de cette charge de procureur général. On lui fit insinuer qu'il serait agréable au roi qu'il s'en défit, qu'il la vendit, et qu'il fit cadeau au roi luimême du prix de cette charge qui allait à plus d'un million. Le million, argent comptant, offert par Fouquet, avait été accepté par le roi et porté à Vincennes. Pellisson ne craignit pas de faire allusion à cette circonstance:

Balança-t-il un moment, Sire, pour se défaire de la chose du monde qu'il avait toujours tenue pour la plus précieuse? Ecouta-t-il la voix de ses amis alarmés de cette pensée? Ne répondit-il pas, avec toute la confiance qu'on pourrait presque prendre en Dieu même, qu'il ne voulait (ce furent ses propres termes) ni protection, ni sup

port, ni bien, ni honneur, ni vie, qu'en la bonté de Votre Majesté, et n'employa-t-il pas sur l'heure même pour votre service tout ce qu'il avait reçu du prix de sa charge? Certes, Sire, je ne puis croire que Votre Majesté en puisse rappeler le souvenir sans en être attendrie. Que serait-ce si elle voyait encore cet infortuné même, à peine connaissable, mais moins changé et moins abattu de la longueur de sa maladie et de la dureté de sa prison que du regret d'avoir pu déplaire à Votre Majesté, et qu'il lui dit : « Sire, j'ai failli, si Votre Majesté « le veut; je mérite toute sorte de supplices; je ne me plains point «de la colère de Votre Majesté : souffrez seulement que je me plaigne « de ses bontés. Quand est-ce qu'elles m'ont permis de connaître «mes fautes et ma mauvaise conduite? Quand est-ce que, par un «clin-d'œil seulement, Votre Majesté a fait pour moi ce que les « maîtres font pour leurs esclaves les plus misérables, ce qu'il est « besoin que Dieu fasse pour tous les hommes et pour les rois même, « qui est de les menacer avant que de les punir? Et de quoi n'au<< rais-je point été capable, de quoi ne le serais-je point, si Votre «Majesté avait mieux aimé, si elle aimait mieux encore me corriger « que me perdre ? 1)

Il y aurait à répondre que Fouquet avait été averti le jour même où il avait cru devoir faire au roi son semblant de confession et réclamer indulgence pour le passé, et qu'il s'était montré incorrigible. Mais Pellisson ne tirait pas moins le plus heureux parti, pour la défense de son client, de cette dissimulation qui était une qualité royale et qui, dans l'application présente,. avait été poussée si loin. Si un tel plaidoyer, au lieu d'être simplement imprimé, avait été prononcé devant Louis XIV, le jeune roi n'aurait pu y résister, je le crois, et, à cet endroit-là, il lui serait arrivé comme à César, le jour où l'arrêt de condamnation de Ligarius échappa de ses mains.

On sait les vers de La Fontaine, sa touchante et immortelle Élégie en faveur d'Oronte, toute semée de vers délicieux;

Voilà le précipice où l'ont enfin jeté
Les attraits enchanteurs de la prospérité!

Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs,

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et qui se termine par ce mot si conforme à la misère humaine :

Et c'est être innocent que d'être malheureux.

La Fontaine devait bien ce soupir de cœur à Fouquet: c'était celui-ci qui avait en quelque sorte découvert le poëte. Il l'avait tiré de la province. et fixé à Paris; il lui avait donné une pension à cette condition qu'il en payerait chaque terme par une pièce de vers; et le paresseux s'en acquitta toujours. Jamais La Fontaine ne fut plus à l'aise ni plus à son avantage que dans ce cadre des merveilles de Vaux, dans ce premier Versailles sans contrainte et légèrement licencieux. L'autre Versailles fut toujours trop régulier et trop solennel pour lui.

On ferait tout un chapitre de cette protection indulgente et libérale que Fouquet accordait aux gens d'esprit et aux gens de lettres, et de la reconnaissance qu'il trouva en eux. En apprenant son arrestation, le gazetier Loret, l'un de ses pensionnaires, parla de lui en des termes qui firent supprimer sa pension par Colbert. Fouquet le sut, et, tout prisonnier qu'il était, il fit prier mademoiselle de Scudéry d'envoyer secrètement à Loret 1,500 fr. pour le dédommager; ce qui fut exécuté, et sans qu'on pût deviner d'abord d'où venait le bienfait. Le médecin anatomiste Pecquet avait été choisi par Fouquet pour être son médecin de plaisir, pour l'entretenir à ses heures perdues des plus jolies questions de la physique et de la physiologie; Pecquet ne se consola jamais d'avoir été séparé de lui. Le poëte épicurien Hesnault fit contre Colbert, en faveur de l'accusé, un sonnet sanglant et implacable, d'une vigueur toute stoïque. Mais le plus grand témoignage rendu à Fouquet dans sa disgrâce, fut assurément celui du poëte Brébeuf, lequel, dit-on, mourut de chagrin et de dé

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