où je veux me contraindre, pour ménager un pere dort 'ai befoin, & me mettre à couvert du côté des hommes, de cent fàcheufes aventures qui pourroient m'arriver. Je veux bien, Sgnanarelle, t'en faire confidence, & je fuis bien aife d'avoir un témoin des véritables motifs qui m'obligent à faire les choses. S GANARELLE. Quoi ! Toujours libertin & débauché, vous voulez cependant vous ériger en homme de bien ? Ď. JUA N. Et pourquoi non? Il y en a tant d'autres comme moi, qui fe mêlent de ce métier, & qui fe fervent du même mafque pour abufer le monde. S GANARELLE a pars. Ah! Quel homme! Quel homme ! D. JUAN. Il n'y a plus de honte maintenant à cela, l'hypocrifie eft un vice à la mode, & tous les vices à la mode paffent pour vertus. La profeffion d'hypocrite a de merveilleux avantages. C'eft un art de qui l'impofture eft toujours refpectée ; &, quoiqu'on la découvre, on n'ofe rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes font exposés à la cenfure, & chacun a la liberté de les attaquer hautement; mais l'hypocrifie eft un vice privilégié qui, de fa main, ferme la bouche à tout le monde, & jouit en repos d'une impunité fouveraine. On lie, à force de grimaces, une fociété étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, fe les attire tous fur les bras ; & ceux que l'on fait même agir de bonne-foi là deffus, & que chacun connoît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, font le plus fouvent les dupes des autres ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, & appuyent aveuglément les finges de leurs actions. Combien crois-tu que j'en connoiffe, qui, par ce ftratagême, ont rhabillé adroitement les défordres de leur jeuneffe, &, fous un dehors respecté, ont la permiffion d'être les plus méchans des hommes du monde ? On a beau favoir leurs intrigues, & les connoître pour ce qu'ils font, ils ne laiffent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens; & quelque baiffement de tête, un foupir mortifié, & deux roulemens d'yeux rajuftent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire. C'eft fous cet abri favorable que je veux mettre en fûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes, mais j'aurai soin de me cacher, & me divertirai à petit bruit. Que fi je viens à être découvert, je verrai, fans me remuer, prendre mes intérêts à toute ma cabale, & je ferai défendu par elle envers & contre tous. Enfin c'eft-là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigeraien cenfeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout le monde, & n'aurai bonne opinion que de moi. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant foit peu, je ne pardonnerai jamais, & garderai, tout doucement, une haine irréconciliable. Je ferai le vangeur de la vertu opprimée ; &, fous ce prétexte commode, je poufferai mes ennemis, je les accuferai d'impiété, & faurai déchaîner contr'eux des zélés indifcrets, qui, fans connoiffance de caufe, crieront contr'eux, qui les accableront d'injures, & les damneront hautement de leur autorité privée. C'eft ainfi qu'il faut profiter des foibleffes des hommes, & qu'un fage efprit s'accommode aux vices de fon fiécle. S GANARELLE. O ciel! Qu'entens-je ici? Il ne vous manquoit plus que d'être hypocrite pour vous achever de tout point, & voilà le comble des abominations. Monfieur, cette derniére-ci m'emporte, & je ne puis m'empêcher de parler. Faites-moi tout ce qu'il vous plaira, battezmoi, affommez-moi de coups, tuez-moi, fi vous voulez, il faut que je décharge mon cœur, & qu'en valet fidéle, je vous dife ce que je dois. Sachez, Monfieur , que tant va la cruche à l'eau, qu'enfin elle fe brife; &, comme dit fort bien cet auteur que je ne connois pas, l'homme eft, en ce monde, ainfi que l'oifeau fur la branche, la branche est attachée à l'arbre, qui s'attache à l'arbre fuit de bons préceptes, les bons préceptes valent mieux que les belles paroles, les belles paroles fe trouvent à la cour, à la cour font les courtisans, les courtisans fuivent la mode, la mode vient de la fantaisie, la fantaisie eft une faculté de l'ame, l'ame eft ce qui nous donne la vie, la vie finit par la mort. ... &... fongez à ce que vous deviendrez. D. JUA N. O le beau raifonnement ! SGANARELLE. Après cela, fi vous ne vous rendez, tant pis pour vous. SCENE III. DOM CARLOS, DOM JUAN, D Om Juan, je vous trouve à propos, & fuis bien aife de vous parler ici plutôt que chez vous pour vous demander vos réfolutions. Vous favez que ce foin me regarde, & que je me fuis, en votre pré fence, chargé de cette affaire. Pour moi, je ne le cele point, je fouhaite fort que les chofes aillent dans la douceur ; & il n'y a rien que je ne faffe pour porter votre efprit à vouloir prendre cette voie, & pour vous voir publiquement confirmer à ma fœur le nom de votre femme. D. JUAN d'un ton hypocrite. Hélas! Je voudrois bien de tout mon cœur vous donaer la fatisfaction que vous fouhaitez ; mais le ciel s'y oppofe directement, il a infpiré à mon ame le deffein de changer de vie, & je n'ai point d'autres. pensées maintenant, que de quitter entiérement tous les attachemens, de me dépouiller au pluftôt de tou-tes fortes de vanités, & de corriger déformais, par une auftére conduite, tous les déreglemens crimi-. nels, où m'a porté le feu d'une aveugle jeuneffe. D. CARLOS. Ce deffein, Dom Juan, ne choque point ce que je dis; & la compagnie d'une femme légitime peut bien s'accommoder avec les louables penfées que le ciel. vous infpire. D. JUA N. Hélas! Point du tout. C'eft un deffein que votre fœur elle-même a pris; elle a réfolu fa retraite, & nous avons été touchés tous deux en même temps. D. CARLOS. Sa retraite ne peut nous fatisfaire, pouvant être im→ putée au mépris que vous feriez d'elle, & de notre famille; & notre honneur demande qu'elle vive avec. vous. D. JUAN. Je vous affure que cela ne fe peut. J'en avois pour moi toutes les envies du monde, & je me fuis même encore aujourd'hui confeillé au ciel pour cela; mais, lorfque je l'ai confulté, j'ai entendu une voix qui m'a dit que je ne devois point fonger à votre fœur & qu'avec elle affurément je ne ferois point mon falut. Croyez-vous, Dom Juan, nous éblouir par ces bel les excuses? D. JUAN. J'obéis à la voix du ciel. D. CARLOS. 9 Quoi? Vous voulez que je me paye d'un femblable difcours D. JUAN. C'est le ciel qui le veut ainfi. D. CARLOS. Vous aurez fait fortir ma fœur d'un couvent pour la laiffer enfuite ? D. JUAN. Le ciel l'ordonne de la forte. D. CARLOS. Nous fouffririons cette tache en notre famille ? Prenez-vous-en au ciel. D. CARLOS. Hé quoi! Toujours le ciel ? D. JUA N. Le ciel le fouhaite comme cela. D. CARLO S. Il fuffit Dom Juan, je vous entens. Ce n'est pas ici que je veux vous prendre, & le lieu ne le fouffre pas; mais, avant qu'il foit peu, je faurai vous trou ver. D. JUAN. Vous ferez ce que vous voudrez. Vous favez que je ne manque point de cœur, & que je fais me fervir de mon épée quand il le faut. Je m'en vais paffer toutà-l'heure dans cette petite rue écartée qui mene au grand couvent ; mais je vous déclare, pour moi, que ce n'eft point moi qui me veux battre, le ciel m'en défend la pensée; &, fi vous m'attaquez, nous verrons ce qui en arrivera. D. CARLOS. Nous verrons, de vrai, nous verrons. SCENE |